Publié le 22 Jan 2020 - 17:58

Le commun vouloir de vie commune !

 

De nos jours, trouver un consensus dans le champ politique sénégalais et africain relève presque du miracle. En tout cas, d’un parcours du combattant d’où l’on sort, essoufflé, épuisé. L’entente fraternelle, la cohésion nationale et le bon voisinage en ressortent menacés. Mais comment faire si chacun cherche son intérêt personnel et met en avant son ego surdimensionné ? Les politiciens confondent sciemment adversité et animosité. Pire, ils cherchent à transmettre leur idéologie importée et s’illustrent par leur méthodologie tabula rasa, plus particulièrement, leur zèle politicien et leur hargne clanique qu’ils s’efforcent de transmettre à leurs partenaires et partisans. Ainsi, pouvoir et opposition optent pour la stratégie du pourrissement, au lieu de privilégier un dialogue franc, inclusif  et constructif pour, éviter tout arrêt de travail, synonyme de pertes immenses, difficilement rattrapables.

Quant aux syndicalistes, ils restent et demeurent les principaux instigateurs du réchauffement du climat  et du front social. Ce faisant, ils décrètent trop de grèves pour des intérêts particuliers et corporatistes. Ils organisent aussi trop de manifestations pour combattre le pouvoir en place ou des contre manifestations pour le soutenir. Si ce ne sont pas les élèves et les étudiants qui en pâtissent, ce sont les malades et leurs accompagnants qui en souffrent dans leur chair, mortifiés dans leur esprit. La liste des victimes des mouvements syndicaux va hélas, bien au-delà. Personne n’est épargnée.

La société civile par contre, entretient des relations incestueuses, tantôt avec le pouvoir, tantôt avec l’opposition. Elle se contredit et se confond dans sa démarche déroutante et ses querelles de positionnement. Quelle forte propension des syndicats et de la société civile à réclamer leurs droits sans ne jamais s’acquitter d’abord de leurs devoirs ! Et pourtant, une question s’impose : qu’a-t-on bâti de concret sur le socle du nihilisme ou du jusqu’auboutisme ? Dans la vie, toute négociation exige des concessions, elle bannit tout radicalisme aveugle. Malgré la gravité de la situation, l’on fait comme si de rien n’était. On semble ne pas avoir retenu la leçon de l’échec des cercles concentriques et de l’unité africaine tant chers aux pères fondateurs comme Kwame Nkrumah, Patrice Emérite Lumumba, Léopold Sédar Senghor… On feint même d’oublier que l’ère n’est assurément plus au repli identitaire encore moins au nationalisme. Cela a fait trop de mal avec Francisco Franco, Benito Mussolini et Adolf Hitler et doit constamment servir de leçon pour ne plus tomber dans les mêmes travers.

Ce qui est grave, c’est la dichotomie entre les normes éthiques des religions et le comportement des croyants chrétiens et musulmans sénégalais. Il faudrait réguler les médias et les réseaux sociaux pour éviter tout propos malveillant, toute dérive ethiciste, toute menace djihadiste qui anéantirait le commun vouloir de vie commune. Il urge alors de se rappeler ces belles paroles du président Abdou Diouf  au Vatican le 09 février 2009: « Je tiens comme chance et comme motif de fierté de mes compatriotes le fait qu’un long commerce avec toutes sortes d’idées, de peuples et d’institutions aient forgé en eux cet esprit de coexistence qui cimente le commun vouloir de vie commune qui est un vivre ensemble avec nos différences, dans leurs fécondantes complémentarités. Et il n’est pas exagéré de soutenir que tout ce devenir complexe et mouvant repose sur un socle de religiosité ancienne et permanente »

Force est de constater que les sénégalais, comme tant de leurs frères africains, assistent impuissants à une série de dialogue de sourds, d’incompréhensions, de contradictions, de contestations et d’affrontements qui, trop souvent, auraient pu être évités.  C’est comme si tout le monde n’avait pas le devoir de cultiver le champ du vivre ensemble, du commun vouloir de vie commune, bref l’art de vivre en communauté et surtout de bien vivre en société.

En Afrique, l’individu n’existe que dans le groupe et dans la communauté où chacun se sent investi d’une mission de protection à l’endroit du voisin. Le terrorisme ne se nourrit-il pas en grande partie de la mésentente, des  divisions sociales et du sentiment de certains d’être laissés en rade dans la gestion des affaires de la cité ? Ce qui se passe au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Nigéria (pour ne prendre que le cas préoccupant de ces pays) ne fait-il pas peur aux sénégalais? Cette situation chaotique qui les entoure ne les interpelle-t-elle pas ? Ne doit-elle pas les pousser à plus se parler, à dialoguer sincèrement et à mieux s’entendre surtout en milieu urbain ? La vulnérabilité, l’insécurité et le terrorisme ne devraient-ils pas pousser la collectivité nationale à œuvrer pour le mieux-être et le bien-être des populations ?  Promouvoir la sécurité alimentaire, la sécurité sociale, bref la sécurité holistique ne permettrait-elle pas de renforcer le concept armée-nation,  donc du sentiment d’appartenance à un même peuple avec un seul but et une seule foi ? La devise commune du Sénégal et du Mali n’implique-t-elle pas une armée de défense et de sécurité, une armée qui rassure, une armée de développement ?

Il apparait clairement, que le Vivre ensemble pourtant si important et si nécessaire, souffre dangereusement de l’individualisme, de l’égoïsme, de la condescendance, de  l’exigence, voire de l’intransigeance inappropriés des sénégalais. Or l’altérité suppose qu’on sache lâcher du lest, pour concilier les visions, réconcilier les positions et harmoniser les aspirations. Elle exige que l’on privilégie et magnifie l’unité dans la diversité. Elle encourage fortement le métissage des cultures, l’enrichissement mutuel par les différences fécondantes.

Pourquoi ne pas se rappeler le concept black-blanc-beur sur lequel surfait le président Jacques Chirac lors du parcours victorieux de son équipe à la coupe du monde  France 98 ? Ce concept, à l’époque farouchement combattu par Jean-Marie Le Pen, a-t-il survécu à l’évènementiel et au circonstanciel Coupe du Monde ? Et pourtant la France a, de manière opportuniste, chanté et magnifié le charme de son équipe composée de nègres, d’arabes et de français pures souches, même si nègres et arabes ne se sentent pas français à part entière?

Cela est d’autant plus vrai que les fissures, les blessures et les fractures sociales nous rappellent que, Le commun vouloir de vie commune, intentionnellement prôné par Léopold Sédar Senghor et fort heureusement cimenté par le cousinage ethnique ou parenté à plaisanterie, demeure plus qu’actuel et plus qu’essentiel. Il n’est donc jamais définitivement acquis mais patiemment conquis, reconquis à travers une recherche constante de l’entente, de la concorde, de l’unité et de la complémentarité enrichissantes. Le commun vouloir de vie commune, n’est pas seulement un but, un objectif à atteindre de manière irréversible.

C’est un processus de chaque instant de la vie en société. Il faut le construire avec soin, le bâtir avec passion et y veiller avec tact et intelligence chaque jour, chaque mois, chaque année à travers nos pensées, nos actes et nos paroles. Aucune pensée, aucun acte, aucune parole ne doit perturber, arrêter, empêcher, stopper la marche vers cet idéal commun. Il y va de la paix et de la stabilité du Sénégal et de la sous-région. Or la paix, comme disait feu Houphouët Boigny, n’est pas un mot mais un comportement. Si l’on est d’une bonne ethnie, d’une bonne religion, d’une bonne race, l’on ne saurait être à l’origine de problèmes, de divisions, de violence dans son pays. Autrement, il faudrait s’interroger sur son ethnie, sa religion, sa race et se demander si elles militent véritablement pour l’interdépendance, la paix, la concorde, le bien.

Tout progrès industriel, technologique, numérique doit faire avancer et non reculer la conscience collective et l’humanisme universel. C’est bien de construire des routes, des ponts, des ports, des aéroports, des universités. Combien serait-il encore mieux de construire d’abord la paix, de la consolider et de lutter contre tout ce qui pourrait  la compromettre et la détruire. Si cela n’est pas fait, un simple souffle pourrait transformer en incendie ravageur et dévastateur, l’étincelle qui couve dans le cœur de chacun. Toutes les plus belles et couteuses réalisations (ponts, routes, aéroports, unités industrielles..) seraient alors ravagées et dévastées en un temps record. Car faudrait-il perdre de vue que le cœur du développement, c’est bien sûr, le développement du cœur ?

Alors pourquoi ne pas continuer à bâtir la culture de l'hospitalité sénégalaise sur le socle d'un commun vouloir de vie commune de ce peuple hétérogène ? Pourquoi les peuples d’Afrique et du monde ne bâtiraient-ils pas leur unité autour de ce noble idéal ? Pour vivre ensemble, il n’y a pas besoin de se replier sur soi-même, ni de se refermer sur sa personne, de s’enfermer dans son coin ou de vivre en vase clos. N’avons-nous pas mutuellement besoin les uns des autres ? L’individualisme ne doit-il pas disparaitre pour faire place à l’interdépendance communautaire, source de force et gage de sécurité ?

Par mesure de prudence, il est du devoir de tous et de chacun de faire en sorte que le cœur de l’humanité batte à l’unisson, en chœur multicolore, dans une symphonie polyphonique. Il n’est donc pas tard, mais temps de restaurer les relations brisées : relations avec soi, relations avec ses voisins, relations avec son environnement et last but not least, relations avec son Seigneur. Pour y arriver, gardons à l’esprit ces belles paroles de Martin Luther King Jr pour faire du commun vouloir de vie commune et donc du vivre ensemble un noble art : « Vivons ensemble comme des frères ou nous finirons comme des fous »

Samuel SENE

Consultant-formateur

Ecrivain-chercheur

(221) 77 518 31 57

Holysam67@gmail.com

 

Section: