Publié le 21 May 2019 - 01:49
MANSOUR NDIAYE (GUIDE TOURISTIQUE)

‘’Actuellement, dans un litre d’eau, on a 385 g de sel’’

 

 

La teneur en sel de l’eau du lac Rose est plus élevée que celle de la mer Morte. Elle est estimée à 385 grammes par litre. C’est ce qu’explique le guide touristique Mansour Ndiaye. Il travaille sur le site depuis plus d’une décennie.

 

A l’origine, le lac Retba faisait 25 km de long sur 4,5 km de large, avec des coquillages et des poissons. Mais, à partir des années 1970, il y a eu une sécheresse et le lac s’est rétréci. ‘’Nous nous sommes retrouvés avec 5 km de long sur 800 m de large. On a perdu une grande superficie. En se rétrécissant, la teneur en sel a augmenté. Actuellement, dans un litre d’eau, on a 385 g de sel. C’est plus salé que la mer Morte en Israël qui a 275 g. C’est cette salinité qui a tué les poissons qui se sont décomposés, en laissant en place des algues et des micro-organismes’’, explique un des guides touristiques trouvés sur place. Et ce sont ces algues qui, en remontant à la surface, avec l’effet des rayons ultraviolets du soleil, donnent la couleur rose.

Mansour Ndiaye, qui travaille ici depuis 2002, indique que, chaque année, une quantité importante de sel est ramassée dans les eaux du lac. Elle est estimée entre 124 et 125 000 tonnes. Un sel composé de gros cristaux exportés, d’après lui, vers l’Europe, les Etats-Unis ou le Canada, et utilisé pour faire fondre la neige. ‘’Les gros cristaux se trouvent au fond du lac, le sel fin au milieu et la fleur de sel à la berge. Il sort quand il y a beaucoup de vent. Il y a des vaguelettes qui créent une mousse appelée l’écume. Celle-ci peut avoir une hauteur de 0,4 cm et avec le vent chaud de l’harmattan, se cristallise et donne de la fleur de sel. C’est la meilleure qualité pour le sel de table, pour la soupe, etc.’’, renchérit notre guide.  

Cette forte teneur en sel peut être ressentie au contact de l’eau qui est de couleur brune, gluante et calme, en cette période de la journée. Et le sel se forme même autour des piquets implantés dans le lac pour le délimiter. ‘’Avant d’entrer dans le lac, les ramasseurs de sel se protègent le corps avec du beurre de karité et portent des habits légers. Certains préfèrent travailler la nuit pour éviter l’effet du soleil’’, renchérit Mansour.

En effet, il raconte que pour ramasser le sel, les gens prennent les pirogues, descendent verticalement dans l’eau. L’endroit le plus profond du lac fait 3 m dont 1m5 de sel et le reste de l’eau. Elle leur arrive généralement au thorax. Ils ont trois outils de travail : un bâton muni d’un bout de fer en acier, un panier qu’on place entre les deux jambes. ‘’On évite le contact avec les yeux. Il y a une corde nouée autour du cou et reliée au panier. Avec l’aide de la pelle, on racle la surface qu’on a déjà cassée. Si ce dernier est plein, on le retourne pour verser l’eau et de ce fait le sel est bien lavé et versé dans la pirogue. Cette dernière, remplie, fait 1,5 t. Le partage se fait ainsi : la tonne est pour celui qui est parti chercher le sel et les 500 kg qui restent sont divisés en deux parts égales entre le propriétaire de la pirogue et la femme qui le décharge’’, poursuit le guide.

Ici, chaque pirogue est numérotée et ceux qui souhaitent chercher le sel peuvent prendre n’importe laquelle. D’après Mansour Ndiaye, l’essentiel, c’est de payer la location au retour. ‘’Ce sont les femmes qui ont découvert le ramassage du sel. Elles prenaient 10 bassines qu’elles attachaient l’une après l’autre à l’aide d’une corde. Une fois dans les eaux, elles les remplissaient. Mais cela provoquait des avortements, des fausses couches, avec l’excès de sel et les algues. C’est pourquoi on leur a interdit d’aller chercher du sel. Elles restent sur la rive pour décharger le produit’’, rapporte-t-il.

Vivant dans un milieu un peu enclavé, sans usine, ni industrie, l’Etat a légué aux 5 villages environnants cet espace qui est géré par les habitants.

Aliou Sène (piroguier) : ‘’Le lac n’attire plus beaucoup de touristes, comme avant’’

Le piroguier Aliou Sène est arrivé sur les lieux, presque en même temps que Mansour avec qui il travaille. Ce dernier fait aussi partie des ramasseurs de sel. ‘’J’ai arrêté pour l’instant. Parce que le sel reste invendu. Donc, je me suis rapproché des guides. J’ai une pirogue et à chaque fois que les touristes viennent, je leur fais visiter les eaux. Cependant, si la saison de collecte de sel rouvre, je vais reprendre mon activité’’, informe le piroguier.

En effet, Aliou Sène se souvient encore des beaux moments qu’il a eus ici. ‘’On pouvait se faire de l’argent facilement en travaillant ici. Personne n’interdit l’accès. On travaillait en fonction de sa capacité physique. Pendant la campagne, il y a des gens qui peuvent avoir deux ou trois pirogues de sel par jour et d’autres une. Tout dépend de ce qu’on peut faire. La pirogue était vendue entre 20 et 25 000 F Cfa. Ce qui n’est plus le cas’’, se désole-t-il.

D’après ce natif de Diakhao dans la région de Fatick, la plupart des ouvriers sont allés voir ailleurs. Parce que les temps sont durs, il devient de plus en plus difficile pour eux d’assurer la dépense quotidienne. ‘’On peut sortir avec une pirogue remplie de sel sans voir un client pointer à l’horizon. Actuellement, il y a des femmes qui vendent le sel brut à 125 F Cfa la bassine de 20 l. Ce qui est un gâchis. Et si les choses continuent ainsi, le lac sera carrément mort. Donc, on doit l’entretenir et y veiller. Car c’est un poumon économique du pays. Beaucoup de gens gagnent leur vie ici. L’Etat doit nous aider à exporter le sel’’, plaide Aliou Sène.

En plus, le piroguier déplore le peu d’affluence qu’il y a autour du site. ‘’Le lac n’attire plus beaucoup de touristes, comme avant. Les gens entendent généralement parler de sa couleur rose. S’ils viennent et trouvent le contraire, cela peut les décourager. Toutefois, cette couleur aussi dépend de la période de l’année et de l’atmosphère. Juste après l’hivernage, les touristes qui étaient là ont eu la chance de contempler cette couleur magique’’, fait-il savoir. En cette période, il arrive juste une semaine où, selon lui, ils observent une couleur un peu rose, mais pas comme avant. Et cette perte de couleur, ils l’ont le plus remarquée ces dernières années où il pleut peu.

‘’Même si on a vécu une situation pareille, entre les années 2001 et 2002. Le lac, à l’époque, avait presque tari (...). On envisageait même d’aller puiser l’eau du marigot de l’autre côté pour le remplir. Mais, par la grâce divine, l’année suivante, il a plu jusqu’à ce qu’on n’arrive plus à collecter le sel. Nous-mêmes avions quitté les lieux pour chercher d’autres boulots, en attendant que l’eau baisse de niveau. Et après, franchement, on avait fait une belle campagne de collecte et de vente de sel’’, se rappelle encore Aliou Sène. 

MARIAMA DIÉMÉ

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