Publié le 8 May 2014 - 15:26
LUTTE - DES ANNÉES D'ENTRAÎNEMENT SANS COMBAT

Dans l’univers infernal des jeunes gladiateurs 

 

Ils sont des centaines voire des milliers de jeunes lutteurs à s’entraîner comme des forcenés, mais peinent à décrocher un seul combat de lutte avec frappe. EnQuête est allé à la rencontre de ces ''futurs stars ?'' en herbe qui rêvent de mettre fin à leur calvaire après plusieurs années de dures attentes. Reportage...
 
 
 
Bountou Pikine. En cette fin d'après-midi de lundi où les derniers rayons du soleil commencent à s'éclipser, les vastes mouvements de foules et les concerts de klaxons continuent de rythmer la vie à l'entrée de cette cité dortoir. Mais cette ambiance n'a rien à voir avec ce qui se passe au terrain d'entraînement de l'écurie de lutte Pape Diop ''Boston'', situé à quelques jets de pierre.
 
Dans cette enceinte de l'École 2 de Pikine, règne un silence de cathédrale, une discipline et un sérieux qui rappellent les grandes écoles de police. Plus d'une dizaine de lutteurs s'y activent et chacun veut montrer son ''pouvoir faire'' et…son ‘’pouvoir devenir’’. Le tout, dans une ambition fiévreuse de descendre dans l'arène de lutte avec frappe pour triompher.
 
Au moment où les uns font des tours de piste pour réveiller les muscles endormis par la fraîcheur de Dakar et sa banlieue, les derniers à arriver, après avoir subi, sans piper mot, les foudres de l’entraîneur, sont priés d'aller se changer pour rejoindre le groupe. Quelques minutes plus tard, débutent les entraînements purs et durs. Ce sont des séances d'appui-avant, de vitesse et de flexions qui se succèdent. Le rêve de gagner des millions leur hante l'esprit, à tel point qu'ils sont prêts aux sacrifices. Mais combien sont-ils à avoir la chance de décrocher un combat en lutte avec frappe ?
 
4 ans d'intenses entraînements et toujours rien
 
Aujourd'hui, plusieurs jeunes s'adonnent à la lutte. Puissance*, donnons-lui ce nom, est l'un d'entre eux. Ce lutteur vient de boucler ses 26 berges. Du haut de son mètre 90 et ses 91 kg, ce natif de Niodior, dans le Sine, n'a rien à envier à Yékini et Balla Gaye 2 à leurs débuts. Son corps bien musclé et ses yeux rougis par le manque de sommeil témoignent de son envie de percer. Après avoir quitté son village natal, il y a plus de 5 ans, à la recherche de lendemains meilleurs à Dakar, le virus de la lutte l'a piqué après juste une année d’intenses activités.
 
Depuis lors, il s’entraîne comme un forcené et ne s’occupe qu’à peine de son travail. ''Au début, j'officiais dans le commerce, jour et nuit ; durant les week-ends, j'allais suivre les ‘’mbàpàt'’ (séances de lutte traditionnelle). Plus j'y allais, plus je devenais accro. C'est ainsi que j'ai commencé à prendre goût à la lutte'', a t-il souligné avec son accent sérère (une ethnie du Sénégal).
 
Depuis bientôt 4 ans, ce jeune lutteur s’active durement à un entraînement quotidien. ''Je me lève tous les jours à l'aube pour aller à la plage. À mon retour, je passe à la salle de musculation ; et le soir, je vais à l'écurie pour les contacts'', s'empresse-t-il de dire entre deux souffles. Il ne cesse de cultiver une force herculéenne. Mais jusque-là, son étoile ne brille toujours pas. Puissance* n'est jamais descendu dans l'arène de la lutte avec frappe. Une situation qu'il vit très mal. ''C'est très difficile de s’entraîner tous les jours sans décrocher le moindre combat'', soupire-t-il.
 
''Je ne me décourage pas''
 
Son palmarès se limite à une dizaine de drapeaux gagnés dans diverses séances de ''mbàpàt'' un peu partout dans le pays. Mais le jeune attend toujours son heure. ''Je garde l'espoir de me frotter aux forts de l’arène le plus vite possible'', lâche-t-il avec rage. Ce qui le motive, au-delà de son ''talent’’, c'est sa famille qui ''croit en lui et les voisins qui le soutiennent en tout''. Aussi, il dit : ''Je reste optimiste. Le découragement ne fait pas partie de mon vocabulaire. Le moment venu, tout le monde saura ce dont je suis capable. Je suis mes entraînements convenablement. Je n'ai pas de femme ni de petite-amie'', poursuit-il sur un ton chargé d’humour.  
 
Son seul souhait, c’est de voir un promoteur taper à sa porte pour lui donner une avance. ''J'ai hâte de prendre langue avec un promoteur pour afin lutter ! Pour moi, avant d'être un gagne-pain, la lutte est un jeu. Je rêve de trouver un adversaire pour faire plaisir à toutes ces personnes qui ne vivent que pour mon bonheur'', déclare le jeune lutteur.
 
''La patience et la prière sont les armes d’un musulman’’
 
Comme Puissance, la carrière du lutteur M.F, qui brave le soleil accablant pour ses entraînements, est loin d'être rose. ''Plusieurs années d’entraînement au quotidien sans jamais avoir été contacté par le moindre promoteur ! Vous ne pouvez pas comprendre combien c’est difficile. Mon calvaire est énorme'', laisse-t-il entendre, la mort dans l’âme. À 21 ans, ce jeune lutteur de Guédiawaye a été attiré par le mirage des millions. ''J’ai tout laissé à cause de la lutte, dit-il sans regret. Mais bon, je ne saurai que m’armer de patience et de prières, uniques armes d’un musulman''. Il explique cependant que le soutien de ses proches lui permet de supporter son martyre.
 
''De bonnes volontés qui croient à mon savoir-faire et à mon avenir, me soutiennent financièrement''. Il salue au passage la bonté de cœur d’un vendeur de petit-déjeuner qui lui sert gratuitement le repas matinal tous les jours. ''Lors des grandes fêtes, il y a des personnes qui m’offrent tout ce dont j’ai besoin. Je rêve d’une seule chose, décrocher un combat et battre mon adversaire de la plus belle manière''.
 
De temps en temps, on frappe à la porte d’un souteneur en qui nous avons confiance pour lui soumettre quelques problèmes. Il est temps d’entrer dans l’arène et de gagner des millions comme les Balla Gaye 2 et consorts'', se confie le lutteur.
 
‘’Les ténors n’ont même pas le temps pour nous… Le milieu de la lutte est composé d’hypocrites’’
 
''Je vais tout laisser tomber si je n’ai pas de combat dans l’arène cette année, il est très difficile de s’entraîner sans jamais avoir de combat’’, peste P.K, lutteur de 22 ans. Il poursuit sa diatribe : ''On me dit toujours de patienter, mais jusqu’à quand ? La carrière d’un sportif est très courte. Je ne vais pas m’attarder à tailler mon âge comme le font beaucoup pour rajeunir.
 
Je m’entraîne convenablement et depuis plusieurs années, j’ai intégré une écurie, il y a juste moins de deux ans’’. La vérité, selon lui, ''c’est que dans les écuries, les ténors n’aident jamais les petits lutteurs. Ils ne sont imbus que de leurs intérêts’’, fulmine-t-il. Il poursuit : ''les ténors n’ont même pas le temps pour nous. Quand ils ont un combat, ils s’entraînent en cachette’’. Puis sa résolution tombe : ''je vais tout laisser tomber si je ne décroche pas un combat dans l’arène cette année.
 
Je préfère aller au port décharger des sacs que de vieillir ici sans jamais empocher un seul franc’’. Puis, il fait feu de tout bois : ''le milieu de la lutte est composé d’hypocrites. Les choses sont mal agencées. Des gens se nourrissent comme des vautours au détriment d’autres. C’est fini, je ne peux plus supporter cette injustice qui ne dit pas son nom. Plusieurs années de perte, c’est trop. Il est temps qu’on décroche un combat et j’en appelle à l’indulgence de toutes les personnes intéressées’’.
 
Comme P.K, plusieurs jeunes lutteurs pullulent dans les écuries et ne comptent même pas un seul combat en lutte avec frappe dans leur fiche technique. Si les uns ont des récépissés en attendant le grand jour, les autres, moins chanceux, croient dur comme fer qu’un jour la chance viendra. Ce sera l’occasion pour eux de montrer aux amateurs ce dont ils sont capables.
 
Par Cheikh THIAM 
 

 

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