Publié le 28 Jul 2020 - 01:52
LAMINE FATY, DG DE LA CAA SUR LA FUITE DES TALENTS AFRICAINS

‘’Offrir à nos athlètes les meilleures conditions possibles’’

 

Le secrétaire général de la Confédération africaine d’athlétisme (CAA) fait le point sur l’impact de la pandémie de Covid-19 sur la première discipline olympique sur le continent. Son passage au Club de la presse de ce week-end a été aussi l’occasion, pour Lamine Faty, de relever les maux de l’athlétisme africain, dont la fuite de ses talents vers d’autres pays, notamment occidentaux. Selon lui, il faudrait mettre les athlètes dans les meilleures conditions, pour limiter ce phénomène.

 

Changement de statut, de secrétaire général à directeur général de la CAA

‘’Il faut rappeler qu’en 2017, nous nous sommes réunis au Maroc pour revoir la constitution de la confédération par rapport à une recommandation de l’instance internationale qui était l’IAAF à l’époque. Et comme celle-ci a changé sa constitution, elle avait recommandé aux associations continentales d’essayer de même en alignant les leurs sur la sienne. La confédération, saisissant ce message, s’est très rapidement rangée dernière cette mesure, en convoquant son Assemblée générale au Maroc en 2017, pour changer sa constitution.

Depuis, nous n’avons plus le poste de secrétaire général, mais plutôt celui de directeur général. Naturellement, il s’accompagne de nouvelles responsabilités dans la prise de décision. J’étais plutôt exécutif exécutant. A partir de 2017, des responsabilités nouvelles sont accordées au DG de la confédération qui, sans se référer au président ou à l’organe de décision, peut entrainer la confédération dans certains domaines, notamment marketing et financier. Nous sommes chargés de chercher, au nom de la confédération, des partenaires financiers. Nous avons aussi, à travers cette nouvelle constitution, la responsabilité de négocier et même de recommander des partenaires financiers à la confédération. C’est ça l’innovation majeure.

L’autre innovation réside dans le contenu donné à cette fonction de directeur général. Nous pouvons y retrouver des missions qui n’étaient pas directement celles du SG et qui étaient des domaines réservés au président de la confédération. Sur certaines questions techniques ou d’ordre administratif, par exemple, le directeur général de la confédération peut directement répondre au nom de l’institution. Bien entendu, il a une obligation d’information en retour au président.’’

Les impacts de la Covid-19

‘’C’est toujours avec beaucoup de regret et de douleur que nous parlons de cette pandémie de Covid-19 qui affecte le monde entier, principalement le monde sportif. Nous avons, comme tout le monde, été obligés de reporter l’ensemble de nos compétitions majeures. Pour le compte de l’année 2020, nous avions les Championnats d’Afrique de cross-country prévus à Lomé les 7 et 8 mars et les Championnats d’Afrique séniors qui devaient se tenir à Alger du 24 au 28 juin. Malheureusement, avec l’arrivée de cette pandémie, nous avons été obligés de reporter. Mais nous ne l’avons pas fait unilatéralement, parce que nous avons des partenaires dans ces différents projets, notamment les pays hôtes. Nous les avons consultés et sollicités pour réfléchir avec eux sur la bonne attitude à adopter.

Heureusement, nous avons été bien compris, notamment au Togo où le président de la confédération a pris langue lui-même avec le ministre des Sports. Et ensemble, ils ont décidé de reporter jusqu’à l’année prochaine. Il faut juste ajouter que pour le Togo, nous avions prévu d’organiser le congrès de la confédération d’athlétisme. Puisque, selon nos statuts, nous devons tous les deux ans organiser un congrès ordinaire et un électif tous les quatre ans. Nous avons décidé de reporter l’événement à l’année prochaine, entre mi-févier et mi-mars, puisque les Championnats du monde de cross-country sont prévus l’année prochaine vers la fin du mois de mars. Nous devons tout faire pour avoir notre championnat avant ce rendez-vous mondial, pour donner l’occasion à nos athlètes de peaufiner leur forme pour une bonne participation.

A Alger, nous n’avons pas saisi le ministre des Sports, puisque pendant cette période, il faut savoir que l’Algérie était dans une période électorale. Il y avait donc un changement de régime et le ministre avec qui nous avions discuté et convenu de l’ensemble des engagements n’était plus au poste. Néanmoins, la fédération est restée la même et nous avions avec elle décidé de reporter l’événement au mois de mai 2021.

Nous avons pensé à appuyer financièrement nos athlètes parce que la confédération a des quotes-parts sur les revenus de l’association internationale devenue World Atletics. Ces quotes-parts financières, nous les partageons avec les autres associations continentales. Mais dans la réflexion, World Atletics a décidé de mettre en place un fonds de soutien à l’athlétisme. L’idée a été la nôtre avant même World Atletics. Nous avons été conviés par l’Union africaine pour des rencontres en visioconférence pour réfléchir sur les stratégies à adopter face à une telle maladie. Pendant cette rencontre, nous avions proposé la mise en place d’un fonds africain de soutien au sport, pas seulement de l’athlétisme. Nous étions bien heureux de voir que l’idée a été retenue par World Atletics qui est en train de la mettre en œuvre. Au départ, World Atletics avait dit que l’athlétisme africain allait bénéficier de 15 soutiens dans ce fonds. Mais je viens d’apprendre que ce nombre a été porté à 50. Nos athlètes, pas tous, vont bénéficier de ce soutien dont les modalités de distribution et de répartition sont toujours en cours.’’

Le plan stratégique

‘’Le dernier plan stratégique quinquennal a été bien élaboré et nous avons eu l’occasion de le retravailler il y a trois ans, en 2017. Mais avec la nouvelle vision de World Atletics, il a été demandé aux associations continentales de refaire un nouveau plan stratégique. Ainsi, la confédération s’est mise à cette tâche et nous avons commencé à drafter un plan stratégique pour 2019-2023. Il est adossé sur le plan de World Atletics qui détermine la période 2019-2023 pour son exécution. Notre mission est d’assurer le développement des talents, compétences de la base à l’excellence, d’organiser des compétitions de haut niveau et d’autonomiser les personnes qui gèrent les aspects administratifs, techniques pour le développement de l’athlétisme en Afrique. 

L’Afrique regorge d’énormément de potentialités athlétiques. Nous avons une population jeune et saine. Partant de là, nous pensons pouvoir exploiter toutes les opportunités qui peuvent se dégager pour le développement de l’athlétisme africain. Il faut renforcer la participation des jeunes, les attirer à s’intéresser davantage à l’athlétisme. Ce qui n’est pas le cas sur le continent. Nos jeunes ont tendance à aller vers d’autres disciplines, mais je pense qu’on a énormément de valeurs aussi à montrer. Le plan stratégique est dans sa phase de finalisation. Nous avons presque terminé sa conception. Nous avons rafraichi certaines idées et les adapter par rapport à cette nouvelle donne qui est la Covid-19.’’

La fuite des talents africains

‘’La fuite des talents a été longtemps, pour nous, un grand handicap dans le développement de l’athlétisme en Afrique. Bien souvent, nous avons observé, avec beaucoup de tristesse, des athlètes africains se frotter à leurs frères et sœurs du continent dans des compétitions mondiales. Ce n’était pas de gaieté de cœur que nous assistions à ces joutes. Des solutions, il y en a quand même parce que cela a été un plaidoyer fort pour l’Afrique. Nous avons d’abord parlé aux Africains, parce qu’il ne faut pas toujours jeter la responsabilité sur l’Europe. Qu’est-ce que nous avons fait, en Afrique, pour retenir nos athlètes ? Que devons-nous faire pour les retenir ? Quelles perspectives devons-nous leur offrir pour qu’ils ne soient plus tenter de changer de camp ? Et dans l’analyse, nous nous sommes rendu compte que peut-être la motivation était principalement financière et sportive aussi dans bien des pays comme le Kenyan, par exemple.

Nous avons eu plusieurs cas d’athlètes de l’Afrique de l’Est qui nous disaient que les sélections étant très difficiles dans des pays comme le Kenya, l’Ethiopie, par exemple. Puisqu’il y a beaucoup de talents, nous n’avons aucune chance un jour de participer à des championnats du monde ou à des Jeux olympiques. Devant cette inquiétude, ils n’ont pas hésité à changer de nationalité pour pouvoir bénéficier de cette opportunité. Ce que nous devons faire en Afrique, c’est d’essayer d’offrir à nos athlètes les meilleures conditions possibles, en dotant nos fédérations nationales de plus de moyens conséquents pour pouvoir conduire leur mission. C’est vrai que les fédérations nationales dépendent toutes des gouvernements de qui elles reçoivent les ressources. Mais dans bien de cas, n’eût été la subvention reçue de World Atletics, beaucoup de fédérations nationales n’auraient pas existé, car ne bénéficiant d’aucun soutien.

Donc, dans ces conditions, c’est difficile et même utopique de vouloir retenir l’athlète. Dans certains pays, les infrastructures posent un problème. Il n’y a pas assez de pistes d’athlétisme ou alors si la piste existe, elle est souvent partagée avec d’autres disciplines. Pour freiner ce phénomène, nous avons demandé de la plus belle des manières que des freins soient mis en place. Par exemple, l’entente directe qui existait pour que deux parties pour qu’un athlète puisse changer de camp a été éliminée. Nous avons mis en place une période d’attente pendant laquelle l’athlète peut être amené à changer d’avis. Cette période d’attente est de quatre ans.

Ensuite, nous exigeons une assurance des pays qui reçoivent ces athlètes. Dans certains pays, on assurait à l’athlète juste le passeport. Quand il n’était plus performant ou avait des soucis de santé, il perdait presque tous ses droits. Il devenait comme un inconnu dans ce pays. Nous nous sommes assurés aussi pour que le pays qui voulait recevoir l’athlète le fasse dans les meilleures conditions. D’abord, en ayant la nationalité de destination et en disposant des mêmes droits que les nationaux de ce même pays. Finalement, nous avons corsé un peu les conditions. Dans tous les cas, nous ne pouvons pas retenir des gens contre leur volonté. Ce qu’on peut faire, c’est mettre en place des conditions qui puissent atténuer ce phénomène.’’

Les JO de Tokyo

‘’Notre souhait, c’est que cette pandémie puisse être éradiquée dans le monde pour que la vie puisse reprendre son cours normal. Il faut garder espoir sur les Jeux olympique de Tokyo. C’est vrai qu’il ne faudrait pas nous mentir. Il y a des sondages sur le peuple japonais. On parle d’un échantillon de 1 000 personnes avec des sentiments mitigés. Nous ne pouvons pas nous limiter à cela. Il faut continuer à espérer que ces JO se tiennent en 2021. Mais cet espoir est conditionné par la possibilité de guérir le monde de cette maladie et de l’éradiquer complétement. Le processus de mise en place d’un vaccin est en train d’être accéléré. Espérons que ces nouveaux vaccins puissent être disponibles d’ici la fin de l’année.’’

Infrastructures

‘’Le problème des infrastructures est très sérieux en Afrique. Nous avons 54 fédérations membres et toutes ont de bonnes intentions de développement. Mais elles n’ont pas toutes de pistes ou si elles en ont, ce ne sont pas des pistes certifiées. Nous avons dénombré 1 131 infrastructures dans le monde ; mais seules 71 existent en Afrique et seulement dans 22 pays africains. Dans ces derniers, toutes les pistes ne sont pas certifiées. Il y en a qui ne peuvent pas accueillir de compétitions internationales. La politique du président Lamine Diack s’était de doter chaque pays d’une piste.

Il a beaucoup fait dans ce domaine et des efforts ont été consentis par certains de nos gouvernants. L’autre explication du problème des infrastructures en Afrique s’explique par le boom démographique. A Dakar, par exemple, ce phénomène peut conduire les gouvernants à vouloir exploiter plus d’espaces et cela au détriment de l’activité sportive. Cela dépasse notre autorité et nous ne pouvons assister qu’avec beaucoup de tristesse à ces choses. On peut toujours trouver le juste équilibre pour que tous les segments de la vie puissent y trouver leur compte pour le développement national.’’

LOUIS GEORGES DIATTA

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