Publié le 10 Sep 2019 - 03:23
A LA RENCONTRE DES FEMMES POTIERES DE BOKI MAOUNDE

Un patrimoine en péril

 

A Boki Maoundé, la poterie est une tradition qui se transmet de génération en génération. Mais face aux défis de la modernité, les faibles gains financiers, la pénibilité du travail, les potières tirent la sonnette d’alarme et demandent de l’aide. 

Reportage.

Dans chaque maison du village, il y a une potière et un petit coin atelier aménagé dans la cour. A Boki Maoundé, c’est une tradition qui se transmet de mère en fille. Vu le succès des produits, elle a de beaux jours devant elle. La localité est située dans la commune de Tankanto Escale, au sud de la région de Kolda. Ici, les femmes occupent une place importante dans la communauté. L’argile est généralement extraite dans un site situé à 10 km du village. Puis, elle est débitée en mottes, concassée, purifiée et détrempée avant d’être pétrie et façonnée.

Confrontées aux évolutions socioéconomiques, les femmes de Boki Maoundé ont adapté leur artisanat aux nouvelles exigences de la vie moderne et aux aléas de la demande, révélant ainsi leur capacité d’innovation. Les connaissances et savoir-faire relatifs à cet artisanat de la porterie manuelle à Boki Maoundé sont transmis, dans le cadre d’un enseignement traditionnel et informel au sein de la communauté mandingue où les jeunes filles sont encouragées à apprendre cet art.

Un travail pénible

Dans le site d’extraction, les femmes creusent la terre. L’argile extraite est tamisée et débarrassée de ses impuretés, notamment les petits cailloux. Ensuite, elle est mélangée à l’eau pour faire une pâte assez molle prête pour la modélisation. Les canaris finis sont mis à sécher près d’un feu de joie. Les femmes utilisent de la terre glaise, du gré altéré, de l’oxyde de fer, de l’eau, du bois et de l’herbe. Les produits finis sont parfois peints et décorés, avant leur utilisation ou mise en vente.

Mais la poterie est un travail pénible. Car les femmes potières sont confrontées à d’énormes difficultés. ‘’Nous sommes installées ici depuis plus de 30 ans. Nous nous transmettons l’héritage de ce métier de génération en génération. C’est un métier difficile qui rapporte peu’’, confie Gnima Touré, une des portières du village. Qui révèle : ‘’Nous parcourons à pied plus de 10 km à la recherche de l’argile. Une fois sur le site, nous nous servons de pioches pour creuser la terre, afin d’en extraire l’argile qui nous permet de fabriquer ces canaris. La confection ne se fait pas dans le village même. Nous transportons le sable jusqu’à la maison, la plupart du temps sur nos têtes.’’

Un chargement coûte 3 000 F Cfa

Fatou Faty, une autre potière, explique qu’elle exerce ce métier depuis plus de 10 ans. ‘’Mon âge ne me permet plus de marcher pour me rendre sur le site où se trouve l’argile. Je paie un charretier par chargement. Un chargement coûte 3 000 F Cfa. Avant de commencer à concevoir les objets, je demande à mes filles de piler l’argile. Ce qui n’est pas facile, en ces temps modernes où tous les enfants (filles comme garçons) vont à l’école. Parfois, je suis obligée de recourir à des pileurs, à raison de 200 F la bassine’’, dit-elle.

Après cette étape, les potières peuvent se mettre au travail. Gnima Touré nous montre comment elle s’y prend pour fabriquer un quelconque objet. D’abord, elle tamise la poudre et elle en fait une pate qui est reversée dans un canari contenant de l’eau qu’on laisse normalement reposer jusqu’au lendemain pour que l’argile soit bien trempée. ‘’Ensuite, je prends juste une petite pate en laissant un trou à l’intérieur et je la mets sur le tourneur. L’intérieur est lissé avec un petit couvercle en plastique et l’extérieur avec un pagne. En moins de 5 minutes, j’ai déjà conçu un objet. En moins de 20 minutes, j’en ai trois’’, dit-elle. 

Kady Nanko d’ajouter qu’une fois la fabrication terminée, elles vont à la recherche de bois mort et d’écorces sèches dans la brousse pour cuire la terre. ‘’Nous passons la journée à faire ce travail actuellement’’.

Ensuite, les canaris sont convoyés et vendus à Kolda. ‘’Un canari coûte entre 2 000 et 3 500 F Cfa, selon sa taille. Mais nous peinons à écouler nos produits. Nous restons pendant des jours, voire de semaines pour écouler nos productions, faute de clients qui nous disent que l’argent fait défaut, surtout en ces temps difficiles’’, précisent certaines potières rencontrées à Kolda-commune.

Sauvegarder la poterie

L’art de la poterie avec la terre cuite est pratiqué par la communauté au sud de la région de Kolda. Les canaris de formes, motifs et styles divers rappellent les croyances et les pratiques traditionnelles de la communauté. Les canaris servent à conserver l’eau de consommation, l’eau bénite, etc. Tandis que les pots servent à aller chercher de l’eau, faire la cuisine… Ils servent aussi au culte des ancêtres et aux rituels traditionnels des guérisseurs.

Les pots sont modelés en forme arrondie, conique ou ovale, depuis la base en terminant par un bord circulaire et sont lissés avec une palette en bois. Une fois décorés, ils sont placés dans un four à mine. Le savoir-faire de la poterie en terre cuite se transmet aux filles et aux petites-filles par l’observation et la pratique.  Toutefois, la pratique risque de disparaitre, en raison du nombre décroissance de maitresses-potières, des prix bas des produits finis et de l’usage de plus en plus répandu des récipients occidentaux.

La pratique nécessite une sauvegarde urgente, à cause du très faible nombre de praticiennes et de leur âge avancé, du manque d’intérêt pour l’apprentissage des savoir-faire et des connaissances parmi les jeunes, de la concurrence et de l’utilisation d’ustensiles fabriqués de manière industrielle et du faible rendement économique de la poterie en terre cuite.

Les potières ont besoin d’équipements

Les femmes potières rencontrées ne souhaitent pas sombrer dans la pauvreté. Pour leur autonomisation, qui est un élément essentiel de leur bien-être et de celui de leurs familles, elles souhaitent un appui en matériel. Car, pour les potières, tout le travail se fait à la main. C’est pourquoi elles ont besoin d’équipement en charrettes pour faciliter le transport de l’argile de la brousse vers le village. A cela s’ajoute également le renforcement de capacités pour plus de qualification afin d’aller à la conquête d’autres marchés plus importants.

‘’Parce que nous ne gagnons pas grand-chose, malgré la pénibilité des travaux. Ici, la poterie reste une simple occupation, pendant la saison sèche. Alors que notre ambition, c’est de devenir des professionnelles de ce métier que nos parents nous ont appris’’, concluent-elles. 

En plus, toutes ces braves femmes potières souhaitent la mise en place de systèmes d’épargne et de crédit dans leurs différentes localités, afin d’accroitre leurs activités économiques, la création d’associations de défense des droits des femmes sur qui elles pourront compter, notamment dans la sensibilisation en faveur de la scolarisation des jeunes filles et l’amélioration des conditions de travail, à travers l’accès aux financements. 

EMMANUEL BOUBA YANGA

 

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