Publié le 18 Mar 2020 - 05:44
LUTTE CONTRE LA COVID-19

Les habitudes dans les transports inchangées

 

Les rassemblements publics sont interdits sur tout le territoire sénégalais. Mais cette notion est problématique. Elle semble ne pas concerner les affluences de circonstance, spontanées, les masses dans les bus, dans les marchés de Dakar. Les transports surtout continuent de drainer des foules. Un tour dans la capitale a permis de constater la situation qui a libre cours.

 

Des clients toujours au rendez-vous, des silhouettes sous une mosaïque de couleurs sont visibles au loin, l’afflux de personnes est ininterrompu. Les vendeurs ambulants occupent l’une des entrées. Nous sommes au garage interurbain de Colobane. À l’intérieur du site, les cars ‘’Ndiaga Ndiaye’’ s’offrent à perte de vue. Ils desservent différents quartiers de la banlieue. ‘’Thiaroye, Yeumbeul, Case-ba’’, scandent des ‘’coxeurs’’ pour guider les clients. Le décor est inchangé pour les habitués des lieux, en ces temps de Covid-19.

Sous le chaud soleil, des groupes d’apprentis, dans l’attente de faire le plein de clients, discutent aux portes de leurs cars. Quelques chauffeurs devisent également sous une tente de fortune. Les vendeuses de cacahuètes, de café, de crèmes glacées sont tous là. La Covid-19 semble ne pas avoir d’emprise sur les scènes et les habitudes quotidiennes. Mais quelques clients dans le flot de ceux rencontrés rappellent, par moments, la situation exceptionnelle. Mais ils se comptent sur le bout des doigts ; entre quelques rares quidams qui portent le masque ou des dames qui protègent leur visage avec leur voile.

Issa Diallo est l’un d’entre eux. Interrogé sur le motif du port du masque blanc qui cache sa bouche et son nez, le jeune étudiant à l’université de Dakar au teint clair avec les cheveux un peu roux, est sur le point de rallier les Parcelles-Assainies. Il s’explique : ‘’J’ai mis mon masque pour parer à la Covid-19. Et je crois que si chacun en faisait de même, on pourrait éviter sa propagation et, par ricochet, son impact sur tout le système. Déjà, l’éducation est paralysée. A terme, l’économie pourrait l’être. Donc, ces mesures préventives sont nécessaires.’’

En effet, les voitures de transport comme les ‘’Ndiaga Ndiaye’’, n’accueillent pas moins de 38 passagers. En plus de ceux qui s’assoient après remplissage sur un banc introduit pour la circonstance, dans le cadre de la recherche effrénée du gain. Cette promiscuité constitue une problématique accrue, en ces temps de propagation rapide du coronavirus.

Une situation dont se désolent les voyageurs. ‘’Vous voyez comment les gens sont nombreux ici. Le virus peut se propager rapidement ici’’.  Mais ce mal est nécessaire. ‘’On ne peut empêcher que les cars se remplissent, ajoute Issa Diallo, tout comme les regroupements au marché. Cette tâche s’annoncerait plus qu’ardue, parce que les gens doivent aussi travailler pour survivre’’.

Dans l’espace réservé au circuit Colobane - Arrêt Thiaroye-Yeumbeul. Khadim Sylla, au volant de son car, la musique à fond, se confie sur les mesures qu’il adopte pour se prémunir du coronavirus. Bien que ne portant pas de masque, il cite les mesures qui siéent : ‘’Ne pas saluer de la main, porter un masque, mettre des gants. Je ne vois que ces mesures de protection.’’ Ce dernier d’implorer, au nom de son marabout, la fermeture des frontières. Mais quand au scénario de l’arrêt momentané du transport soulevé, il tique. Il parle d’un cas de figure qui serait difficile à opérer, vu que lui et ses collègues sont des soutiens de famille et les font vivre avec leurs activités.

‘’La voiture est pleine. Allons-y’’, signale au chauffeur un jeune sur le marchepied, tout en donnant des coups sur la vitre du car pour le départ. Ce qui a le don de tympaniser les passagers.

Derrière cette voiture, des chauffeurs sous un espace de fortune, devisent. A leurs côtés, une dame, la quarantaine, un bol rempli de crèmes glacées. Elle se nomme Marie Diouf (nom d’emprunt). Elle est consciente des risques encourus avec son commerce par rapport à la maladie qui anime les débats. Elle se dit déboussolée des fois par les commentaires du camp des incrédules, face à l’existence de cette pandémie. Il n’empêche que sous la pression de sa fille aînée à Saint-Louis, elle a envoyé tous ses enfants au village. Elle-même promet d’arrêter son activité dès que sa réserve sera vidée. Pour se protéger et prémunir ses clients, elle enveloppe sa marchandise. Mais aussi prend les crèmes glacées et les remets avec un mouchoir aux clients.

Le spectacle au garage de Colobane est également visible sur l’ensemble des circuits. Tout au long de l’axe Mermoz - avenue Cheikh Anta Diop… Les bus Tata, les bus Dakar Dem Dikk (DDD) sont pleins à craquer. Des changements de comportement ne sont pas visibles. Une foultitude de personnes debout tenant les traverses métalliques. Les arrêts et les fils pour entrer dans les voitures, on en voit toujours. Pas de distance d’un mètre opérée. Les discussions vont toujours bon train à l’intérieur.

Dans le garage des bus de la société nationale de transport DDD, toujours à Colobane, les lignes express continuent de rallier Rufisque et Keur Massar. La distribution des numéros d’arrivée, la queue à faire pour entrer dans le bus n’ont pas changé. Mais la ligne qui démarre ses tours à 16 h 00 et qui les répète à une fréquence horaire jusqu’à 20 h, a trouvé une parade pour éviter la pléthore de clients, face à la demande toujours importante. Ils ont reçu instruction, selon les dires des agents trouvés sur place, de décaler leur départ de 10 minutes avant l’heure habituelle. Le résultat est visible sur le trafic. L’affluence a été des moindres aux départs des bus à 16 h 50 mn pétante. Pour ce qui est du décor intérieur, il n’a pas grandement évolué. Il n’est signalé pour le bus de couleur jaune qui va vers Rufisque que quelques rares personnes avec des antiseptiques visibles à la main.

Mais les poignées sont toujours d’éventuels vecteurs microbiens. Et entre les différents arrêts de bus, les clients avançant se relaient sur les traverses métalliques, appuis nécessaires souvent pour être plus près de la porte de sortie unique.

Pour les bus Tata, aucun changement n’est noté au garage de Colobane. Un régulateur, sous couvert de l’anonymat, parle de mesures à adopter pas encore reçues de leur hiérarchie. Mais, pense-t-il, ils sont en train d’y réfléchir. En attendant, les bus continuent à être surchargés, reconnait-il. Le motif est simple : plus les voitures ont de clients, plus les gains pour le chauffeur et le receveur sont importants. Mais ce dernier de reconnaitre des mesures prises individuellement par ses homologues et de se féliciter d’un lot de désinfectants octroyés par l’un de leurs partenaires récemment. La direction Aftu annonce la distribution de gels hydro-alcooliques et ‘’autres métariels nécessaires’’. La remise se fera aujourd’hui, a-t-on appris.

Ces autres niches de propagation rapide

Les habitudes sont toujours tenaces chez les populations. A Fass Casier, un groupe de quarantenaires a improvisé une séance de thé. Au nombre de 3, ils répondent à notre interpellation sur d’éventuels risques de cette activité. D’abord, le préposé aux ‘’normaux’’ (NDLR : Tasses de thé) qui s’active sur son fourneau, du reggae en fond sonore, dit adopter des mesures de propreté quant à l’usage des tasses. Il prend à témoin son ami habillé d’un polo blanc dont des lunettes cachent ses yeux, sur le lavage récent d’une tasse après un doute sur sa propreté. Il y a des habitudes dont on ne peut se départir, reconnait-il tout de même. Pourquoi pas l’usage des tasses à jeter, le relance-t-on ? ‘’Les tasses à jeter comportent tout aussi des risques par rapport à la chaleur et les particules qui fondent, disent les médecins’’, rétorquent-ils. ‘’A la fin, que faire ?’’, s’interrogent-ils de concert.

Au marché de Colobane, même si l’affluence a baissé, les alentours du rond-point refusent toujours du monde. Des vendeurs ambulants s’agglutinent au bord de la route, des étals poussent toujours les clients à se disputer la chaussée avec les voitures. Un ‘’embouteillage humain’’ qui donne lieu à des exercices de contorsionniste pour se frayer un passage. Des blocs entre personnes qui arrivent constamment.

Des gestes à encourager, mais une communication d’ensemble à améliorer

Au ‘’market’’, à certains endroits, les vendeurs ont improvisé, à des intervalles réguliers, des seaux d’eau et des désinfectants pour un lavage des mains régulier. C’est leur manière à eux de lutter contre les microbes. Ibrahima Fall, qui fait partie des initiateurs, derrière sa vitrine où il expose ses portables haut de gamme, parle de la stratégie adjonctive qu’il adopte, face au risque de Covid-19 : ‘’Je me lave constamment avec du savon liquide ou à l’aide d’un antiseptique, après les salutations aux personnes que je ne veux offusquer. Si j’ai des affinités avec une personne qui me tend la main, j’use de l’humour pour lui dire qu’on interdit les contacts intermanuels et je parviens à mes fins souvent sans froisser la personne.’’

Sur les risques de contacts accrus dans les marchés, Iboulaye est formel : ‘’Il n’y a pas que le marché qui soit une zone de contacts ; les regroupements familiaux le sont. Donc, celui qui ne veut pas en avoir doit rester chez lui.’’ Cheikh Diop et Ibrahima Fall, qui ont des places attenantes, ont arrêté de porter leur masque. Un moyen de protection qui semble pourtant nécessaire pour eux, vu leurs contacts et leurs discussions avec les clients. Mais eux ont arrêté d’en porter, suite à des communications faites et d’autres dont ils ont eu écho. On entend dire que les masques sont efficaces 3 heures de temps, c’est pourquoi je n’en porte plus, dit Iboulaye, à la suite de son ainé Cheikh qui sort le sien de sa vitrine pour prouver qu’il en a bien un.

MAMADOU DIALLO (STAGIAIRE)

 

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