Publié le 2 Jul 2025 - 14:39
Manifeste pour un urbanisme plus inclusif

Bâtir des villes qui prennent soin de la mère et de l'enfant

 

« Il faudrait penser la ville non pas comme une mécanique, mais comme une matrice. Une ville qui accueille, qui veille, qui permet de grandir, de tomber sans se blesser et d’apprendre à aimer le monde. » O.B

I. Penser la Ville depuis la mère

Trop souvent, l’urbanisme commence par les routes, les plans directeurs, les zones économiques spéciales. Et s’il commençait plutôt par la femme enceinte ? En fait, la Ville commence depuis le ventre : l'enfant est le premier citoyen et la mère, la première urbaniste.

Commençons par celle qui porte la vie, qui ressent chaque vibration du sol, chaque trou dans le trottoir, chaque carence en ombre ou en silence.

Imaginer une ville maternelle, c’est redonner à l’espace public une vocation de soin et de repos. C’est offrir à la mère future ou nouvelle, des parcs pour marcher ou se reposer. Plus tard, grand-mère, elle se fera accompagner dans le même parc par l'enfant de celui qu'elle porte. C'est offrir des bancs pour s’asseoir et converser, des allées ombragées pour respirer, des fontaines pour s’apaiser…

C’est faire en sorte que les poussettes aient des trottoirs larges et praticables, que les rampes et ascenseurs fonctionnent dans les lieux publics, que les pharmacies et centres de santé soient proches, bien signalés et accessibles. C’est dire que la ville doit accueillir la vulnérabilité avec dignité et non l’invisibiliser.

II. L’enfant, premier habitant légitime

Un enfant n’est pas un usager temporaire de la ville. Il en est l’habitant fondateur. Il voit plus bas, il marche plus lentement, il sent plus fort, il s’émerveille plus souvent. Sa ville est faite de détails que l’adulte a ignorés ou oublié de voir : une fissure dans un mur, un dessin à la craie, une branche basse, un lampadaire étrange, un oiseau perché sur la branche ou le toit.

Et pourtant, la ville moderne, au Sénégal comme ailleurs, n’est pas faite pour lui. Elle est trop rapide, trop bruyante, trop verticale. Les rues sont hostiles, les places trop vides, les jeux trop rares, les murs trop gris, les arbres, les balançoires et les squares un peu trop absents.

Il est temps de créer une ville où les enfants soient non seulement protégés, mais aussi écoutés et investis. Une ville où les chemins vers l’école soient arborés, balisés ou colorés, traversés en toute sécurité. Une ville où chaque quartier a son aire et ses terrains de jeu, son jardin communautaire à cultiver, ses murs à peindre, ses histoires à raconter, ses arbres à grimper. Une ville pour les enfants. Aussi.

III. Une ville qui joue, qui éduque, qui partage

Il faut rendre à la Ville sa fonction pédagogique. Chaque rue, chaque place, chaque carrefour peut devenir une salle de classe à ciel ouvert. Un trottoir peut accueillir des poèmes d’enfants - imaginez un calligramme à même le trottoir ou l'asphalte. Un personnage de dessin animé ou un personnage inspirant dessiné sur une façade. Une sculpture à caresser. Les noms scientifique et vernaculaire apposés sur l’arbre…

Un mur peut devenir un tableau de street art collaboratif - même pour le cours de dessin fait hors les murs scolaires. Un lampadaire peut être repeint par une école de quartier. Une place publique peut se transformer en scène éphémère de théâtre ou en terrain temporaire pour rollers.

Et si l’on confiait aux enfants une part symbolique et réelle de la gestion urbaine ? Des conseils municipaux juniors (CMJ), composés d’élèves élus dans chaque école. Des budgets participatifs enfants, pour décider du futur, de leurs besoins ou envies, de leurs rêves. Des projets de reboisement où chaque arbre planté porte le prénom de l’enfant qui l'a parrainé…

IV. De la sécurité à la liberté : vers une ville apprivoisée

Offrir une ville aux enfants, ce n’est pas seulement les enfermer dans des squares grillagés. C’est leur donner le droit d’explorer, d’expérimenter, d’échouer sans risque. C’est apprivoiser la rue, pacifier la route, ralentir la ville.

Alors, il nous faut des trottoirs larges, doux, continus et accueillantes. Surtout aux personnes à mobilité réduite. Des rues partagées, piétonnisées à certaines heures ou périodes.  Des campagnes de sensibilisation à la sécurité routière depuis la maternelle jusqu'au lycée. Des pistes cyclables où l’on apprend le plaisir de rouler, l'exploration des autres quartiers, le respect des autres, la lecture du monde. Et l'exercice physique.

Et partout, le droit à la lenteur, à la flânerie, à la rêverie. Toutes choses propices à l'imagination et à la créativité.

V. Inspirations à cultiver, ici et ailleurs

Dans plusieurs villes du monde, des expériences pionnières montrent que cette vision n’est ni naïve, ni frivole, ni utopique.

À Fano (Italie), le programme La Città dei Bambini donne aux enfants un droit de parole structuré sur les projets urbains.

À La Paz (Bolivie), des enfants participent aux budgets locaux.

À Medellín (Colombie), le jeu est utilisé comme outil de pacification urbaine. Oui, ceux qui jouent au légo, au puzzle et à Minecraft sont de grands planificateurs. Ils pourraient être associés à des ateliers d'urbanisme.

À Kigali, des micro-bibliothèques sont intégrées aux espaces publics des quartiers.

À Paris, la Mairie ambitionne de rendre les « rues aux écoles » dans le cadre d'un programme consistant à piétonniser et végétaliser les voies aux abords des écoles maternelles et primaires. L'objectif étant de sécuriser les trajets des enfants, réduire la pollution de l'air et diminuer le bruit des voitures.

Et pourquoi pas à Dakar, à Pikine, à Saint-Louis, à Bignona, imaginer :

- des chemins scolaires peints par les enfants, poétiques et visibles - des pédibus conduits par les parents bénévoles serpentant le trajet ;

- des "cours vertes" dans les écoles, ombragées, partagées et jardinées même en dehors des cours de SVT ;

- des "quartiers amis des enfants", labellisés, soutenus par la mairie et réplicables ;

- des écoles rivalisant de créativité dans le cadre des concours de l’école la plus verte ou la plus propre ;

- des médiathèques et bibliothèques municipales ou des bibliobus itinérants - la lecture est un droit et non un privilège ;

- des gymnases publics pour pratiquer d'autres sports ;

- des maisons de la jeunesse et de la culture et des théâtres de verdure où développer tous ces talents et potentialités… Il y a tant de choses à faire.

VI. Vers une ville affective, maternelle et républicaine

Ce que nous défendons ici n’est pas un luxe pour pays riches. D'ailleurs jouer dans les rues devrait être autant possible dans les superilles de Barcelone que dans les rues orthogonales de la Médina. Ce n'est pas une lubie. C’est un impératif démocratique. Une base de justice spatiale. Une écologie du quotidien. Un engagement civilisationnel : celui de bâtir des villes qui prennent soin des commencements.

En effet, une ville qui respecte la grossesse, la petite enfance, le jeu, le rêve, l’apprentissage, etc. est une ville qui prépare de futurs citoyens libres, heureux, enracinés et plein d’urbanités.

C’est une ville qui dit à chaque enfant : « ici, tu es attendu. Ici, tu peux t'épanouir. Ici, tu peux créer. »

Conclusion :  et si l’enfant devenait le maître-étalon de la Ville juste ?

Il n’y a pas d’avenir sans enfance. Il n’y a pas de ville sans tendresse. Et si on jugeait la réussite d’un maire à la joie des enfants dans les rues, à la sécurité de leurs trajets, à l'abondance et la douceur des bancs où s’assoit une mère enceinte ?

Et si on évaluait la qualité de nos villes non pas à la hauteur des immeubles, mais à celle des enfants qui les habitent ? Et si chaque arbre planté portait le nom d’un enfant d’ici, un petit éco-citoyen ? Et si chaque mur peint par ou pour eux racontait une partie de leur monde ?

La ville juste commence par un geste d’attention. La ville belle commence par une main tendue ou les empreintes colorées sur les murs et les lampadaires ou les traces de pas juvéniles imprimés sur le chemin de l’école.

La ville durable commence par une balançoire au bon endroit. Dans les parcs et jardins urbains.

Penser de cette manière, c’est aussi (surtout) faire de l’urbanisme…

PS : Yatma D., un grand urbaniste/humaniste m'a chargé de ce plaidoyer pour les enfants talibés que voici : 

Enfants talibés, enfants de la rue : inclure les invisibles

Aucune politique de la ville ne peut être juste si elle oublie ceux qui vivent à ses marges. En marge.

Les enfants talibés et enfants des rues sont les orphelins de l'urbanisme. Ils errent dans les avenues, dorment dans les recoins, mendient sur les carrefours, fuient la violence, cherchent un regard compatissant.

Un urbanisme affectif les reconnaît comme citoyens oubliés et leur donne une place : des centres d'accueil dignes, intégrés dans les quartiers, avec des espaces de jeu, de soin, d'écoute. Des programmes d'éducation urbaine et de réinsertion, mêlés aux autres enfants, non isolés. Des services sociaux et des endroits où ils peuvent aussi apprendre, jardiner, se cultiver, rêver. Le bitume ne doit pas être leur seule école ou aire de vie.

OUMAR BA

Urbaniste / Citoyen sénégalais

umaralfaaruuq@outlook.com

Section: 
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