Publié le 24 Jun 2012 - 22:28
LA CHUTE DU "BAOBAB"

Essentiel et accessoire

Un an, c'est passé si vite. La chute du « baobab » Wade a été si brutale, l'effritement de son système si aisé par rapport aux scenarii catastrophes prévus, qu'on a du mal à bien se rappeler du travail citoyen, souterrain mais efficace réalisé; véritable catalyseur de l'effondrement du régime libéral, après douze ans de règne sans partage. « Y en a marre », comme cri de guerre était bien sûr dans la place. Mais il y avait surtout ce 23 juin 2011, à la Place Soweto, des citoyens de tous bords déterminés à barrer le chemin au projet de loi adopté en Conseil des ministres le 16 juin, visant à modifier la Constitution pour permettre aux Sénégalais d'élire simultanément, dès février 2012, un président et un vice-président sur la base d'un "ticket" qui pouvait l'emporter avec seulement 25% des suffrages exprimés.

 

Le mythe construit autour de ce mouvement citoyen voudrait faire croire qu'il ne s'agissait que d'une vague informe, avec des rappeurs estampillés anarchistes, dont certains seraient des rescapés de l'immigration clandestine. Il n'en est rien. Ces magnifiques citoyens étaient des deux sexes, presque de tous les âges, dont beaucoup venaient de la classe moyenne dakaroise. Tous, il est vrai, dans le tempo de « Y en a marre » ; les révolutions se chantant avant de se faire. Le face-à-face était frontal ce jour du 23 juin et les rapports de force sont brusquement allés en faveur des forces citoyennes mobilisées. Me Abdoulaye Wade qui avait l'habitude de tourner en dérision les manifestations souvent clairsemées de l'opposition, au point de friser l'arrogance faisait, pour la première fois face, à une force organisée, déterminée et audacieuse.

 

Ce 23 juin marque indubitablement la naissance de quelque chose de fondamental. Comme dans une opération de fécondation, la chose a bien pris à ce moment. Qu'avons-nous fait ce jour-là ? Nous avons d'abord dit « Non » et joint la colère à l'acte. Signe de la détermination, les jeunes sont allés jusqu'à une centaine de mètres du Palais sans pouvoir être retenus par les forces de l'ordre. Et bien heureusement, puisque s'ils n'avaient pas été raisonnés par plus expérimentés qu'eux, le bain de sang aurait été inévitable. Le 23 juin, c'est donc l'acte 1 ; le déclic, l'instant où la balance a réellement basculé, où la boule a tourné. La suite sera sans doute importante, puisqu'il s'agira de fédérer des forces souvent antagoniques, d'organiser un mouvement, de lui donner une direction, de lui indiquer un but. Cela s'est fait entre la place de l'Obélisque qui mérite bien d'être rebaptisée et les rues de Dakar où jonchaient des pneus calcinés et des barrages improvisés avec des troncs d'arbre et des barres de fer.

 

Mais comme tous les pouvoirs trop forts pour oublier que la véritable force ne gît en réalité que dans le peuple, Me Wade ne pouvait pas voir que ce jour du 23 juin sonnait le glas de 12 ans de Sopi. Et Macky Sall qui a été assez malin pour comprendre que les carottes étaient cuites pour son « père » qu'il voulait terrasser « doucement », selon ses propres, a fait sa campagne électorale, au moment où le M23 mettait le feu partout. Un des plus grands agents de renseignements du Sénégal, qui a eu à occuper la Direction de la surveillance du territoire (Dst) a d'ailleurs été viré, avec la bénédiction de Me Ousmane Ngom pour avoir dit, dès sa naissance, que le mouvement qui était en marche menaçait le régime de Wade. Ainsi fonctionne l'histoire qu'elle vous empêche de voir la réalité lorsqu'elle est trop cruelle.

Mais passés ces évènements-là, quel avenir pour le mouvement citoyen au Sénégal ? Si le M23 a perdu ses crocs avec le départ de beaucoup de ses membres, si les jeunes de « Y en marre » ont mis beaucoup d'eau dans leur vin, il reste quelque chose de plus important qui s'appelle « conscience citoyenne ». Et malgré les velléités du nouveau pouvoir d'étendre ses tentacules jusque dans les espaces sacro-saints d'une citoyenneté active, il va être difficile de canaliser cette vague-là. Sans doute que la seule façon de le faire est de produire des résultats, surtout sur le plan économique, avant les prochaines locales. Toutes autres manœuvres aura le même effet qu'une épée plantée au cœur de l'Atlantique.

 

Par Mamadou Wane

 

 

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