Publié le 22 Mar 2012 - 18:19
MALI - COUP D’ETAT

Fin de partie pour ATT

 

Destitué par une armée exaspérée par la situation dans le Nord-Mali, Amadou Toumani Touré quitte le pouvoir comme il y est jadis arrivé en 1991, à la suite d'un putsch et dans un pays en état d’insurrection.

 

 

Amadou Toumani Touré aurait pu partir la tête haute, comme l’un de ces rares chefs d’Etat africains à savoir quitter le pouvoir. Surnommé «A.T.T.», cet ancien militaire de 63 ans, élu en 2002 et réélu en 2007, prévoyait de s’en aller à l’heure dite, à la fin de son deuxième mandat, l’élection prévue pour le 29 avril 2012. Grand seigneur, il a refusé de modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat —là où d’autres, à sa place, ne se seraient pas gênés. Mais son bilan est si contesté chez lui, notamment dans le Nord-Mali, qu’il a été renversé dans la nuit du 21 au 22 mars par ses anciens compagnons d’armes. De jeunes militaires ont aussitôt annoncé avoir mis fin à un «régime incompétent».

 

 

Bruits de bottes

 

Les putschistes ont dissout toutes les institutions et instauré un Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat (CNRDRE). Leur porte-parole, le lieutenant Amadou Konaré, a expliqué qu’ils n’ont pas les moyens de lutter contre la rébellion touarègue et les terroristes d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) dans le Nord. Et promis de rendre le pouvoir aux civils et de mettre en place un gouvernement d’union nationale.

 

Des tirs ont émaillé la journée du 21 mars dans la ville-garnison de Kati et la capitale, Bamako, où des hommes en uniforme ont pris le contrôle de la radio-télévision nationale (ORTM). Les mutins ont d’abord affirmé ne pas vouloir renverser le président ni mettre en péril la démocratie, l’une des plus stables en Afrique de l’Ouest depuis 1992. Ils réclamaient des armes et des munitions pour contrer l’offensive de la rébellion touarègue du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), qui a rallumé la guerre à la mi-janvier dans le nord du pays. Depuis la chute de la ville de Tessalit, le 12 mars, rien ne va plus au Mali. Des cohortes de civils ont pris le chemin de l’exil, avec 195.000 déplacés dont la moitié dans les pays voisins, selon les Nations unies.

 

Le gouvernement, aux abois, a d’abord parlé de «repli stratégique de l’armée» à Tessalit pour des raisons humanitaires. En réalité, il s’agissait d’une déroute en bonne et due forme. D’autant plus difficile à admettre pour l’armée que 70 militaires ont été massacrés le 24 janvier dans une caserne du Nord, à Aguelhok, par un raid vraisemblablement conjoint du MNLA et d’Aqmi. Des soldats qui n’avaient pas de munitions et n’ont jamais eu de renfort, en raison de la corruption qui règnerait dans l’armée à Bamako. Les services logistiques n’acheminent pas l’essence ni les munitions dans les casernes les plus reculées du pays.

 

ATT avait annoncé, en juillet, avoir redéployé son dispositif militaire dans le Nord. Mais son incurie face aux preneurs d’otages d’Aqmi, qui ont commencé en novembre à enlever des Occidentaux en territoire malien, paraît d’autant moins excusable qu’il est lui même un ancien militaire. On l’accuse, dans l’armée malienne mais aussi dans les capitales de la sous-région, extrêmement inquiètes, d’avoir été, au mieux, très mou face à Aqmi, et au pire, complice.

 

 

Laxisme et corruption

 

La corruption a progressé ces dernières années au Mali, malgré l’un des meilleurs taux de croissance de la zone UEMOA (4,5% par an). A Bamako, l’épouse d’ATT était elle-même surnommée «Madame 53%», en raison des commissions qu’elle s’arrogeait sur les contrats et marchés. Les mauvaises langues affirment par ailleurs qu’elle aurait dépensé de l’argent suspect lors d’un voyage en Europe, en septembre 2011. Des billets de banque, dont les gouvernements allemands et français avaient précieusement gardé les numéros, parce qu’ils avaient été versés aux terroristes d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), comme rançon pour libérer des otages.

 

Face à la menace d’Aqmi, «un problème algérien» selon ATT, il a souvent accusé Alger de ne pas lutter efficacement contre un terrorisme mené par d’anciens contrebandiers algériens. Il a longtemps plaidé pour une solution sous-régionale, tout en laissant l’armée mauritanienne, la seule qui soit vraiment engagée dans une guerre contre Aqmi, pratiquer des incursions en territoire malien.

 

Un droit de poursuite contre des convois suspects qui a pu irriter les soldats maliens, dans la mesure où ces incursions, qui ont occasionné des bavures, n’ont jamais été réciproques et organisées par l’armée malienne en territoire mauritanien. Un diplomate ne cache pas que la Mauritanie avait cessé ces derniers mois d’informer les autorités du Mali des raids prévus à Nouakchott: «A chaque fois, il y avait des fuites et les gens d’Aqmi étaient renseignés.»

 

 

Erreurs de stratégie

 

ATT aurait pu rester dans les annales comme le «gendarme de la démocratie», le surnom dont il avait hérité pour ses bons offices en 1991 et 1992. A la tête d’une jeune junte, il avait renversé en 1991 le dictateur Moussa Traoré et mis un coup d’arrêt à la répression sanglante contre le soulèvement populaire en cours, pour la démocratie. Il avait ensuite organisé une conférence nationale et des élections libres, remportées en 1992 par Alpha Oumar Konaré.

 

Fin politicien, il avait passé le relais pour mieux revenir. Il a ensuite refusé des postes à l’étranger pour rester au Mali, s’occuper d’une fondation pour l’enfance et construire, petit à petit, son réseau politique. Tant et si bien que, en 2001, il quitte l’armée pour se présenter, un an plus tard, candidat à la présidentielle, avec le soutien tacite d’une partie de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema). Cette formation politique était alors divisée autour de la succession d’Alpha Oumar Konaré.

 

ATT, qui s’était alors assuré en sous-main du soutien de son prédécesseur, est fortement soupçonné à Bamako d’avoir passé un arrangement avec lui. Une fois président, en 2002, il a bataillé pour qu’Alpha Oumar Konaré soit élu en 2003 président de la Commission de l’Union africaine (UA). De son côté, Alpha Oumar Konaré n’a jamais dit un mot, critique ou pas, sur la situation politique dans son pays durant toutes les années de règne d’ATT.

 

ATT a gouverné toutes ces années sans parti politique, se positionnant comme le président du consensus, armé de sa seule légitimité historique. L’ancien putschiste devenu bon démocrate n’en est pas moins resté très critiqué chez lui. Alors qu’il refuse toute ingérence extérieure —notamment l’appui militaire de la France dans la lutte contre Aqmi— il flirte ouvertement avec le régime Kadhafi. Il a laissé l’ancien président libyen distribuer ses faveurs, comme en témoignent des édifices flambant neufs érigés en 2010 pour le cinquantenaire de l’Indépendance.

 

ATT s’était, certes, inquiété des conséquences, pour le Mali, de la situation en Libye. Mais il a fait l’erreur de ne pas assumer ses responsabilités, en accusant l’Otan de n’avoir pas désarmé les colonnes d’anciens rebelles touaregs qui avaient intégré la Légion islamique de Kadhafi. Ces hommes ont rejoint le Mali en novembre, via le territoire algérien, face à une armée malienne restée impuissante.

 

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