Publié le 11 May 2016 - 19:00
LE PRESIDENT SENEGALAIS DANS UN ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC LE JOURNAL ‘’AL ARABI AL JEDID’’

‘’ Il n’y a pas de véritable menace contre notre pays’’

 

A cœur ouvert, avec l’envoyé spécial du journal  ‘’Al Arabi Al Jedid ‘’ le président Macky Sall évoque les défis auxquels fait face son pays et sa vision pour l’avenir du continent africain.

 

Le Sénégal est peut-être le seul pays africain qui n’a pas connu de coups d’état militaires. Quelle explication pourriez-vous donner à cette maturité dans l’évolution démocratique ?

Je suis particulièrement heureux d’être le garant du modèle démocratique de notre pays depuis son indépendance, dans un climat de stabilité et de sécurité. En réalité la stabilité que connaît le Sénégal est le fruit d’un modèle de cohabitation qui caractérise les sénégalais depuis fort longtemps. Nous sommes un pays de dialogue où ne s’opposent que les idées. Notre pays est constitué de différentes composantes qui partagent leur désir de vivre en paix.

Nous avons réussi, depuis l’indépendance et jusqu’à aujourd’hui, à construire une nation sénégalaise, composée de différents groupes ethniques qui partagent la même terre et le même espace autour d’un même principe, celui de préserver cette entente malgré nos diversités.

Le président Senghor, premier chef d’état du Sénégal (…), était catholique et avait dirigé un pays où les musulmans constituaient 95% de la population. Ce sont les musulmans qui le réélisaient, à chaque fois, pendant 20 ans avec une majorité absolue.

L’exception sénégalaise est la diversité dans l’unité un principe qui résume les valeurs de la nation sénégalaise.

Que diriez-vous de la situation de la démocratie aujourd’hui au Sénégal ?

La situation de la démocratie au Sénégal est excellente. C’est une démocratie qui n’a rien à envier aux démocraties les plus ancestrales. Il s’agit d’une démocratie représentative à travers des élections libres, transparentes et démocratiques. Nous avons pu réussir deux alternances pacifiques sur le pouvoir. Un pouvoir a organisé des élections qu’il a perdu par la suite d’où le degré de maturité de notre démocratie. Le Sénégal est un état de droit et de démocratie. Les points de vue sont exprimés en toute liberté. Je crois que tout le monde est unanime pour dire que ces choses existent bien au Sénégal. Nous en sommes heureux et nous devons préserver ces acquis pour l’avenir de notre pays. C’est cela le plus important.

Un contraste s’impose s’agissant de la situation du pays : un pays stable qui souffre d’une situation économique difficile.

Vous avez raison. Nous sommes un pays à faible revenu mais les efforts déployés tous les jours par les sénégalais nous permet de subvenir aux besoins essentiels de notre pays, bien évidemment aussi grâce à la coopération internationale.  Nous avons pu assurer la stabilité des institutions. Depuis 56 ans le pays n’a jamais manqué à ses engagements à l’endroit de ses fonctionnaires et les besoins vitaux de l’économie ont toujours été financés. Bien sûr nous avons un déficit budgétaire car nous n’avons pas de ressources pétrolières ou gazières. Aujourd’hui il y a des découvertes de gaz et de pétrole qui donneront un souffle nouveau à l’économie, dès que seront atteintes les phases d’exploitation et de production. Puisque nous nous sommes habitués à composer sans ces ressources, celles-ci constitueront dans l’avenir, un apport de plus et un appui qui doit accélérer notre croissance et notre développement. Je crois qu’Allah a exaucé nos vœux. Aux côtés des efforts déployés par les sénégalais, dans leur vie de tous les jours, les ressources pétrolières et gazières vont constituer un appui d’extrême importance pour notre économie nationale.

La stabilité, de nos jours est devenue une denrée rare. Le terrorisme frappe à l’est et à l’ouest. Votre pays a-t-il peur que ce fléau arrive dans cette région ?

Comme vous savez, le terrorisme est presque présent dans tous les pays du monde. Nous devons donc avoir peur qu’il nous frappe. Seulement il ne doit pas constituer une psychose permanente. Jusqu’à présent il n’a pas frappé dans notre pays mais nous sommes conscients que nous n’en sommes pas à l’écart. Le plus important pour chaque pays est qu’il soit mûr et capable, une fois visé, de se relever spontanément et faire face au danger et le vaincre. Le Sénégal veille sur la sécurité de ses citoyens et si des situations embarrassantes intervenaient dans un avenir proche,  nous  serons  suffisamment prêts pour faire face à la situation de manière adéquate et efficace.

Les Etats unis et la France ont évoqué, en février dernier, de menaces terroristes envisagées contre le Sénégal. Ils se sont déclarés disposés à aider le pays à faire face à ces menaces. Quelle est la nature de celles-ci menaces ?

Vous savez les menaces évoquées tantôt par des partenaires, tantôt par des citoyens ou des groupes terroristes interviennent toujours dans un contexte de peur, consécutif à des attentats dans des pays proches.

Aussi certains pensent que des attentats peuvent intervenir dans tel ou tel autre pays, mais il n’y a pas de grande menace réelle contre le Sénégal même si nous sommes dans une situation où nous devons être prêts à toute éventualité et où nous devons travailler dans le cadre de cette stabilité permanente. Il est évident qu’une stabilité pérenne  est chose difficile mais nous œuvrons à être prêts à faire face à toute situation et à tout moment.

Il faut cependant éviter d’entretenir la psychose et l’émoi. Les menaces sont permanentes partout dans le monde et le Sénégal n’est pas une exception en cela.

Quel genre de coopération entretenez-vous avec l’Arabie Saoudite et comment saisissez-vous le sens de l’alliance islamique contre le terrorisme ?

L’Arabie Saoudite représente pour tout musulman un état symbole.

C’est sur cette terre que notre prophète Mohamed, paix et salut sur lui a reçu le message divin. Sur cette terre se trouve la mosquée sainte, à la Mecque et la mosquée du prophète Mohamed à Médine. Il s’agit là de liens particulièrement solides pour nous musulmans. Nous nous sommes sentis concernés dès que l’Arabie Saoudite a appelé à la constitution de cette coalition. Nous avons donné immédiatement notre accord pour l’envoi de 2100 soldats en Arabie Saoudite si nécessaire. Nous travaillons en commun accord avec la coalition et il n’y a pas encore nécessité d’envoyer des soldats sur le terrain. Nous avons cependant envoyé des officiers pour se joindre à l’état-major des forces communes et nous sommes disposés à envoyer des soldats dès que la nécessité se fera sentir, compte tenu des relations particulières qui nous lient à l’Arabie Saoudite, des relations de religion, de coopération ancestrale et le rôle prépondérant que joue ce pays au sein de la nation islamique.

Nous revenons un peu au continent africain. Vos relations avec le Maroc paraissent bien différentes de celles entretenues avec les autres pays du monde. Quel horizon pour l’avenir entre votre pays et le Maroc ?

Le Maroc pour nous est un pays différent. Il est vrai qu’il est un pays arabe mais il est aussi un pays africain. Il est à l’origine de la pénétration de l’Islam en Afrique noire, ce qui a permis de bâtir ces relations historiques extrêmement solides, basées sur les valeurs partagées de la religion musulmane mais aussi sur des échanges commerciaux vieux de plusieurs siècles. Nous avons le devoir aujourd’hui de perpétuer ces relations et le Maroc occupe une place particulière et importante dans le cœur de chaque sénégalais.

Nous œuvrons à accroître le sens et le contenu de nos relations en ce qui concerne les échanges commerciaux, l’investissement et la coopération. Ce que nous avons réalisé aujourd’hui avec le Maroc est très important. Nos pays sont desservis quotidiennement par trois vols depuis Dakar vers Casablanca et vis versa. (…)

Le Maroc investit beaucoup dans le domaine des banques et assurances et bien dans d’autres domaines aussi. Le Sénégal essaye de faire sienne la relation gagnant-gagnant avec le Maroc. Je suis particulièrement heureux  de la nature de ces relations que nous voulons consolider, le roi Mohamed VI et moi-même.

Le terrorisme a frappé votre voisin, le Mali. Y-a-il des plans, au niveau de l’Afrique pour faire face à ce danger ?

Il est difficile de trouver une solution au terrorisme et je renouvelle ma solidarité avec le peuple malien frère. Nous travaillons avec le Mali sur le terrain pour faire face au terrorisme. Je pense que la lutte contre le terrorisme commence par la lutte contre la pauvreté et par l’immunisation des musulmans eux même contre l’esprit extrémiste, car les musulmans sont les premières victimes du terrorisme. Il faudrait également assurer aux jeunes générations des emplois stables. Nos pays travaillent en ce sens. Ils œuvrent à la création du plus grands nombre d’opportunités d’emplois pour les jeunes pour qu’ils ne soient plus une cible facile à embrigader pour les groupes terroristes. Nous devons également travailler à empêcher toute forme de marginalisation. Dès que les populations sentent qu’elles sont marginalisées ou exclues, elles seront plus réceptives à la propagande des groupes extrémistes. Nous œuvrons à offrir aux jeunes sénégalais et aux jeunes africains des emplois stables. Evidemment notre route ne sera pas jalonnée de roses, mais nous continuons tous les jours à travailler pour la création d’opportunités d’emplois pour la jeunesse.

La situation de votre pays diffère de celles des autres. Le Sénégal est un pays musulman et stable. Le terrorisme et l’extrémisme sont les plus grandes menaces aujourd’hui pour les pays arabes et musulmans. Quels conseils donneriez-vous à ces pays pour faire face au terrorisme et à l’extrémisme ?

Nous partageons avec le monde arabe l’Islam qui est notre religion commune. Tel est le fondement le plus important des relations solides qui lient le Sénégal et l’Afrique au monde arabe. L’Islam qui fait de la langue arabe un outil de communication. Il y a aussi les liens géographiques, les relations de voisinage et d’autres relations multiformes. Nous appartenons à la Ouma islamique et appartenons à la même organisation, l’organisation de la conférence islamique. Nous livrons la même bataille, celle de libérer la Palestine et préserver les intérêts du peuple palestinien. Nous faisons face aux mêmes défis, le terrorisme en tête. C’est pourquoi j’invite les pays arabes à travailler avec l’Afrique, dans la cadre d’un partenariat d’amitié afin de vaincre les défis, à travers l’échange d’informations et un travail commun pour la mise en place de moyens importants à même de consolider la stabilité et la sécurité à travers une coopération militaire et sécuritaire. Je crois que les relations qui nous unissent peuvent nous permettre de parvenir à des résultats positifs en ce sens

Comment voyez-vous vos relations, de manière plus générale avec les pays du Golfe et la possibilité de les développer ?

Nous entretenons de solides relations avec l’Arabie Saoudite et j’en ai expliqué les raisons. Nous avons aussi de bonnes relations avec tous les pays du Golfe arabique. On pourrait parler de relations historiques avec 5 autres pays de la région : les Emirats Arabes Unis, le Koweït, le Qatar, Oman et Bahreïn. Avec le Qatar nous développons des relations économiques et commerciales basées sur l’investissement privé. Nous militons pour l’arrivée des capitaux  et les investisseurs arabes sur le continent africain. Je souhaite que ces pays, et particulièrement le Qatar, puissent poursuivre et développer cette nouvelle forme de coopération. La coopération avec le Qatar est axée sur les secteurs du gaz et de l’électricité mais d’autres projets commencent à se dessiner.

Je crois que les relations diplomatiques n’ont de  sens aujourd’hui que si elles s’accompagnent d’un partenariat économique, c’est-à-dire l’investissement et le commerce. Evidemment il y a la coopération et les aides, mais sur lesquelles nous ne nous basons pas beaucoup, car nous considérons que nous pouvons développer les relations entre nos pays grâce à l’investissement et au commerce.

Vous avez hérité, de votre prédécesseur des relations avec Israël, et nous avons constaté ces derniers temps que vous jouez un rôle important en faveur de la Palestine, à telle enseigne que le président Mahmoud Abbas vous a décoré lors de votre présence au siège des Nations unies.

Il s’agit d’un processus historique très ancien et extrêmement complexe. Nous déployons tous nos efforts pour parvenir à des négociations qui aboutiraient à la solution  de deux états. Israël a déjà son état et les palestiniens ont le droit d’avoir leur état, indépendant et reconnu internationalement avec des frontières reconnues elles aussi. Le Sénégal avait présidé la commission onusienne pour la défense des droits inaliénables du peuple palestinien. Dans ce cadre, le président palestinien, Mahmoud Abbas m’avait décoré de la plus haute distinction de son pays et je voudrai ici le remercier personnellement et remercier le peuple palestinien, au nom du peuple sénégalais. Nous devons continuer cette action pour consacrer la solution de deux états pour que les deux peuples puissent vivre dans la concorde et la paix, avec chacun son état.

De notre envoyé spécial à Dakar : Béchir Al Bakr
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