Publié le 1 Jul 2013 - 05:13
LE GÉNÉRAL MOUHAMADOU MANSOUR SECK EN ROUE LIBRE

“Je n'ai aucune nostalgie de Wade”

 

S'il y a une personnalité à qui l'ancien chef d'Etat, Me Abdoulaye Wade, ne manque, c'est sans nul doute le Général de division Mouhamadou Mansour Seck, ancien chef d'Etat major général des Ar- mées. Ce vétéran parachutiste et pilote de l'Armée sénégalaise, estime en effet avoir été suffisam- ment martyrisé pour avoir une pensée heureuse pour Wade. Dans une interview exclusive accordée à EnQuête, Mouhamadou Mansour Seck, depuis son domicile à Mermoz, se prononce sur la visite du Président américain Barack Obama, parcourt le chemin de la coopération entre les Etats-Unis et le Sénégal, fait le bilan de l'Agoa, tout en insistant sur les défis sécuritaires qui nous interpellent.

 

Général, quand est-ce que vous êtes allé aux États Unis et quelle est l'expérience que vous avez tirée de votre séjour ?

J'ai été d'abord Chef d'État major général des armées parce qu’il faut faire un peu d'historique. En 1991, l'armée sénégalaise a rejoint la coalition pour la première guerre du Golfe et que c’était le général Colin Powell qui était le Chef d’État major des armées. En tant que Cemga de l'armée sénégalaise, j'étais chargé de monter un contingent, de choisir et proposer les chefs. A ce moment, c'était le colonel Keïta qui était le patron du contingent, mais le chef de corps était le colonel Gaye, tous les deux étant des généraux.

À cette occasion, on a quand même connu des troupes américaines puisque nous étions la première armée au sud du Sahara à participer à cette coalition. Les Américains tenaient beaucoup à notre participation parce qu'on ne  voulait pas avoir l'impression d'une coalition Occident contre un pays islamique. Donc nous, nous étions symboliquement quand même des musulmans en majorité et puis ça n'avait pas de prix. Alors, en 1993, j'ai eu ma retraite militaire et le président Abdou Diouf m'a dit ceci : ''puisque vous connaissez pas mal les Américains, est ce que cela vous intéresse d'aller à Washington comme ambassadeur ?'' J'ai dit oui...

Mais dites-nous, comment avez-vous trouvé les États-unis en tant qu'ambassadeur de la République du Sénégal à Washington?

D'abord ce n'était pas mon premier voyage parce que en tant que capitaine, en 1969, je commandais déjà le premier Groupement aérien sénégalais (Gas). J'ai fait un stage aux États-Unis mais, en fin de compte, j'étais déjà un pilote. Mais comme j'étais le seul Sénégalais qui commandait le premier Gas et le plus ancien, j'ai demandé à y aller pour faire la comparaison entre la formation américaine et la formation française, qui sont différentes. Et j'ai fait un stage à England Air Force en Louisiane.

Quand je suis arrivé, le président Clinton, dans son discours, a dit une chose qui m'a un peu surpris, mais qui m'a plu. Il a dit ceci : vous savez monsieur l'ambassadeur votre réputation d'être l'ami des Américains vous a précédé. Après tout nous avons fait la guerre du Golfe ensemble, il y a beaucoup de domaines de convergence entre nos deux pays. Les militaires n'ont jamais pris le pouvoir dans notre pays. Vous venez avec un préjugé favorable''. Je pense qu'il avait raison. Les militaires sont restés des républicains, le Sénégal compte le plus grand nombre de saint-cyriens...
                        
Si vous deviez apprécier, noter les Etats-Unis d'Amérique ?

La première leçon, c'est que les États-Unis, c'est d'abord un pays de nouveauté,  d'imagination, un pays où on vous donne l'opportunité d'exceller. Les excellents dans les écoles, on leur donne toutes les possibilités, on finance leurs études facilement  quelquefois même quand vous êtes étranger. Mais je voudrais quand même insister sur une chose : l'apport de Barack Obama : ce n'est pas seulement matériel. Ce qu'il a apporté est plus important par rapport à ses prédécesseurs. On parle de Bush qui a aidé pour le Sida, Clinton qui a travaillé avec nous pour l'Agoa mais ce que Obama apporte est bien plus important.

En quoi faisant ?

Je crois que Obama nous a apporté, nous noirs, les noirs dans le monde entier, l’espoir, une victoire contre le racisme primaire. Il y a des gens qui sont racistes de bonne foi parce qu'ils n'ont jamais vu un noir percer ou être premier de classe, parce que nous avions des préjugés surtout notre génération. Nous avons connu ça en Europe ou ailleurs. Et même aux États-unis, même s’il y a eu des évolutions, on faisait la différence entre un Africain et un Africain Américain du point de vue traitement. On avait l’impression qu’on était plus respecté parce que nous, nous avons toujours été libres. Qu’un noir occupe la Maison blanche personne n’y croyait. Est ce que vous avez vu l’image de Révérend Jackson en train de pleurer après l'élection qui a porté Obama ? Moi j’étais présent, j’avais un pressentiment que c’était une histoire, un tournant de l’Histoire. Je suis allé aux États Unis, je n’étais pas ambassadeur, j’étais à la retraire. Mais je me suis dit pour qu’un noir soit élu Président des Etats-Unis, il fallait que je sois présent.

Cet apport s’est encore renforcé sur son deuxième mandat parce que Obama a passé son premier mandat, surtout à cause de ce racisme, à démontrer qu’il est américain comme les autres. Parce qu’il est noir, il est né à Hawaï, les gens ont commencé par dire qu’il n’est pas américain. Il a passé son temps à contrôler ça. Ensuite sa religion, du fait que son nom soit assez particulier, surtout après ce qui s’est passé avec Ben Laden en 2001, l’attaque terroriste du 11 septembre. Bref, il y a eu vraiment une suspicion le concernant. Il a passé son premier mandat à s’asseoir en tant que président normal de États Unis. Le fait qu’il perd son temps à passer un examen pour dire qu’il méritait sa place et que les Américains l'aient accepté et l'aient réélu, c’est encore plus fort ; pour dire qu’il n’est pas la par hasard il est là parce qu’il méritait bien la place.

Est-ce la raison pour laquelle il n'a pas voulu venir en Afrique, lors de son premier mandat ?

Il y a un peu de ça, parce qu'il ne s’est pas arrêté là. C’est un Monsieur qui donne toujours l’exemple et demande toujours le rassemblement. Rarement on a entendu Obama parler de noir en tant que tel. Il en a surtout parlé quand il était étudiant puisqu’il a fait Haward. Mais regardez son voyage en Afrique; ses grands parents sont du Kenya, il a pris le pays qui d’après les critères démocratiques est considéré comme le plus représentatif : le Ghana.

Regardez le gouvernement américain, on aurait pu penser qu’avec un président noir, on aurait peut être cinq ou six ministres noirs, ce n’est pas le cas. Son critère, c’est d’abord le mérite personnel. Il est vrai qu'un ministère très important aux États-unis, le ministre de la justice, est occupé par un noir. Mais souvent vous voyez le président, cela peut même être choquant, il est tout seul entouré de blancs parce qu'il prend les gens non pas parce que c’est leur race, mais parce qu’ils méritent la place qu'ils occupent. Ce sont des exemples qui sont plus important que de venir investir ou donner de l’argent. Je pense qu’il nous a tous rendu service. C'est un grand homme.

Mais concrètement au delà de cet aspect symbolique, qu’est-ce que l'Amérique nous apporte aujourd'hui ? On parle de l'AGOA qui a échoué dans plusieurs pays africains, sans doute pas seulement à cause des américains, mais...

(Il coupe). Je pense que pour l’AGOA, le Sénégal fait partie des douze premiers pays qui étaient éligibles et nous avons beaucoup travaillé là-dessus. Cette loi est importante. Elle a été initiée au début des années 90 par un congressman qui s'appelle Jim McDermott qui est un démocrate blanc de l’État de Washington au nord-ouest. Les Américains n'aiment pas l'aide. on a dit pourquoi ne pas changer nos relations avec l'Afrique et parler de commerce ? Les échanges plutôt que l’aide.

Et lorsque nous avons su cela, nous nous sommes réunis, les ambassadeurs, en disant il faut qu’on  discute. On a fait des va-et-vient, on a vu des gens comme Charles Rangel qui était le noir américain  le plus ancien, le senior au niveau du congrès américain, nous lui avons dit : nous voulons discuter avec vous. Ce qui est intéressant, dès que vous parlez de commerce, tous les Américains sont d’accord aussi bien les républicains que les  démocratiques.

Mais au finish qu'est ce qu'on en tire?

Je pense que d’abord, qu’on le veuille ou non, le Sénégal est devenu pendant quelque temps, j’exagère un peu, la capitale du monde, le focus, quand vous prenez le nombre de médias qui sont là, vous voyez même France 24, CNN tout le monde parle du Sénégal. Il y a des gens qui découvrent le Sénégal...

Non, mais par rapport à l'Agoa justement ?

Je ne veux pas être péremptoire, mais l'Agoa, c'est pratiquement un échec. Pourquoi ? Je pense que nous n'y avons pas mis tout l'enthousiasme qu'il fallait, nous Africains et Sénégalais en particulier. Parce que moi j'ai entendu parler de projets qui étaient prévus pour le Sénégal mais qui se sont retrouvés au Ghana. Mais il y a des pays comme le Lesotho, de l'Afrique de l'Est qui sont très loin des États-Unis où cela a marché. Un jour, je rentrais de Washington, j'ai rencontré un ministre. Je lui ai dit  Monsieur le ministre comment ça va. Il m'a dit : ''Général est ce que vous pouvez venir m'expliquer la loi sur l'Agoa. Il y a en effet 150 pages à fouiller.

Lorsque vous dites qu'un tissu ou qu'un truc vient du Sénégal, il y a des procédures qui permettent par exemple à un douanier américain en rapport avec un douanier sénégalais d'aller voir l'usine qui produit, pour savoir si la consommation d'électricité, le personnel, les performances peuvent justifier l'origine. Pour cela il faut savoir éduquer les capitaines d'industries. Il y a aussi un problème d'échelle. Je signale qu'à cause de l'Agoa, l'Afrique du Sud qui est éligible exporte des véhicules Bmw de l'Afrique du Sud vers les États-Unis. Vous voyez jusqu’où ça peut mener.

L'échec de l'Agoa est peut-être dû à la faiblesse de notre économie ?

Il y a eu des Sénégalais qui connaissaient le marché européen. Le marché américain est assez typique. Non seulement ils veulent de la qualité, mais aussi de la quantité. Je pense que si nous considérons que nous ne produisons pas assez de coton parce que les Sénégalais savent faire des tissus, des vêtements et tout ça, si le Sénégal, maintenant que le Mali et le Burkina Faso sont éligibles ce sont des pays qui produisent du coton, pourquoi on ne peut pas se mettre ensemble discuter avec les Américains pour que la finition se fasse au Sénégal et la matière première vienne des trois pays ? Est-ce qu'on s'est assis pour dire voilà ce qu'on devait faire... Je suis sûr d'une chose, c'est que la section économique de l'ambassade des États-Unis est certainement prête pour nous expliquer les critères de réussite.

Finalement est-ce que ce n'est pas plus simple de coopérer avec un pays comme la Chine qui est très présente en Afrique, l'Inde. Là nous parlons des Brics.

Le monde, qu'on le veuille ou non, c'est une espèce de conflit d’intérêts. Les Américains, ils ont investi pour 95 milliards de dollars et les Chinois pas loin environ de 75 milliards de dollars, je n'ai pas vu de chiffre pour l'Europe, mais elle a l'avantage d'avoir colonisé l'Afrique et de bien la connaître. Je pense, de toutes les façons, que dans tous les domaines ce sont des pays qui sont des adversaires. Surtout les États-Unis et la Chine. La Chine occupe le deuxième rang économique. On dit que les États-Unis est la première puissance au monde mais jusqu'à quand ? Il est normal qu'il y ait une espèce de compétition pour les deux pays.

Quel est, selon vous, l'avenir de la coopération entre les États-Unis et le Sénégal?

Écoutez, c'est l'avenir de l'espoir. Il y a le président Obama qui a pris l'initiative pour les jeunes, on dit qu'il y a 70 % de jeunes sur le continent, des matières premières qu'il faut transformer pour avoir des plus-value. Il faut les transformer. Cela donne des emplois etc. Alors cette initiative sur laquelle ils sont en train de réfléchir s'appelle le Yali, qui veut dire Young africain leader initiative, qui consiste à prendre des jeunes pleins d'espoirs qui sont formés et qui sont universitaires, qui seront acceptés aux États-Unis, pour être dans les universités quelques mois et qui reviennent. Ce qui est assez particulier, c'est le fait que l'ambassade des Usa cherche des entreprises qui accompagnent l'initiative.  C'est à dire des gens qui suivraient une industrie, qui suivraient pratiquement ce que les gens font, leurs notations, appréciations et autres, et au retour qui les recrutent.

Ce n'est pas rien. Mais je pense qu'avec tous les avions qui le suivent, il y a surtout des hommes d'affaires qui sont derrière. Au Sénégal on n'a pas beaucoup de minerais mais quelqu'un a dit : il n'y a de richesses que d'hommes. Je prends comme exemple le Japon et la Suisse qui n'ont pas de matières premières et qui font partie des nations les plus riches du monde, parce que les hommes sont intelligents, travaillent et sont disciplinés. Il faut qu'on s'y mettent parce que c'est nous et nous seuls qui pouvons développer notre pays. Lorsque les Américains voient que vous vous y mettez, ils sont encore plus encouragés pour vous accompagner. Pour notre développement il faut que nous soyons disciplinés.

Les États-unis parlent de sécurité sous régionale. Est-ce que l'intérêt n'est pas simplement militaire ? Des hommes à mobiliser sur des théâtres d'opération ?

Dans la sécurité, la partie militaire est infime. La première sécurité, c'est dans l'esprit des gens. Un pays comme Israël où il y a moins de 10 millions d'habitants qui tiennent tête à 100 millions d'Arabes. Chaque Israélien se considère comme un soldat. L'armée s'occupe en principe de ce qu'on appelle les ennemis de l'extérieur, le ministère de l'intérieur et les policiers des ennemis de l'intérieur éventuellement de plus en plus que de terrorisme qui s'est accru. Il y a une espèce de continuité entre les deux... Obama l'a dit au Ghana, il vaut mieux avoir des institutions fortes que des hommes forts. Nous avons chahuté un peu aux Assises en disant qu'il y a six mois nous l'avons dit et écrit.

Parce que le pouvoir démocratique doit être dépersonnalisé, ce n'est pas une personne qui se prend pour un roi mais plutôt quelqu'un qui a été élu et à qui on a donné des termes de références pour qu'il fasse son travail de manière impersonnelle. Mais ce n'est pas un roi et il doit y avoir le contrôle citoyen sur lui. Quelqu'un comme Obama est justement l'avocat de ces principes. C'est pourquoi je dis que, ce qu'il a apporté est plus important que le fait de dire qu'on a donné 500 milliers ou un milliard de dollars. C'est important ça. Que chaque citoyen se considère comme ayant le même droit que tout le monde.

Beaucoup de gens pensent que le Sénégal est le dernier rempart face à la menace terroriste, êtes-vous du même avis ?

Oui, mais il ne faut pas se faire beaucoup d'illusions. Le président de la République, je crois qu'il y a quelques jours, a dit que ce qui se passe au Mali ne peut pas se passer au Sénégal. J'aurais aimé être aussi optimiste que lui. Il ne faut pas qu'on se fasse beaucoup d'illusions parce que nous avons quand même des critères de vulnérabilité. D'abord nous sommes à 95% musulmans. Cela veut dire quoi? Cela veut dire que ces gens viennent prêcher ici chez nous. J'ai écrit quelque chose de ce point de vue au mois de décembre dernier dans un journal de la place en disant qu'il y a des groupes religieux qui sont financés par des pays et on cite le plus souvent le Qatar. Et, jusqu'ici le ministère de l'intérieur donnait des autorisations à ces gens-là.

Mais est-ce que réellement on regarde ce qu'ils font ici. Vous allez dans un endroit comme la banlieue, l'État est pratiquement absent. Vous ne voyez pas de pompiers, vous ne voyez pas d'infirmerie encore moins de préfet. Cela ajouté aux délestages, c'est une jungle et ça peut exploser à tout moment. Donc quelqu'un qui vient qui prend un Sénégalais qui n'a jamais vu de billet de 10.000F, vous lui donnez 50.000F, vous lui demandez n'importe quoi il est capable de le faire. Ça, en matière de prévention, nous devons savoir que c'est une vulnérabilité. En plus, nous avons des frontières qui sont assez poreuses. Et même au niveau des états civils, nous devons savoir qui est sénégalais et qui le l'est pas. Il y a des noms comme Diallo qu'on peut trouver au Sénégal, au Mali, en Gambie, dans les Guinées, mais il faut qu'on fasse la différence entre ceux qui sont sénégalais et ceux qui ne le sont pas...

Nous avons toujours tendance à croire que les dangers ne viennent que pour les autres et que nous ça ne nous arrive pas. Nous devons être préventifs et renseignés et sur ce plan, les Américains peuvent nous apporter pas mal de choses. Dès fois même ils savent des choses sur nous que nous, nous ne savons pas. Est-ce que vous savez que les Français qui ont été tués il y a quelques années en Mauritanie, pour aller se réfugier en Guinée Bissau, sont passés par la capitale sénégalaise ? Des choses comme ça, il faut qu'on l'exploite. Quand vous voyez le dispositif sécuritaire, on n'a jamais eu un dispositif aussi imposant autour du président des États Unis. Clinton est passé de même que Bush mais c'est différent. Il faut qu'on aille étudier les raisons pour lesquelles ils ont bloqué certains coins. Cela veut dire peut être qu'il y a un danger autour de nous. Avant de parler de développement il faut d'abord avoir la sécurité. Ce qui compte, c'est que c'est une guerre globale, mondiale et en fin de compte, ça intéresse autant les Américains que nous.

Pourtant on emmène nos soldats un peu partout à travers le monde alors qu'à côté, on a la crise casamançaise. Cela ne participe-t-il pas à fragiliser notre sécurité intérieure ?

J'ai fait un petit livre que j'ai appelé ''Nécessité de l'armée'' que j'ai écrit du temps que je faisais l'école supérieure des guerres aériennes. Dans l'introduction, j'ai parlé justement de ces problèmes de sécurité. Alors que  nous avons le problème casamançais, nous avons des contingents partout. Il est vrai que la réputation du Sénégal, c'est la qualité de son armée qui non seulement n'a jamais pris le pouvoir, mais qui est dans tous les coins du monde. Quand je quittais le poste de Chef d'état major des armées, on avait plus d'une soixantaine de contingents depuis l'indépendance. Alors que nous étions dans les écoles, le Sénégal avait déjà formé un contingent du Mali.

Comme la Fédération du Mali n'a pas duré longtemps, il a fallu qu'on sépare les militaires sénégalais et maliens. On a été partout au Cambodge, au Sinaï, au Moyen Orient, au Liban, au Congo, au Tchad. Du fait de la qualité des soldats sénégalais, on nous en demande plus que nous devons fournir. Je crois que le numéro 1, c'est l'intégrité territoriale sénégalaise. Ce n'est pas une critique pour les pouvoirs publics. C'est à eux de savoir ce qu'on peut faire ou pas. Mais il est quand même important que les citoyens se posent la question de savoir si nous ne devons pas régler la question casamançaise qui n'est pas seulement militaire. Il faut qu'on commence pas régler nos problèmes avant de penser aux autres.

Vous êtes un membre actif des Assises nationales. Quelle est selon vous la suite à donner à ces concertations?

Nous avons fait les Assises et nous y avons travaillé sur divers horizons. Je ne suis pas un homme politique mais je suis sénégalais. Qui dit politique ou démocratie, dit contrôle citoyen. De ce point de vue, nous sommes tous intéressés. Nous sommes à la retraite et on va laisser le Sénégal avec nos enfants. Ce qu'on peut apporter par notre expertise, on le fait. Alors on s'est réuni avec des gens de divers horizons et il y avait une centaine de parties prenantes dont des syndicats, des partis politiques, des gens à la retraite comme moi. On avait l'impression en 2008 qu'on était presque dans une république royale. Et les gens qui ont quand même l'expérience non seulement du Sénégal et la culture de la démocratie sénégalaise, la demande de liberté des Sénégalais, ne voulaient plus supporter ce qu'on a vu à l'extérieur. Il y avait une espèce de masse critique, on s'est levé pour dire il faut que les choses changent.

C'est ce qui a fait que les Assises ont fait un travail formidable en disant nous allons d'abord commencer par évaluer la situation de la manière suivante : on va poser deux questions à tous les Sénégalais, dans toutes les circonscriptions, dans tous les départements. On leur a dit de nous donner eux-mêmes la situation qu'ils vivent et les solutions qui peuvent régler leur situation. On a fait en plus que cela, huit commissions qui s'occupaient de tous les domaines ont été déployées. Moi j'avais la recherche scientifique, il y avait la justice, l'économie, les problèmes sociaux, l'aménagement du territoire national, etc. Ce qui montre que les Assises ne sont pas un bureau politique encore moins un bureau d'étude qui reste à l'université derrière les climatiseurs.

Pourtant, c'est ce qu'on vous a reproché.

Cela n'a jamais été le cas puisque moi personnellement j'étais à Kédougou en voiture, Kédougou, j'y allais souvent en avion. Les gens étaient à Matam, à Oussouye, et partout. Regardez, les gens du Mfdc. Sans qu'on leur ait demandé, ils sont venus se joindre à nous pour participer aux travaux. À tous les citoyens nous avons dit : ''vous avez le même vote que le président de la République, le même pouvoir, lui il est là parce que vous lui avez délégué vos pouvoirs et c'est ce qui fait qu'il doit rendre des comptes et vous devez le contrôler''.

Une fois qu'on a fait toutes ces enquêtes, on s'est réuni tous ensemble à Saly pendant cinq jours, on en a fait une synthèse de 400 pages et de cela on a sorti le sommet de la pyramide qui est la Charte de la gouvernance démocratique qui est de 12 pages. Le financement de toutes ces activités dont le budget a été de 100 millions à peu près, a été fait par les Sénégalais qui donnaient 1000F, 100f, 50f, etc. C'est un peu comme ce que Obama a fait d'ailleurs pour se faire élire par tout le monde. Je trouve que c'est un travail formidable et les Assises ne sont pas éteintes.

Ce travail vous l'avez fait sans Macky Sall. Il est venu assez tard et avec des réserves.

Ça c'est vous la presse qui le dites. Nous à chaque fois qu'on est en face de lui, il dit qu'il n'a jamais fait de réserve. Moi je l'ai entendu dire qu'il n'a jamais fait de réserve...

Êtes vous optimiste quant à l'avenir par rapport aux résolutions des Assises nationales ?

Oui ! Le président n'est pas un dictateur, nous l'avons connu, il est plus jeune que nous mais j'ai trouvé qu'il est quelqu'un de bonne foi. J'ai eu la chance de l'aborder avant qu'il ne soit président de la République mais il donnait une très bonne impression. Il est venu après l'indépendance, c'est un technocrate. Il prend beaucoup de décisions qui devraient être des décisions de rupture mais je pense qu'il faut que les gens autour de lui l'aident à contrôler l'effectivité de ces décisions au niveau de la base.

Apparemment, vous n'avez pas la nostalgie de Wade?

Je n'ai aucune nostalgie de Wade. On m'a bloqué quand j'ai voulu aller aux États Unis pour être témoin de l'élection d'Obama. Et puis il y a eu d'autres petites choses en dessous, on nous a menacés. Il y a eu des officiers à la retraite qui participaient au départ en 2008 aux Assises, on les a menacés, il y en a eu certains qui ont quitté. Mais moi je n'ai pas quitté parce que je n'ai pas peur ni de Wade ni de Farba Senghor. Ce n'est pas possible. J'ai ma conviction: le Sénégal passe avant tout d'abord.

Avez-vous été victime de menaces?

Il y a eu des menaces à un moment donné mais aussi des cadeaux en douce pour pouvoir vous avoir. Mais moi j'ai dit non. Je ne serais plus un officier. J'accepte soit d'avoir peur soit de rester pour des postes. Ça ce n'est pas moi. Donc on ne pouvait pas être copain, Wade et moi...    

 

 

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