Enjeux et réponses

1. Des défis structurels multiples
Pénurie de professeurs : Le pays fait face à un déficit d’environ 6 529 enseignants, comprenant 4 313 postes vacants dans le primaire/pré-scolaire et 2 216 au secondaire . Bien que 4 000 recrutements immédiats soient en cours, le déficit persiste, laissant encore 1 329 postes non pourvus .
Échec scolaire et décrochage : Selon PISA (2017), moins de 10 % des jeunes de 15 ans atteignent un niveau de compétence minimal en lecture, mathématiques et sciences . La cause principale est l’enseignement en français, langue étrangère pour beaucoup d’enfants, notamment en zone rurale.
Impact du COVID et fermeture d’universités : La pandémie a accentué la désaffection scolaire — en particulier chez les enseignants privés — et a entraîné une hausse de la pauvreté estudiantine (grosses perturbations à Cheikh Anta Diop University) .
2. Initiatives de redressement en cours
Programme « Ndaw Wune » : Lancé en 2021 par l’ONG ARED, ce tutorat en langues nationales (wolof, pulaar, sérère) s’adresse à 4 000 élèves pour renforcer les bases en lecture et mathématiques. Les résultats préliminaires montrent une nette progression, avec taux de réussite plus élevés .
Recrutement en urgence : Le gouvernement a lancé en janvier 2025 une campagne pour embaucher 2 000 enseignants supplémentaires, ciblant prioritairement les zones rurales (Matam, Kédougou, Tambacounda). Cette mesure vise à combler rapidement le déficit, mais nécessite un plan pluriannuel pour garantir sa durabilité .
Réformes systémiques annoncées : Depuis juin 2024, l’État évalue tout le système éducatif et engage des réformes ambitieuses : renforcer la formation des enseignants, intégrer les langues nationales, agréger les daaras, planifier les infrastructures, promouvoir l'anglais et le numérique .
3. Pistes de « bouffée de sauvetage »
1. Généralisation du bilinguisme : Intégrer durablement les langues maternelles dès la maternelle et le primaire, comme recommandé par l’UNESCO, pour améliorer la compréhension et les compétences de base .
2. Recrutements ciblés et formation continue : Poursuivre les embauches d'enseignants, accompagnées de formations pédagogiques initiales et continues, avec un suivi régulier pour éviter le sous-effectif chronique .
3. Solidarité scolaire (cantines) : Étendre le programme de cantines scolaires lancé en 2021 (107 000 élèves dans 637 écoles), qui encourage l’assiduité et soutient les plus vulnérables .
4. Appui au numérique : Exploiter les atouts de l’Université numérique Cheikh Hamidou Kane (73 000 étudiants en 2023 grâce à 17 espaces numériques ouverts) pour favoriser l’apprentissage à distance .
5. Inclusion & santé mentale : Former les enseignants aux besoins des élèves en situation de handicap, et instituer des services de soutien psychologique à l’université, là où ils sont quasi-inexistants malgré une demande forte .
4. Engagement communautaire
Partenariat avec les parents et les syndicats : Les syndicats (Union USEQ, G7) et les associations de parents participent activement à la planification, au soutien des enseignants et au suivi des politiques éducatives .
Mobilisation citoyenne : Les autorités locales sont incitées à s’impliquer dans la construction, l’entretien des écoles et l’organisation de collèges de proximité (model « La case des tout‑petits ») .
Le système éducatif sénégalais est à un tournant : bien que solide dans sa structure, il souffre d’un déficit de ressources humaines et d’un désalignement sur les réalités linguistiques des élèves. Les réponses engagées — enseignement bilingue, recrutements massifs, cantines, numérique et inclusion — offrent une voie de redressement. Leur succès dépendra toutefois d’une mise en œuvre cohérente, de financements durables et d’une implication forte de l’ensemble des acteurs (gouvernement, enseignants, communautés, ONG).
Alioune Cheikh Anta Sankara
Expert en développement international
Écrivain
Militant de la Transformation Nationale