Publié le 26 May 2014 - 12:47
MASSIFICATION DES EFFECTIFS, SYSTÈME LMD....

l’UCAD dans tous ses états

 

Première en Afrique francophone lors du classement Shanghai 2012, L’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) a toujours eu bonne presse. Mais,   derrière cette suprématie sous-régionale, se cache un ensemble de maux qui freinent son rayonnement. Aujourd'hui, la massification des effectifs avec  comme corollaire un manque notoire de professeurs, et l'incompréhension  d'un système en l'occurrence le LMD, (Licence Master Doctorat) sont autant d'écueils qui plombent l'avenir de l'UCAD.

 

La massification est l’une des causes profondes de la léthargie actuelle de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD). Elle compte aujourd’hui plus de 80 000 étudiants. Ce nombre s’accroît chaque année avec l’afflux massif de nouveaux bacheliers. L’année dernière, ils étaient plus de 34 000 bacheliers. Ce chiffre atteindra environ 50 000 à la fin de l’année 2014, de l'avis de bon nombre d'universitaires. Un réel problème pour l’Université Cheikh Anta Diop qui accueille plus de 92% des nouveaux bacheliers

Les premiers signes de ce mal apparaissent en conséquence dans les enseignements, notamment avec des infrastructures ne pouvant contenir toute cette pléthore d’étudiants. La politique de la formation est complètement biaisée, selon l’assesseur de la Faculté des sciences juridiques et politiques, Mayatta Ndiaye Mbaye. ''Aujourd’hui, le ministère de l’Enseignement supérieur est intéressé par l’orientation pour tous. On reçoit des étudiants dans un cadre qui ne peut pas les accueillir tous. Ce qui aboutit à la faiblesse du degré d’encadrement'', se désole-t-il.

La Faculté de droit est une illustration parfaite de cette massification. Elle compte en effet plus de 14 000 étudiants, alors que les conditions d’études et d’évaluations ne tiennent pas compte de l’augmentation des effectifs. ''Nous entrons dans le mois de mai et nous en sommes toujours à notre premier semestre de l’année universitaire 2013-2014.

Nous venons de faire six semaines de cours'', renseigne l'assesseur Mbaye. Ce retard s’explique, dit-il, par l’obligation d’évaluer tout le monde et dans toutes les matières. Et de poursuivre : ''si nous avons 14 000 étudiants pour en moyenne 8 à 10 matières par semestre, multiplié par deux sessions, vous voyez le nombre de copies que l’on corrige. Et cela veut dire qu’il faudra avoir beaucoup plus de temps ou avoir beaucoup plus de bras''.

1329 enseignants pour 80 000 étudiants

Aujourd’hui, l’UCAD bénéficie de 1329 enseignants pour plus de 80 000 étudiants. Un ratio qui inquiète le directeur de l’Enseignement et de la Réforme Abdou Karim Ndoye.  ''Les professeurs se surpassent. Ils font cours de 8 heures à 22 heures, et même les samedis et dimanches.  Si on continue comme ça, on va perdre notre place de première université d’Afrique  francophone'', soutient-il.

L’insuffisance dans l’encadrement des étudiants se ressent profondément à la Faculté des lettres et sciences humaines. Qui totalise à elle seule environ 31000 étudiants. En réalité, les effectifs ont augmenté de façon exponentielle, alors que le recrutement d’enseignants n’a pas suivi, souligne le médiateur de l’université. Et cela se reflète dans l’encadrement, notamment des Masters, puisque seuls les professeurs de rang A (professeurs titulaires, maîtres de conférences et chargés d’enseignement) peuvent encadrer un étudiant en Master. Alors que les professeurs de rang A ne sont pas nombreux.

Encadrement Master : Un professeur pour 15 étudiants

Au département de géographie, par exemple, seuls seize enseignants remplissent les conditions pour encadrer les Masters. Pourtant, ce département reçoit aujourd’hui environ 600 demandes d’admission en Master. Et objectivement, ces 16 enseignants de rang A ne peuvent pas encadrer tous ces étudiants. D'où l’établissement de critères de sélection pour s'inscrire en Master.

Si certaines facultés hésitent ou tardent dans l’application de la mesure à l'inscription en Master, l’administration de la FLSH, elle, n’a pas attendu longtemps pour la mettre en œuvre. En  tenant compte de la capacité d’accueil du département. Ainsi, il a été décidé de retenir d’office les étudiants ayant obtenu la licence sans jamais redoubler. Puis, ceux qui ont redoublé une fois viennent en deuxième position. Les étudiants ayant redoublé deux fois dans le cursus viennent en troisième position et enfin, même ceux qui ont redoublé trois fois et qui ont obtenu une fois la mention dans leur parcours de premier cycle ont été sélectionnés'', renseigne le directeur de la Réforme.

Et sur cette base, 249 étudiants ont été sélectionnés. Raison pour laquelle dans ce département, chaque professeur pourra encadrer quinze étudiants. Ce que les étudiants rejettent de façon systématique. Pourtant, à la direction de l’Enseignement et de la Réforme, on estime qu’il a été fait appel aux raisons sociales pour faire la sélection.

''Si on continue sur cette lancée, l’université va sombrer. Et ce ne sera plus la peine de vouloir la moderniser'', alerte-t-il.

Dans un document dénommé ''La réforme pédagogique en quatre-vingts questions'', il est mentionné: ''l’accès en première année de Master (M1) reste de droit pour tout étudiant titulaire d’une Licence dans une discipline compatible ou par validation d’acquis.'' Et Saliou Mboup, coordonnateur du collectif des étudiants réclamant le ''Master pour tous'', de faire appel à ce texte pour faire valoir leurs droits. ''Jusqu’à présent, il n’y a pas un texte juridique qui dit clairement que les étudiants titulaires d’une Licence vont passer en compétition pour être sélectionné'', croit savoir l’étudiant Mboup.

L’obligation de former les étudiants se limitent au premier cycle

Cependant, le directeur de l’Enseignement et de la Réforme estime qu’il n’y a pas de texte juridique qui, de façon expresse, parle de sélection, mais les règlements intérieurs des facultés peuvent le prévoir. Il s'y ajoute que sur la base de la déclaration de l’ONU sur le droit à l’éducation et la loi d’orientation du Sénégal de 1991, la seule obligation qu’a l’État pour la formation des étudiants, c’est le cycle fondamental, c'est-à-dire le premier cycle.

En plus, dit-il, le LMD, c’est un système avec trois parcours qui sont discontinus, on fait un parcours de licence et à certaines conditions. Il y a aussi le parcours de Master qui doit aboutir au doctorat. Dès lors, poursuit-il, ''nous ne céderons pas face à ces étudiants. D'ailleurs, ce ne sont plus des étudiants'', martèle le directeur de l'Enseignement et de la Réforme.

Face au blocage des enseignements à la Faculté des lettres. Abdou Karim Ndoye renseigne qu’ils prendront les dispositions de sécurité nécessaires pour y remédier. ''Si ces étudiants sont pris, on va les traduire soit en conseil de discipline pour des raisons purement académiques, soit on porte plainte pour le  civil parce qu’ils n’ont plus le statut d’étudiants'', menace -t-il.

Par ailleurs, le médiateur de l’UCAD rappelle que la sélection a toujours eu lieu à la Faculté des lettres, mais on ne pouvait le sentir ou remarquer parce qu’ils n’étaient pas nombreux, les effectifs n’étaient pas assez importants. Avec le système LMD, on se trouve face à une masse qu’il faut gérer.

 Dans les autres facultés, cette sélection a été reportée à des niveaux supérieurs. C’est pourquoi à la Faculté des sciences et techniques, de même qu’à la Faculté de droit, elle est déjà en vigueur à partir du Master 1. D'ailleurs, la Faculté des sciences juridiques et politiques prévoit la mise en vigueur de la sélection en Licence cette année.

Entre le marteau de la grève et l’enclume de l’administration

Mais pour le syndicat estudiantin, il ne peut y avoir de sélection parce qu’il n’y a pas de licence professionnelle. ''A part l’appellation, rien n'a changé, car les enseignements généraux demeurent'', soutiennent en chœur les étudiants grévistes. Et selon Léonard Nzalé, secrétaire général de la coordination des étudiants de la Fac de droit, il y a une incompréhension du système LMD aussi bien par l’administration, les professeurs que les étudiants. Et ce sont ces derniers qui en subissent chaque fois les conséquences. Car, poursuit-il,  ''le quantum horaire n’est jamais respecté et nous n'avons aucun moyen pour faire valoir notre droit. Nous sommes entre le marteau de la grève et l’enclume de l’administration''.

Pour le médiateur de l’université, on a souvent une mauvaise image des étudiants qu’on qualifie comme violents, qui ne savent que casser et détruire.

Et l'on oublie qu’il y a de la violence aussi du côté des enseignants. Même si c'est une autre forme de violence. Explications : il arrive que des enseignants perdent des copies et qu’à la place de la note, ils  mettent zéro. Le plus grave, dit-il, quand l’étudiant vient pour des réclamations, le professeur ne l’écoute même pas. C’est ce qui explique parfois les réactions violentes des étudiants.

Encadré

Yankhoba Seydi, coordonnateur du SAES

''Si une réforme produit de telles levées de boucliers, il faut…s’arrêter''

Le système LMD, c’est une reforme très bonne, mais elle coûte cher. Il faut des moyens. Aujourd’hui, on veut pousser le bouchon à un niveau où les conséquences peuvent être fâcheuses. Il y a trop de  convulsions  dans l’enseignement supérieur.  ça grogne de partout. Les étudiants, les enseignants, le personnel, sont tous sur le qui-vive.

Alors si une reforme produit autant de levées de boucliers, il ne faut pas s’entêter. Il faut s’arrêter, évaluer et revenir. Les gens ne sont pas contre la  réforme, mais il faut au préalable être prêt sur tous les plans. Réunir tout ce que cela nécessite comme moyens, humains comme financiers. Il faut se donner les moyens de ses ambitions. Le SAES se soucie de tout cela.

Par Seydina Bilal DIALLO

 

 

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