Publié le 19 Aug 2016 - 03:06
MAMADOU KASSÉ (DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SNHLM)

‘’Les sociétés comme la Senelec, la Sones, l’Onas doivent participer dans l’aménagement’’

 

Récemment nommé Directeur général de la Société nationale d’habitation à loyer modéré (Snhlm), Mamadou Kassé peut bénéficier d’une présomption favorable. Urbaniste-aménagiste, ce militant de l’Alliance pour la République était jusque-là un conseiller spécial du chef de l’Etat. Dans sa première sortie réservée à EnQuête, il revient sur les défis de la Snhlm face à une demande croissante en logements. Il a également abordé les difficultés du secteur, notamment les ‘’F’’ : le foncier, la fiscalité et le financement. Sans oublier la part des sociétés concessionnaires comme la Senelec, la Sones et l’Onas.

 

Vous venez de prendre fonction il n’y a pas longtemps.  Pouvez-vous nous dire les conditions dans lesquelles vous avez trouvé la société ?

La société se porte bien. Elle pourrait se porter mieux. D’ailleurs, c’est l’un des grands défis auxquels nous sommes confrontés. D’abord, redorer son blason et la remettre dans sa mission classique. Il ne peut pas manquer de difficultés liées plus à sa mutation et son inscription dans l’ère nouvelle que d’autres considérations. C’est une grande société à grand potentiel. Nous nous inscrivons dans la vision du président de la République qui a l’ambition de donner un toit au plus grand nombre de Sénégalais. Nous en avons comme preuve les différentes décisions qu’il a pu prendre dans le secteur allant dans le sens de la baisse du loyer, la constitution d’un nouveau stock d’unités résidentielles, et de la construction d’espaces nouveaux tels que le pôle urbain de Diamniadio. La Snhlm a son rôle à jouer. Et elle le jouera pleinement.

Concrètement, quelle est la politique que vous avez définie pour jouer votre rôle ?

Vous savez, la population urbaine du Sénégal connaît une hausse importante. Elle est estimée à 43% et devrait atteindre d’ici 2030 52%, selon une étude réalisée par la tutelle. Par conséquent, la demande en logement est supérieure à l’offre avec un déficit de 300 000 logements rien qu’à Dakar. Nous sommes le bras technique de l’Etat, en termes de logement social. Notre objectif donc sera de participer à l’atteinte des objectifs fixés par le gouvernement. Concrètement, nous comptons produire, sur les 10 ans à venir, au moins 5 000 logements parmi les 15 000 qui sont prévus dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE).

Est-ce qu’on est sûr que ces logements seront accessibles aux citoyens lambda ?

Il faut interroger l’histoire. Personne n’a fait aujourd’hui de logements aussi accessibles que ceux produits par la Snhlm depuis 1959. C’est nous qui avons donné à la classe moyenne et la classe qui est en dessous la possibilité d’accéder à un logement. Vous en avez pour preuve les quartiers Hlm qui ont été bien conçus. Nous avons respecté la multiplicité et le prix de sorte que beaucoup de Sénégalais ont pu accéder aux logements. Nous nous sommes aussi rendu compte de la logique d’aménagement qui a fait que la Snhlm a produit plusieurs cadres dans ce pays. Ce sont des quartiers viables et vivables.

Avoir un prix meilleur que les autres ne signifie pas forcément être à la portée du Sénégalais moyen ?

Aujourd’hui, acquérir un logement est un investissement sur le long terme qui est quand même onéreux pour tout le monde. C’est la loi du marché. Nous n’y pouvons absolument rien. Néanmoins, nous restons les plus compétitifs sur le marché. Ça aussi, c’est une réalité. Les sociétés immobilières privées classiques, font de la vente à l’état futur d’achèvement  (VEFA). Soit, vous faites un accord minimum bien déterminé et à chaque fois qu’il y a un avancement selon un timing bien déterminé. Par exemple, à la fin des fondations, à la mise hors d’eau ou à la mise hors d’air, il y a un appel de fonds d’une somme bien déterminée ou sur un pourcentage du prix final.

Alors que nous, nous faisons de la location-vente. Nous sommes les seuls à le faire. On vous donne un apport bien déterminé, par exemple d’un million, et puis vous avez un loyer calculé sur 5 ans. Au bout de 5, 6 ou 10 ans, vous êtes propriétaire de votre maison. Il ne faut pas voir le social simplement dans le prix. Il faudrait le voir dans la manière de payer, d’accéder à la propriété. C’est là où on est différent des autres. Et c’est pourquoi la demande est tellement forte qu’aujourd’hui, il faut absolument qu’on ait un stock foncier beaucoup plus important venant de l’Etat pour justement gérer tous les besoins à ce niveau-là.

A combien s’élève le coût du méga de la Snhlm ?

Il y a des choses qui sont encadrées par la loi. C’est-à-dire que le logement social dans sa définition classique est celui qui est en deçà du seuil de 20 millions de F CFA. Et nous en produisons.

Dakar est privilégié sur tous les projets au détriment de l’intérieur du pays. Quels sont vos projets pour les régions ?

La SNHLM est le seul promoteur immobilier qui peut afficher des références sur l’ensemble du territoire et jusque dans les coins les plus reculés de notre pays. Nous poursuivrons cette dynamique sans relâche. Ma première visite de chantier, après la prise de fonction, a eu lieu à Ziguinchor dans le quartier de Kénia pour la réception de 52 logements sur les 104 de différents standings réalisés.

Tout le monde comprend également qu’il y a une macrocéphalie dans la capitale du pays. Envisager un bon aménagement, c’est aussi faire en sorte que les centres secondaires puissent disposer d’unités résidentielles afin que tout le monde ne vienne pas se concentrer à Dakar. C’est la logique même de l’exode rural et de l’hypertrophie de Dakar et de l’hyper concentration de la population qui amène la question de raréfaction du foncier. Naturellement, il y a de nouveaux espaces. C’est d’ailleurs pour ça que les pôles urbains de Diamniadio, de Bambilor, de Ndangue Kolpa et de Noflaye sont pertinents. C’est la logique de croissance qui nous amène aujourd’hui à la constitution du triangle Dakar-Mbour-Thiès. Et le développement vers Diass et autres. Notre mission est nationale. Nous allons continuer à construire des cités dans les centres urbains secondaires tels que les capitales régionales et départementales. Tout le monde devrait s’inscrire dans cette dynamique.

Ce n’est pas toujours facile apparemment puisque récemment, des populations s’étaient opposées à un projet de la SNHLM dans un quartier de Ziguinchor. Où en êtes-vous avec ce dossier ?

Effectivement, un malentendu s’est produit à Kantenne. C’est tout à fait normal par rapport à un projet de cette envergure. Mais je vous rassure que la médiation est en bonne voie et que l’ensemble des acteurs sont mis à contribution pour une solution durable afin que les 2 000 unités d’habitations prévues dans cette zone puissent voir le jour. Les parties prenantes y travaillent avec professionnalisme et sérénité.

Vous avez tantôt parlé d’hypertrophie de Dakar. Et en même temps, vous parlez de Diamniadio. Certains vous reprochent d’être restés sur le périmètre de Dakar ?

Il faut aussi composer avec l’existant. Il y a une réalité qui est là et à laquelle il faut faire face. On ne peut pas se lever un beau matin et déménager la moitié de Dakar vers l’intérieur du pays. Alors que, peut-être, les infrastructures ne suivent pas. Il faut urbaniser des zones en priorité. Mais au moins, nous sortons de la ville. Nous allons vers l’intérieur. C’est déjà un grand pas.

Quelles sont les principales difficultés dans le secteur immobilier ?

 Elles sont essentiellement liées aux lourdeurs des procédures de passations de marchés publics qui nous mettent dans des positions difficiles face à la concurrence. De plus, la réussite dans notre secteur est dépendante de trois facteurs clés, notamment le foncier sécurisé, la fiscalité adaptée et le financement approprié. La contrainte de l’accès au foncier est un élément bloquant de même que les charges fiscales importantes auxquelles il faut ajouter l’accès au financement dans des conditions abordables, notamment en termes de durée de remboursement et de taux d’intérêts pratiqués souvent entre 8 et 11%. Avec de tels taux combinés aux deux autres facteurs, il est impossible que le logement soit accessible dans les termes attendus par les Sénégalais.

Que voulez-vous concrètement avec la fiscalité ?

Il y a déjà des efforts qui ont été faits par l’Etat. Avec le nouveau code général des impôts, il y a des efforts qui étaient faits en matière d’accès à une fiscalité beaucoup plus adaptée. Il faut savoir qu’en terme de logement, notamment social, c’est la logique des trois ‘’F’’. Il faut une fiscalité adaptée, un foncier sécurisé et un financement approprié. Ce sont les éléments sur lesquels il faut se fonder pour être sur une bonne logique de prix et de production. Partant de là, je pense qu’avec les efforts faits par l’Etat en termes d’adaptation de la fiscalité, on pourra arriver à un meilleur prix et accès au logement. S’il faut y ajouter les nouveaux outils que le Président a mis à la disposition du secteur tels que le Fongip, on peut arriver aux objectifs fixés par le PSE.

S’agissant du financement, qu’attendez-vous exactement de vos partenaires et de l’Etat ?

Si nous avions des taux beaucoup plus accessibles et des ressources qui permettent d’envisager un endettement sur un temps beaucoup plus long, ça serait plus adapté. Je pense que si on allait en deçà de 5%, ce serait exceptionnel. Exceptionnel ! je dirais. Je pense que l’Etat est en train d’y réfléchir, parce que le chef de l’Etat a décidé de convoquer le Conseil national de l’urbanisme pour discuter justement de ces questions. Il faut aussi rappeler que lors du Conseil des ministres du 14 janvier 2014, le Président avait fait une large communication sur le retour de la Snhlm et de la Sicap vers les missions classiques. Je pense que c’est le lieu de discuter de toutes ces questions-là.

Il y a également la question de l’implication des sociétés concessionnaires et de leurs rôles dans le processus ou l’acte de construction. Les sociétés comme la Senelec, la Sones, l’Onas doivent participer dans l’aménagement. Elles ont leur part. Mais si elles ne les prennent pas dans ce qui va devenir leur patrimoine après… Si elles ne participent pas financièrement, la société de promotion est obligée de répercuter ces coûts dans les prix de revient. Ce qui participera à surenchérir les prix. Ce sont des problèmes qu’il faut régler autour d’une table.

N’y a-t-il pas un cadre qui permet d’harmoniser tout cela pour éviter les problèmes ?

Si ! Des cadres ont été initiés. Il y a même eu un Conseil interministériel sur la question. Mais aujourd’hui, il faut un peu interroger l’histoire.  La fermeture de la Scat Urbam a quand même causé des problèmes quelquefois au niveau de ces aménagements-là. S’y ajoute le gel du fonds d’amélioration de l’habitat urbain (Fahu) qui était logé à la BHS, et qui permettait qu’il y ait des aménagements sommaires. Mais ce sont les conditions dans lesquelles la Scat Urbam a disparu et le gel du Fahu  qui nous ont amené dans cette situation. Nous devons trouver un nouveau cadre avec les nouvelles sociétés concessionnaires pour qu’effectivement, cela puisse se jouer sur le prix final. Avec un attrait beaucoup plus facile pour ceux qui ont des revenus modestes et des revenus  irréguliers.  Je fais bien la différence, car il y a bien des gens qui ont des revenus mais qui ne sont pas réguliers et la garantie doit jouer. Et c’est là qu’un instrument comme le Fongip  devient un support important pour l’accès du plus grand nombre au logement.

Dans le dernier rapport de la Cour des comptes, votre structure a été épinglée, même si on sait que ce n’est pas votre gestion. Mais est-ce qu’il appartient à la Snhlm d’être la vache à lait d’un parti ou d’un groupe d’influence ?

(Hésitation). Je pense que la Cour des comptes est dans son rôle. Il ne m’appartient pas maintenant de porter un jugement sur la gestion de mes prédécesseurs. Ce qui m’importe, c’est surtout de m’assurer que le défi auquel nous faisons face sera relevé. Je suis arrivé il n’y a pas longtemps, j’ai tellement plongé le nez dans le guidon que je n’ai pas encore eu le temps  d’éplucher le rapport comme il se doit.  Donc j’éviterai, de manière prématurée, de porter un jugement. Même si j’estime que dans une gestion, il y a toujours des manquements qui peuvent être notés. Nous devons nous inspirer de ces rapports pour appliquer au mieux les recommandations qui en sont issues. Ce qui a été étalé sur la place publique me semble beaucoup plus gros que ce qui est dans le rapport.

Le secteur est miné par un sérieux problème d’arnaque. De soi-disant sociétés empochent l’argent des citoyens sans jamais donner de maisons. Comment expliquer cette situation ?

Nous sommes moins confrontés à ce problème. Déjà, il y a la logique de l’âge. Nous sommes quasi-soixantenaire, avec le plus gros stock de clients et de prospects. Je pense que la société nous fait confiance. Même dans le cas où les réservations sont longues, nous parvenons à avoir un système de remboursement, même s’il peut rencontrer des difficultés de temps. Mais nous remboursons quand même. Nous ne sommes  mêlés à aucun scandale. Alors que nous voyons des sociétés encaisser l’argent de certains souscripteurs sans pour autant que les gens puissent entrer dans leurs fonds après. Maintenant, comme tous les autres, nous faisons face à des problèmes liés au montage des marchés, à la disponibilité de la terre et à la défaillance de certaines entreprises.

Mais au-delà de la Snhlm, il y a d’autres acteurs. Comment sécuriser l’investissement du citoyen, notamment celui de la diaspora, face à tous les risques ?

Moi je ne peux pas parler à la place de la concurrence. Il faut, quand on fait un investissement pour la vie, contrôler, bien sécuriser, c’est-à-dire choisir son prestataire qui doit être sérieux. On sait que quand on doit investir dans le grand luxe, ce n’est pas à la Snhlm qu’on doit venir. On sait également que quand on veut investir dans le social, selon un budget qui est limité, ce ne sont pas également chez les sociétés de grand standing qu’il faut aller. Il faut amener le client à pouvoir faire ces choix-là. Mais il y a toujours des apprentis sorciers qui vont s’ériger en promoteurs immobiliers virtuels par le net et par les sites et qui vendent du vent. Nous, nous ne vendons pas du vent mais de la réalité. Pour la diaspora également, c’est pareil. Nous avons  un système fiable qui nous permet, sur la base des apports qui sont donnés, d’attribuer des terres.

Le secteur immobilier est souvent pointé du doigt pour des questions de blanchiment d’argent. À votre avis, c’est dû à quoi ?

Je ne vois pas quel secteur n’est pas menacé par un tel fléau. Que le secteur immobilier soit pointé du doigt, je veux bien le comprendre, parce que c’est un investissement sur la pierre. C’est un investissement facile qui dépasse les réalités du temps. C’est donc forcément un secteur qu’on suspecte, à tort d’ailleurs.

Dans beaucoup de secteurs, il se pose un problème de conformité entre les textes législatifs et règlementaires et la réalité du terrain. Qu’en est-il du logement ?

Les textes sont toujours destinés à être actualisés ou à évoluer. Aujourd’hui, il y a une nouvelle loi d’orientation sur la promotion de l’habitat social qui est dans le circuit. Il y a également l’actualisation du code de l’urbanisme et du code de la construction qui doivent en permanence faire leur mue et s’adapter aux nouvelles normes et règles. 

Par Babacar Willane

 

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