Publié le 5 Mar 2021 - 17:48
MANIFESTATIONS EN BANLIEUE DAKAROISE

Les vitres du TGI cassées, Auchan Pikine-Est pillé

 

La journée d’hier a été très chaude, en banlieue dakaroise. Les manifestants ont attaqué le tribunal de grande instance de Pikine-Guédiawaye, des bus de DDD et le magasin Auchan de Pikine. Une longue journée d’affrontements entre forces de l’ordre et manifestants.

 

Hier, l’étincelle, à Guédiawaye, est venue de la manifestation des élèves de différents établissements scolaires qui, vers 10 h, sont sortis de façon spontanée pour manifester. Ils ont quitté le rond-point Canada, pour se diriger vers le tribunal de grande instance (TGI) de Pikine-Guédiawaye, en scandant ‘’Libérez Sonko !’’ Là, ils se sont mis par lancer des pierres sur les vitres. Les quelques proposés à la sécurité n’ont pu contenir les jeunes qui étaient très déterminés.

Après avoir semé le chaos sur les lieux et laissé une institution méconnaissable et balafrée, ils ont fait cap sur les deux voix de Notaire. En route, ils ont croisé un bus de la ligne 219 de Dakar Dem Dikk (DDD). Ils ont sommé les passagers de descendre, avant d’inonder le véhicule de pierres. Après cela, ils ont fait un crochet au terminus qui se trouve à un jet de pierre (!), pour détruire complétement les vitres de plusieurs autres bus stationnés-là.

C’est à ce moment que les policiers du commissariat central de Guédiawaye sont arrivés sur les lieux, pour sommer les jeunes, qui continuaient de scander ‘’Libérez Sonko !’’, de quitter les lieux. Les élèves ont dit niet. Il s’en est suivi des affrontements entre les hommes de tenue et les manifestants.

Rapidement, la petite étincelle est devenue un grand brasier. Aux grenades lacrymogènes, les manifestants, composés en majorité d’élèves, répondaient par des jets de pierres. Une partie des jeunes s’est mise à lancer des pierres vers la mairie. Mais ils n’ont pas pu faire beaucoup de dégâts, parce qu’ils se trouvaient un peu loin de l’institution dirigée par le frère du chef de l’Etat Aliou Sall. Ce faisant, ils ont changé de stratégie. Ils ont mobilisé toutes les forces vers les policiers. Qui, en un moment donné, ont pris le dessus. Là, les jeunes manifestants ont disparu dans les ruelles du quartier.

Mais les policiers n’étaient pas au bout de leurs peines, puisque d’autres manifestants sont venus de Wakhinane, du rond-point Mor Fadam et de Dial Mbaye se joindre aux révoltés qui voulaient attaquer la mairie de la ville. En venant, ce nouveau contingent de manifestants a détruit tous les barrages érigés dans le cadre des travaux du BRT.

C’était, dès lors, reparti pour un tour, puisque les affrontements ont duré plusieurs heures.

Ensuite, s’étant lassés de ce face-à-face, les manifestants ont commencé à reculer pour se rendre dans une station Total, pour sûrement l’incendier. Mais les limiers ont reçu du renfort, puisqu’ils étaient presque à court de minutions. Quand ils ont senti qu’ils ne réussiraient pas à prendre le dessus sur les hommes en tenue, les jeunes se sont dispersés, en empruntant les rues sablonneuses de la commune, en début d’après-midi, après plusieurs tours d’horloge d’Intifada.

A signaler qu’une seule personne a été interpellée, avant d’être acheminée dans les locaux du commissariat.

Pillage du magasin Auchan de Pikine

Dans le département voisin, à Pikine, la tension a été aussi vive, même s’il y a eu moins de grabuge. Mais cela n’a pas empêché le pillage du magasin Auchan sis à Pikine-Est, à quelques encablures de la mairie. Une première vague de pilleurs se sont battus avec les vigiles. Mais ils n’ont pu entrer. Les responsables sont parvenus à fermer le magasin et mettre à l’abri les gardiens. Cependant, quelques minutes plus tard, les manifestants sont revenus en plus grand nombre. Ils sont parvenus à défoncer les portes. Ils se sont servis à profusion, une fois entrés. Les produits alimentaires et le vin étaient les plus prisés. Ils ont pu accéder aux stocks. Chacun a pu se servir aisément, sans se soucier de personne, puisque les forces de l’ordre, en minorité, étaient aux abonnés absents. Une charrette faisait des navettes avec beaucoup de marchandises à son bord. Même la porte du magasin a été emportée par les pilleurs.

Ailleurs, dans le département, il y a eu des manifestations sporadiques qui ont été enrayées par la police. Mais il faut dire que là, la tactique des manifestants n’était pas la confrontation. Ils brûlaient des pneus puis disparaissaient.

Outre le pillage d’Auchan, des cas de vol à l’arraché ont été constatés dans plusieurs endroits de la banlieue. Beaucoup de victimes, surtout des jeunes filles, ont perdu leurs téléphones, arrachés par des agresseurs qui ont profité des événements pour faire un carnage.

AFFRONTEMENTS FORCES DE L’ORDRE – PRO-SONKO

La rue paie le prix fort

Les manifestations qui ont eu lieu le mercredi 3 mars, entre les partisans d’Ousmane Sonko et les forces de défense dans une grande partie des régions que compte le Sénégal, ont enregistré d’importants dégâts matériels. Dakar, épicentre des heurts, a payé le prix fort de ces affrontements entre forces de défense et pro-Sonko.

Dakar et ses périphéries ont été le théâtre d’une confrontation entre forces de l’ordre et manifestants exaspérés par l’arrestation du président du parti politique Pastef/Les patriotes, Ousmane Sonko. Rebutés du fait que leur leader ait été arrêté par les forces de défense et placé en garde à vue, alors qu’il répondait à une convocation du juge du 8e cabinet pour accusation de viols et de menaces de mort sur la personne d’Adji Sarr, des Sénégalais ont décidé de répondre en manifestant. Ce qui a occasionné de nombreux dégâts, des biens matériels publics et privés saccagés.

Les stigmates sont encore visibles. A Castors, des personnes, certaines debout, d’autres assises à côté de ce qui reste d’un abribus de la société de transport Dakar Dem Dikk. Ici, il ne reste que les quelques bancs. Toutes les vitres ont volé en éclats ; les affiches publicitaires déchirées. Des morceaux de vitre tapissent le sol. Quelques pierres complètent le sinistre décor.

Le magasin Auchan de Castors, non loin de là, n’a pas été épargné par ce conflit. Une voiture des forces de police est présente sur les lieux. Il y a également des agents d’une société privée de gardiennage qui assurent la protection des lieux. L’un d’eux tient en laisse un chien. Il ordonne aux clients de se tenir à une certaine distance. A l’extérieur, des employés d’Auchan s’activent à faire sortir les quelques marchandises qui ont été épargnées par les flammes et les pilleurs, afin de les mettre dans un camion blanc à 5 roues et un fourgon de la même couleur. Les portes et les vitres du magasin ont été détruites, l’intérieur présente encore des marques du passage des flammes. Tout est sens dessus dessous. Une employée nous confie : ‘’Tout est détruit à l’intérieur. Le reste des marchandises est en train d’être acheminé vers l’entrepôt, jusqu’à ce que les lieux redeviennent exploitables.’’

De l’autre côté du lieu du drame, passants et automobilistes s’arrêtent afin de constater les dégâts et l’évacuation des marchandises. Abdoulaye, un des responsables d’Auchan Castors, confie : ‘’Nous n’avons pas encore évalué l’ampleur des dégâts. Pour le moment, le magasin va rester fermé jusqu’à nouvel ordre.’’

Nombreux commerces ont baissé rideaux

Suite à ces évènements, de nombreux commerces ont dû également baisser les rideaux. Ce qui n’a pas été sans conséquence sur l’activité de ces commerçants. Sylla, importateur de marchandises au quartier Castors, revient sur la chaude journée d’hier. ‘’C’était vraiment dur. On a dû fermer. Ces gens ont le droit de manifester, mais ils peuvent le faire sans casser des choses. Je comprends la colère des manifestants, car depuis un moment, au Sénégal, la justice rétrograde. On restreint les libertés des citoyens. Ça frustre les gens, et ils expriment leurs frustrations de cette manière. Ce désordre est la conséquence du mouvement de foule’’.

Et de poursuivre : ‘’Il faut que gouvernement trouve des pistes de solution pour calmer tout ça. Sinon, les jours avenir seront pires.’’

Sur la route des quartiers HLM, la chaussée présente encore les stigmates du conflit qui a opposé les policiers aux pro-Sonko. Sur le sol, on peut voir des cendres, des objets calcinés et des boitiers des gaz lacrymogènes dont les policiers ont usité pour disperser la foule des manifestants.

Là-bas également, Auchan HLM n’a pas échappé à la colère des manifestants. Devant la porte de ce magasin, un énorme chien fait office de gardien de sécurité, en compagnie de deux gardes, afin de veiller sur les lieux. Une foule de jeunes gens se sont arrêtés afin de regarder le chien qui se tient à l’entrée. Dans un élan d’amusement, des enfants imitent les aboiements du chien afin d’égailler leur partie de jeu. A l’intérieur, le magasin respire encore le vide des marchandises emportées par les pillards. Le plafond est détruit, les câbles d’électricité sectionnés et mis sens dessus dessous. A l’extérieur, l’enseigne Auchan a également été détruit.

Non loin de là, vers le marché HLM, toutes les vitres des abribus ont été cassées par les manifestants.

Baye Bachir, commerciale de la Loterie nationale sénégalaise (Lonase) au quartier HLM, déplore les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. ‘’Ce sont des choses qu’on n’aime pas voir dans notre pays. Peut-être, c’est leur manière à eux de manifester. Que ça soit ceux du pouvoir ou de l’opposition, les deux camps ont tort’’, déclare-t-il. Avant d’ajouter : ‘’En agissant de cette manière, c’est notre argent qu’on gaspille, nos biens. Mais nous faisons tout ça au profit de qui ?’’, s’interroge-t-il.

Par ailleurs, il nous avoue craindre pour les prochains jours et sur la sécurité de ses biens. ‘’Je suis obligé de fermer plus tôt. Ce n’est plus sûr, parce que nous ne sommes plus en sécurité dans notre propre pays’’. Et ‘’pourtant, nous sommes un peuple simple. La seule chose que nous demandons, c’est la paix’’, prie-t-il.

Sur le trajet Castors - HLM, les activités ont bien repris. Automobilistes, usagers, commerçants ont renoué avec les habitudes du quotidien. Cependant, la peur des jours incertains pousse certains à la prudence. Tous se posent une seule question : que va-t-il se passer les prochains jours au Sénégal ?

GRACE LECKABA (stagiaire)

CHEIKH THIAM

 

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