Publié le 4 Mar 2021 - 23:24
MANIFESTATIONS BOULEVARD DU CENTENAIRE

De la fureur, du feu et du sang

 

Hier, la place de la Nation et ses alentours ont connu de violents affrontements opposant les pro-Sonko aux forces de l’ordre. Du feu attisé un peu partout, des saccages et des blessés témoignent de l’atrocité de cet événement.

 

La place de la Nation a été, hier, le théâtre de violents affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants. Jusqu’à 20 h, des échanges de pierres et de gaz lacrymogènes étaient encore intenses. Un peu partout, des pneus brûlés dégageaint des nuages de fumée qui obscurcissaient la vue, des pierres jonchaient le sol. Et l’air était totalement irrespirable, vicié par la fumée et l’odeur du gaz lacrymogène.

En plein milieu de cette grande route menant aux avenues Centenaire, un impressionnant dispositif policier est déployé. Cinq fourgons sillonnent cette rue. A cause de la fumée, la visibilité est réduite. On voit à peine ; des manifestants arrêtés, des jeunes en particulier. L’un d’eux, assis dans le véhicule de la police, a le dos de son t-shirt blanc ensanglanté. Le pare-brise du panier à salade à côté a volé en éclats.

Vers les coups de 18 h, c’est l’accalmie. Les véhicules des policiers sont stationnés aux endroits stratégiques. Les hommes en tenue veillent au grain pour prévenir d’éventuels surgissements de manifestants, pendant que la route qui mène vers la caserne Samba Diéry Diallo, qui abrite la Section de recherches où se trouvait détenu Ousmane Sonko, est bloquée par des voitures bleues devant lesquelles est aménagée une rangée de gendarmes brandissant leurs boucliers.

Mais rien de tout ça ne semble effrayer les manifestants. Vers 19 h 30, alors que l’ambiance qui règne sur les lieux des affrontements ressemble à l’épilogue des manifestations, un groupe de jeunes surgit de nulle part. Ils allument un grand feu qu’ils attisent avec des papiers et des morceaux de bois ramassés çà et là.  Ils ne s’en tiennent pas à cela. Devant ce feu, hurlant, ils engagent une véritable Intifada avec les forces de l’ordre qui, par intermittence, répliquent avec des grenades lacrymogènes.

C’est au beau milieu de ces échanges musclés qu’un journaliste du nom de Moussa Ndiaye reçoit une pierre au genou, le paralysant sur-le-champ. Il a été transporté par un camarade qui l’a porté sur le dos, courant vers l’intérieur du quartier Colobane.

Avant cette scène, une dame qui passait, effrayée, s’est mise à sangloter. Elle était tellement surprise de voir manifestants et policiers s’engager dans un bras de fer qu’elle a craqué. Mais la vue d’un véhicule chargé d’hommes en tenue qui suit un char de combat l’a plus épouvantée. «Que les policiers et les manifestants sachent que ni Macky Sall ni Ousmane Sonko ne valent la peine qu’ils s’adonnent à une telle violence. Je demande aux parents de veiller à ce que leurs enfants restent à la maison. C’est terrible, ces violences’’, dit-elle, des larmes perlant sur ses pommettes.

Des marques françaises ciblées

De la place de la Nation jusqu’aux abords de la mosquée Masalikoul Jinane, en passant par le rond-point Colobane, on voit, partout, les stigmates des manifestations. Des panneaux publicitaires n’ont pas été épargnés, des pneus brûlés réduits en cendres sont amoncelés un peu partout. Au niveau des abribus, les supports publicitaires de l’opérateur téléphonique Orange sont complétement brisés. Les bris de vitre sont éparpillés sur le sol.

 Après le rond-point Colobane, près de la mosquée Masalikoul Jinane, station Total a subi la furie des manifestations. L’épicerie de cette station est complétement détruite. Les vitres brisées attirent l’attention des passants. A l’intérieur de cette boutique, c’est le désordre total. Un pompiste qui travaille dans cette station informe que tout a été emporté. ‘’Que ce soit l’argent, les marchandises, les manifestant n’ont rien laissé. Ils sont venus ici vers 16 h. Mais en ce moment, avec la présence des policiers, ils ont battu en retraite. Et c’est quand la police a quitté qu’ils sont revenus pour nous attaquer’’, informe-t-il. 

Un autre employé blessé au pied droit, dit-il, par un manifestant qui avait un surin, informe qu’ils lui ont demandé de l’essence. Devant son refus, un manifestant a voulu mettre le feu à la pompe à essence. ‘’Dans cette altercation, il m’a blessé au niveau du pied. Cette station, ajoute-t-il, en la détruisant, ils ne font pas du tort à Macky Sall, ni aux Blancs, mais aux Sénégalais. Il n’y a aucun Blanc qui travaille ici, mais uniquement des Sénégalais’’.

Jusqu’à 20 h, manifestants et policiers étaient encore actifs dans les différentes rues. Mais un puissant gaz lacrymogène lancé par les forces l’ordre semblait dissuader les adversaires à un moment. Partout, on entendait des quintes de toux. Manifestants et spectateurs ont vite replié.  eeIbrahima Minthe

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ARRESTATION DU LEADER DE PASTEF, OUSMANE SONKO

Ça a encore chauffé à l’Ucad

Forces de l’ordre et étudiants se sont affrontés, hier, sur l’avenue et à l’université Cheikh Anta Diop. Suite à l’annonce de la garde à vue du leader du Pastef/Les patriotes, Ousmane Sonko, des jeunes protestaient contre le ‘’régime dictatorial de Macky Sall’’ et déclaraient ‘’non à l’injustice’’.

Routes barrées, pneus brûlés, tôles et bois détachés, panneaux saccagés… La cité universitaire a été le théâtre de violents affrontements entre les étudiants et les forces de l’ordre, en témoigne le décor apocalyptique sur l’avenue Cheikh Anta Diop de Dakar. Une vraie Intifada qui a duré des heures.

Stationnés devant la grande porte de l’université, les pick-ups et les camions de la police chargeaient la foule à l’aide de grenades lacrymogènes et les empêchaient de sortir de l’université. Ces derniers répliquaient avec des projectiles ramassés dans la cité universitaire. Ils reculaient, par moments, parfois fuyaient, et se rassemblaient ensuite pour donner la réplique.

Les manifestants jugent arbitraire l’arrestation du leader de Pastef, Ousmane Sonko et ont tenu tête aux forces de l’ordre déployées. Criant et huant les forces de l’ordre, on pouvait entendre des : ‘’Hou… hou… Vous n’êtes rien, vous n’êtes que des marionnettes de Macky Sall…’’. Des groupes se créaient, se faufilaient entre la grande et la petite porte. La réponse des policiers ne tardait pas. Un grand boom (accompagné de vacarme) et de la fumée lacrymogène aidaient à disperser la foule.

Il faut signaler qu’il n’y avait pas que les étudiants qui manifestaient. Des jeunes, identifiés comme habitant la banlieue dakaroise, ont pris part à ces évènements. Pour ‘’affronter les forces de l’ordre’’, ils formaient de petits groupes.

Il était difficile de tenir longtemps dehors dans cette atmosphère. L’air était pollué par le gaz asphyxiant venant de ces projectiles. A côté, des étudiants utilisaient les brouettes du Coud pour approvisionner leurs camarades en projectiles. Çà et là, on n court, on crie, il fallait être tenace pour respirer et tenir dans cette situation.

C’était le même constat à l’entrée du ‘’Couloir de la mort’’ ; les manifestants scandaient le nom de Sonko et ‘’diabolisaient’’ le chef de l’Etat : ‘’Macky Sall dictateur ! Macky Sall dictateur !’’ Dans cette ruelle, les étudiants lançaient des projectiles aux policiers et à des hommes en civil qui continuaient à avancer vers les manifestants afin de libérer la route jonchée de pneus et de bois brûlés. Leurs engins faisaient des va-et-vient et répliquaient devant des manifestants aussi déterminés à en découdre avec un ‘’régime dictatorial’’.

Les forces de l’ordre semblaient contrôler la situation, malgré la détermination des étudiants.

Un jeune étudiant, teint noir et de taille moyenne, foulard cachant en partie son visage, interpellé par la presse, refuse de se prononcer. ‘’Que personne ne parle. Il n’y a que des infiltrés et des espions ici. Rien ne nous prouve que vous n’en faites pas partie’’, justifie-t-il, une grosse pierre à la main. Avant qu’un autre étudiant déclare : ‘’Le temps n’est pas au discours, mais à la résistance.’’

A quelques mètres de la place du Martyr Balla Gaye, des étudiants ne cachent pas leur colère contre le régime. Certains criaient : ‘’Nous n’accepterons jamais ces injustices. Le président Macky Sall veut museler toute la population. Cette dictature ne passera pas.’’ D’autres insultaient les ‘’nervis’’ envoyés par ‘’Macky Sall’’, selon eux. ‘’Nous allons chasser tous ces nervis de Macky Sall et brûler la direction du Coud’’, déclare audacieusement un autre.

Dans cette foule de manifestants, on compte aussi des filles. Certaines se faufilaient entre des groupes d’hommes. Habillée d’un tee-shirt orange, masque noir bien ajusté, cette jeune fille tient une bouteille de vinaigre à la main droite ; c’est pour se protéger des gaz lacrymogènes. Elle refuse de se prononcer sur les motifs de sa présence à cette manifestation, chasse gardée de la gent masculine. Une autre, de teint clair, sort de sa réserve et veut lancer un projectile. Devant des hommes qui l’encourageaient face aux gaz lacrymogènes, elle déclare, confiante : ‘’Ragalouma Lolou’’ (Je n’ai peur de ça). On voyait également des enfants. Le petit Diallo a accompagné ses grands frères. ‘’Nous venons de Grand-Dakar. Nous avons marché jusqu’à l’Ucad’’, fait-il savoir. Aussi jeune soit-il, il connait bien les motifs de ce rassemblement. ‘’Je suis venu pour protester contre l’arrestation de Sonko. A mon âge, je m’intéresse bien à la politique’’, indique-t-il.

Au même moment, à quelques encablures de l’université, des manifestants ont mis à sac les boutiques Auchan et Carrefour de ce quartier. Ils les ont complétement pillées, volant tout ce qui leur était accessible.

C’est au crépuscule que les étudiants ont consenti à regagner leurs chambres et les manifestants à se disperser.

 MOUSTAPHA GUEYE (STAGIAIRE)

 

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