Publié le 21 Jan 2021 - 22:08
LUTTE CONTRE LA PANDEMIE

De l’influence des religieux 

 

L’application des mesures édictées par les autorités sanitaires pour lutter contre la pandémie de coronavirus, est prônée par les grands chefs religieux. Malgré leur influence sur la vie spirituelle des fidèles, ces derniers éprouvent plus de difficultés à se faire entendre sur des questions sociétales.

 

Bientôt une année que le Sénégal a connu son premier patient confirmé malade du coronavirus. Vingt-trois mille cas (ayant fait au moins 500 morts) plus tard, le déni de la maladie existe encore au sein de la société. Parmi ses différentes composantes, beaucoup ont pris part à la campagne de sensibilisation contre la propagation de la pandémie. Si l’efficacité de celle menée par les autorités gouvernementales est souvent décriée, les résultats de l’apport de l’implication des religieux, jugés plus influents que les politiques et les administratifs, peuvent également prêter à beaucoup de questionnements. Malgré les appels des chefs religieux au respect des mesures sanitaires édictées par la Cellule de lutte contre la Covid-19, le port du masque, la distanciation sociale et l’annulation des rassemblements ne sont pas scrupuleusement respectés par la majorité des Sénégalais. A moins qu’ils n’y soient contraints par la présence d’une autorité dissuasive (membre des forces de l’ordre).

Pays peuplé à plus de 95 % de musulmans, le Sénégal comporte des confréries soufies qui dictent la conduite religieuse à tenir à la grande majorité de la population. Souvent impliqués dans les grandes décisions prises par leurs fidèles (investissements spirituels, économiques et sociaux), les prières des marabouts rassurent et confortent dans la quête de l’accomplissement ici-bas et dans l’au-delà. C’est tout naturellement que leur implication dans la sensibilisation sur la lutte contre la pandémie de Covid-19 est apparue comme une évidence, pour convaincre le plus de Sénégalais à adopter les gestes les plus efficaces contre la propagation du virus mortel.

Toutefois, beaucoup de facteurs font que l’appréciation de l’apport de cette démarche reste mitigée.       

Première grande autorité sénégalaise à apporter sa contribution financière à la lutte contre le virus en mars 2020, le khalife général des mourides a très tôt annoncé, par la voix de son porte-parole Serigne Bass Abdou Khadre Mbacké, une contribution de 200 millions de francs CFA pour aider le gouvernement à lutter contre la maladie, avant de lancer un appel à la générosité des fidèles, à la prière, à la repentance ainsi qu'au respect des règles d'hygiène édictées par le corps médical.

Parmi les premiers à sonner l’alerte, le khalife des mourides

Son exemple a été suivi en conformité avec les décisions du président de la République d’instaurer l’état d’urgence accompagné d’un couvre-feu. L’ensemble des confréries avaient alors annulé leurs rassemblements, alors que le mois de mars comptait parmi les plus chargés du calendrier religieux : le ‘’Dakka’’ de Médina Gounass, une retraite spirituelle en pleine forêt ; le Magal ‘’Kazu Rajab’’ qui célèbre l'anniversaire de la naissance du deuxième khalife des mourides, Serigne Fallou Mbacké ; ou encore l’Appel des layènes qui célèbre le fondateur de la confrérie de Seydina Limamou Laye, etc.

Du côté de la confrérie tidiane, le discours était le même que celui de Touba. Recevant le chef de l’Etat, en visite à Tivaouane pour présenter ses condoléances suite au rappel à Dieu de Serigne Pape Malick Sy, le khalife général des tidianes avait souligné que la lutte contre la pandémie passerait obligatoirement par la tenue d’un langage de vérité aux populations : ‘’Il faut dire la vérité aux Sénégalais, au regard de la pandémie avec son corollaire de contaminés et de morts, changer de stratégie de communiquer, entre autres, pour endiguer le coronavirus, avant qu’il ne soit trop tard.’’

Dans cette mouvance, le clergé catholique s’est plié aux prescriptions des autorités étatiques et très tôt décidé de la suspension des messes. Ensuite, malgré la réouverture des lieux de culte en mai, l’église avait décidé de prolonger la suspension des Messes de caractère public pour endiguer la propagation du virus. Ce n’est qu’en mi-octobre que les premiers diocèses ont repris avec des messes, tout en insistant sur le respect strict des gestes barrières dans les lieux du culte. Ainsi, dans la célébration du culte, il y a eu quelques changements pour s’adapter à la pandémie. Le port du masque est obligatoire, la distanciation physique est de mise au sein des églises, plus de salutations, lors du cule…

Mais, malgré ces prises de position de ces influenceurs de premier choix, des incohérences et le manque de rigueur notés dans l’application des mesures expliquent la réticence de certains sceptiques à s’appliquer les gestes barrières. Peut-on en déduire une perte du pouvoir persuasif des religieux ? La réponse est plus complexe qu’il n’y paraît, puisqu’il s’agit souvent de questions de survie pour certaines catégories socio-professionnelles. Egalement, les atermoiements de l’Etat n’ont pas aidé les populations, dans l’acceptation de la maladie.

Portée du refus de la fermeture des mosquées

Les annulations de rassemblements en faveur des évènements religieux ont un temps été accompagnées par une interdiction de rassemblements dans les lieux de culte. A Dakar, l’arrêté du gouverneur de la capitale sénégalaise fermant toutes les mosquées de la région, à compter du 20 mars, n’est pourtant pas du goût de tous. Si la grande mosquée de Dakar et la plupart des lieux de culte se sont pliés aux recommandations des autorités civiles, une petite résistance s’est opérée à Massalikoul Djinane où des fidèles mourides ont été dispersés par la police et le comité de gestion du site. A la mosquée layène de Yoff, l’imam, qui avait bravé l’interdit de rassemblements, a provoqué une confrontation entre forces de l’ordre et disciples s’opposant à son arrestation.

Au bout des quelques semaines, c’est un vent d'insurrection qui a soufflé dans certains foyers religieux comme Touba, Médina Gounass, Léona Niassène, qui ont décidé de prier au forceps dans les mosquées. Des mesures présidentielles n’avaient jamais autant divisé le pays.

Mais la capitulation du gouvernement qui acte l’assouplissement des mesures restrictives et l’adaptation au virus pour sauver l’économie, n’a fait que renforcer une certaine idée de desseins inavoués dans la gestion étatique de la pandémie.

La désunion des confréries dans une approche commune dans l’attitude à tenir face à la propagation du virus, a installé une multiplicité des approches qui a pu jouer en défaveur de l’influence des religieux. Lorsque la finalité des confréries se résume au perfectionnement des voies menant à Allah, comment comprendre que deux approches opposées puissent mener au même résultat ?

Depuis les interdictions de rassemblements au début de la pandémie, la confrérie des tidianes est l’une des rares qui n’a pas repris l’organisation de ses cérémonies et a respecté la fermeture des lieux de culte. Même le Gamou, évènement phare de la cité religieuse de Tivaouane, a été célébré dans les maisons par les fidèles, sur les recommandations du khalife général Serigne Babacar Sy Mansour.

Une réponse religieuse à deux visages, face à la pandémie

A l’opposé, Touba a opté pour des comportements d’adaptation à la pandémie. Les prières de célébration de la Korité et de la Tabaski ont été effectuées dans les mosquées. Le grand Magal de Touba s’est également tenu dans la ville sainte. Le tout, dans une volonté dirigée par le khalife général des mourides Serigne Mountakha Mbacké de respect des gestes barrières. A l’image de la capitale du mouridisme, d’autres confréries ont prôné l’application de la distanciation, lors des prières dans les mosquées et du port du masque de protection.

Le fait qu’aucune augmentation notable des contaminations n’ait été observée à la suite de l’organisation du grand Magal et que la deuxième vague ait débuté bien après la levée des premières mesures restrictives en mai, peut également conforter certains inconscients sur le manque d’impact de leur laisser-aller sur l’accomplissement des mesures édictées par les médecins pour combattre la pandémie.   

La situation doit-elle mener vers un changement de stratégie des religieux ? Les appels au respect des gestes barrières doivent-ils laisser place au ‘’ndiguel’’ (consigne) maraboutique ? Une dernière carte à jouer pour les khalifes généraux face à l’inconscience de certains Sénégalais. Comme l’a rappelé le khalife des tidianes devant le président de la République, les religieux n’obéissent pas à l’Etat, mais à l’islam. Et la responsabilisation prônée par le chef de l’Etat, au moment de la levée de l’état d’urgence, en mai dernier, ne semble pas donner les effets escomptés.  

Toutefois, le spirituel reste l’arme fatale des chefs religieux. Si son apport ne peut être matériellement quantifié, il reste primordial pour bon nombre de Sénégalais.  A défaut de faire observer à la population les gestes barrières, les prières et invocations du Seigneur restent des recommandations de toujours, encore plus en cette période d’horizons incertains.

Lamine Diouf

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