Publié le 28 Dec 2019 - 10:18
MAMADOU MIGNANE DIOUF, COORDONNATEUR COLLECTIF NIO LANK, NIO BAGN

‘’Il faut continuer à gagner la bataille de la communication’’

 

Le combat pour la baisse du prix de l’électricité ne faiblit pas. Pour le collectif Nio Lank, Nio Bagn, qui poursuit les marches et se lancent dans des visites de proximité, la campagne de la communication est la mère des batailles. Selon le coordonnateur Mamadou Mignane Diouf, il ne faut pas faiblir, malgré les ‘’défaillances’’ dont la justice de ce pays fait montre. Dans cet entretien, il lance un appel aux partis politiques et réclame la libération de Guy Marius Sagna.

 

Le collectif Nio Lank, Nio Bagn poursuit ses manifestations contre la hausse du prix de l’électricité. Qu’est-ce qui est prévu pour cette semaine ?

On a prévu un plan d’action comme des visites de proximité dans les quartiers, les communes et des régions, à l’instar de Louga et Thiès. Dans cette communication de proximité, il est prévu de collecter des factures des personnes victimes de cette augmentation faramineuse. On souhaite aussi initier des activités de communication tous azimuts dans les réseaux sociaux, pour mieux expliquer et convaincre les uns et les autres sur l’impertinence de cette affaire. On veut continuer à rencontrer les organisations sociales, citoyennes, consuméristes, pour que tout le monde soit au même niveau. On envisage d’autres manifestations, à l’image de la marche du 13 décembre dernier. Cette mobilisation est prévue, en début janvier, précisément entre le 7 et le 9. C’est possible qu’elle soit organisée sur l’itinéraire habituel ou non. Ce sera décidé avec la coordination de la plateforme. Nous allons aussi continuer à exiger la libération de nos trois camarades restés en détention, à savoir Guy Marius Sagna et ses codétenus.

Pourquoi avez-vous changé de stratégie en adoptant la proximité dans vos actions ?

On n’a pas changé de stratégie. Nous allons continuer les marches dans plusieurs localités à Dakar et dans les régions. On a inclus cette nouvelle stratégie, parce qu’il faut continuer à gagner la bataille de la communication. Ce qui a fait ameuter les répondeurs automatiques et les mercenaires de la plume qui tentent de nous insulter. Il faut accentuer cette bataille de la communication. L’objectif est d’informer suffisamment toutes les couches de la population, afin que l’Etat revoie cette décision qui est impopulaire.

Quel bilan tirez-vous des actions déjà menées, depuis l’entame de ce combat ?

Le bilan qu’on en tire doit être positif. Aujourd’hui, toute l’opinion sénégalaise est consciente qu’une baisse du courant a été annoncée et qu’unanimement tout le Sénégal le dénonce. On ne peut pas accepter, dans les conditions actuelles où les Sénégalais sont suffisamment fatigués, d’augmenter l’eau, l’électricité, les denrées alimentaires… L’autre satisfaction, c’est de constater la forte mobilisation de la population. Le 13 décembre dernier, quand on a appelé à une marche sur le boulevard du Centenaire, des personnes du troisième âge ont répondu présent avec des cannes, des personnes vivant avec des handicaps étaient également là. Au départ, on était trois organisations, aujourd’hui, nous sommes une quarantaine au sein du collectif. Cela veut dire que tous les jours, des gens de toutes catégories sociales confondues adhérent à ce que nous sommes en train de faire et la liste continuera. On a commencé aussi des consultations avec des mouvements et partis politiques qui aussi condamnent fermement et recommandent à leurs militants de s’associer à nos activités. 

 A mon avis, l’impact de cette contestation a touché même le sommet de l’Etat. Tout le monde parle, nous insulte et nous taxe de rebelles… Cela veut dire que nous avons gagné une bonne partie de la bataille de communication.

Cette contestation est plus portée par des membres de la société civile, comme Guy Marius Sagna, Mignane Diouf, Fadel Barro, Dr Babacar Diop… Qu’est-ce qui justifie l’absence des politiques dans ce combat ?

Je ne veux pas faire le procès des politiciens, car il y a de ces batailles qui se déclenchent par les citoyens. Et sans doute, au fur et à mesure que la revendication prend de l’ampleur, les politiciens seront obligés de rallier. Le ventre mou de la démocratie sénégalaise, c’est que la politique ne s’intéresse qu’au débat du siège, du fauteuil, de la succession. Cela ne devrait pas être comme ça. Une démocratie doit d’abord prendre en compte les questions alimentaires et sociales. Malheureusement, au Sénégal, comme dans beaucoup de pays en Afrique, les partis politiques axent leurs débats sur comment gagner les élections, se maintenir au pouvoir ou éliminer des adversaires et non comment arriver à satisfaire les populations dans leur pouvoir d’achat au quotidien, dans leur couverture sanitaire, dans leur éducation. Une démocratie peut être annoncée dans les pays africains comme le Sénégal qui en est une vitrine, mais c’est une démocratie dont la politique est essentiellement basée sur la politique et non sur les réalités du monde social.

Est-ce que, parallèlement, les associations de consuméristes vous soutiennent dans ce combat ?

Oui, oui. Des structures comme Sos consommateurs, l’Union des consommateurs du Sénégal… étaient là au lancement du collectif et même à la marche du 13 décembre.  C’est vrai qu’on n’a pas l’Ascosen avec nous.

Justement, cette organisation de consommateurs est favorable à la hausse…

C’est son point de vue, on lui concède sa décision, si telle est sa position. Il faut, cependant, poser la question à Momar Ndao : pourquoi il préfère que les consommateurs dépensent plus ? Pourquoi il défend cette position, alors qu’il est censé défendre les consommateurs ? Je ne veux pas commenter son choix.

Docteur Babacar Diop aurait subi une agression durant son séjour carcéral. N’avez-vous pas peur que vos autres camarades, comme Guy Marius Sagna dans les liens de la détention, subissent le même sort ?  

Nous avons sorti un communiqué pour dénoncer l’agression de Dr Babacar Diop, le jour des faits. C’est abominable de voir que les hommes qui devraient apaiser les esprits des citoyens, les mettre en sécurité, même quand ils sont en détention, sont les premiers à violer les droits des personnes. Et souvent, c’est honteux de voir des images, de constater que, quand une personne est arrêtée et entre les mains de la police, des hommes en tenue et armés profitent de leurs postures, au nom de la nation sénégalaise, pour penser qu’elles ont des droits de vie et de mort sur les civils. Je ne peux pas comprendre que quelqu’un à qui on confie un prisonnier, soit-il un terroriste, se permette de le torturer, alors qu’il est désarmé et est dans un espace fermé. C’est odieux, immoral, honteux, illogique et politiquement incorrect.

A chaque fois que vous voyez des populations répliquées vis-à-vis des forces de sécurité, c’est parce qu’elles ne se sentent pas respectées par les hommes en tenue. Il y a une façon de canaliser une foule et aussi un prisonnier qui ne peut pas se défendre.  Et comment un agent pénitentiaire se permet d’’insulter un détenu ! La mère du prisonnier n’en ait pour rien pour qu’on l’insulte. Et ce prisonnier réplique à l’insulte et on le gifle. Vous avez vu aussi ce qui s’est passé avec les journalistes qui ont voulu couvrir la manifestation du collectif à la place de l’Indépendance. Ils ont été agressés par des policiers en civil, ce qui n’est pas respectable dans une démocratie. Il faut que l’Etat apprenne à ses agents, à ses forces de sécurité et de police à respecter les droits des citoyens.

Qu’en est-il alors de vos camarades qui sont toujours en détention ?   

Nos avocats continuent de les voir. Nous avons peur, parce que la justice sénégalaise commence à montrer des failles dans la protection de nos droits. Ce n’est pas parce qu’on a peur qu’on va arrêter. Non ! On va continuer à dénoncer, à nous plaindre chez qui de droit. Il faut faire comprendre à ceux qui doivent prendre leurs responsabilités que ces actes ne font pas partie du travail de sécurité.

Le président du Comité de pilotage du dialogue national sera installé aujourd’hui (hier) dans ses fonctions. Qu’attendez-vous de lui pour la satisfaction de vos revendications ?

Le président Famara Ibrahima Sagna va être installé et nous avons des membres qui vont siéger dans cette plateforme de dialogue national. Ces questions comme l’électricité, l’eau ne peuvent pas être ignorées, si le dialogue se pose. Il y a le coût d’achat des paysans à qui on impose un prix pour la vente de leur produit. Dans quel monde on est ?  Voir quelqu’un produire et qu’on lui fixe son prix de vente. Et ils n’ont pas le droit de le vendre aux autres qui proposent plus. C’est toutes ces questions, plus celles relatives à l’emprisonnement de certains, uniquement parce qu’ils ont organisé des marches de protestation, qu’il faut mettre aussitôt dans le panier du dialogue national. Il faut en parler entre décideurs, société civile, patronat, partis politiques.  

HABIBATOU TRAORE

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