Publié le 28 Mar 2020 - 21:48
MATAM - PRIÈRE DU VENDREDI

La résistance des chefs religieux

 

L’après-midi de ce vendredi a été électrique, dans certaines localités de Matam, où certains marabouts contestent la décision du gouvernement de fermer les mosquées à la prière du vendredi.

 

Les rassemblements sont formellement interdits, en cette période de guerre contre le coronavirus, d’où la fermeture des mosquées décrétée par les autorités. Mais à 700 km de la capitale, des chefs religieux se sont publiquement opposés à cette mesure qui irait à l’encontre de leur foi musulmane. Le vénéré marabout, khalife de Doumnga Ouro Alpha de la commune de Bokidiawé, Thierno Mamadou Ly, avait porté la voix des religieux du Fouta pour marteler que, même en période de guerre, ‘’la prière reste recommandée’’.

Ce vendredi, la question que beaucoup de gens se posaient était de savoir si la grande prière aurait lieu dans ce contexte d’état d’urgence. À Kanel, ville située à une quinzaine de kilomètres de Ourossogui, les fidèles ont bravé l’interdiction pour se rendre à la mosquée, mais ils ont trouvé un dispositif impressionnant des forces de l’ordre à l’entrée du lieu de culte. La logistique déployée a fini par dissuader la foule. Les quelques individus qui ont manifesté leurs frustrations ont été vite maîtrisés par les éléments de la gendarmerie.

Aladji, la quarantaine, la barbe fournie, ne décolère pas : ‘’Comment peuvent-ils nous interdire de prier, de faire des recommandations de Dieu, lâche-t-il, très outré. Nous acceptons toutes les mesures de prévention, mais exiger la fermeture des mosquées pour lutter contre un virus est un blasphème. On oublie que la Covid-19 est aussi une créature de Dieu comme nous. Comment peut-on avoir peur de la créature et se permettre de bafouer les recommandations du créateur.’’ Et de conclure : ‘’La solution à ce virus reste la prière. Il n’y a que Dieu qui puisse nous aider à éradiquer cette pandémie.’’

Par moments, l’affrontement a été évité de justesse. Les forces de l’ordre ont fait preuve de tact dans la fermeté pour contenir les contestataires. ‘’Nous ne blesserons personne, mais nous ne laisserons personne braver l’interdiction’’, nous lance un gendarme.

Le contexte était plus électrique à Banadji, dans la commune de Sinthiou Bamambé. Les fidèles se sont montrés déterminés à accomplir la grande prière du vendredi. Mais là aussi, les gendarmes ont veillé au grain, à travers une présence ostensible sur les lieux pour faire respecter la mesure. Après de houleux échanges, une partie des fidèles ont regagné leur domicile, laissant l’autre partie assister à la prière dirigée par Thierno Hamet Sall, un marabout de renommée dans la localité. Les responsables des forces de l’ordre, par égard pour lui, ont laissé faire. Ils prévoient d’aller le voir pour le convaincre du bien-fondé des mesures de fermeture des mosquées.

En tout cas, cette résistance des chefs religieux et de leurs disciples à se plier à la mesure, met clairement les forces de l’ordre dans une situation inconfortable. Un gendarme nous confie, dans l’anonymat, son embarras : ‘’Les marabouts ne nous facilitent vraiment pas la tâche. Il y a une mesure prise. Alors, tout le monde doit se plier. Nous sommes là pour veiller à l’application stricte des recommandations. Ces chefs religieux sont nos marabouts. Moi, personnellement, je les sollicite presque tous les jours pour des prières. Et si, aujourd’hui, je suis amené à user de la violence, ce serait terrible.’’

Dans plusieurs localités à grande emprise religieuse comme Thilogne et Bokidiawé, la raison a prévalu. Les mosquées sont restées fermées à 14 h. Les autorités administratives n’ont pas rompu le dialogue et continuent de croire qu’elles réussiront à convaincre les chefs religieux récalcitrants, avant la prochaine prière du vendredi.

Djibril Ba (Matam)

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