Publié le 9 Jan 2019 - 03:34
ME AMADOU DIALLO - PRESIDENT AMNESTY SENEGAL

‘’Le président du Csdh est plus préoccupé par la défense des intérêts de l’Etat’’ 

 

Après 15 ans de militantisme à Amnesty International, Me Amadou Diallo est porté, depuis décembre dernier, à la tête de la Section sénégalaise de cette structure de défense et de promotion des droits humains. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’ et à ‘’Sud Quotidien’’, l’avocat au barreau de Dakar dresse un bilan négatif de la situation des droits humains, tout en dénonçant une tentative de musellement des organisations de la société civile. Me Diallo a aussi apporté la réplique à son confrère, Me Pape Sène qui, dans nos colonnes, reprochait aux organisations de défense des Droits de l’homme de faire plus dans l’activisme que dans l’action.

 

Qui est le nouveau président de la Section sénégalaise d’Amnesty International ?

Amadou Diallo, avocat à la cour pendant près de 15 ans. L’élection est pour moi l’occasion de remercier tous les délégués qui ont voté pour moi par acclamation.  C’était à l’occasion de l’Assemblée générale des 1er et 2 décembre 2018. Je remplace à cette fonction Me Diène Ndiaye, qui était en fin de mandat. Cinq autres personnes ont été élues lors de cette élection. Ensemble, nous constituons le Bureau exécutif qui représente le Conseil d’administration de l’organisation au niveau national. Je ne suis pas nouveau dans ce bureau. Avant mon élection comme président, j’étais trésorier général pendant 4 ans. Je suis à Amnesty International depuis 2003.

Après 15 ans de militantisme à Amnesty International, Me Amadou Diallo est porté, depuis décembre dernier, à la tête de la Section sénégalaise de cette structure de défense et de promotion des droits humains. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’ et à ‘’Sud Quotidien’’, l’avocat au barreau de 

Aujourd’hui, le bilan en matière de Droits de l’homme n’est pas satisfaisant. Enormément de violations sont notées. Pratiquement, depuis le dernier rapport d’Amnesty 2016-2017, la situation n’a pas changé. La liberté de manifester et d’expression n’est pas respectée, avec des interdictions systématiques de marche. Des citoyens continuent de mourir dans des lieux de détention. Il y a la situation des talibés car, malgré l’existence d’une législation interdisant la mendicité, l’Etat n’a pas pris les mesures d’accompagnement idoines pour l’effectivité de la loi. De ce point de vue, les droits des enfants sont depuis longtemps systématiquement violés. Il en est de même de l’inscription des enfants sur les registres de l’état civil. Il est vrai que la première responsabilité incombe aux parents de déclarer leurs enfants. Ils ne le font pas certainement par ignorance, mais souvent, il y a l’accès aux centres d’état civil éloignés dans certaines localités. Donc, l’Etat doit jouer sa contribution pour les rapprocher des populations. En somme, il y a énormément de travail à faire, même si des efforts ont été faits par-ci, par-là.

Le président du Comité sénégalais des Droits de l’homme accuse la société civile de faire plus dans l’activisme que dans l’action…

C’est une déclaration inhabituelle venant surtout d’une institution nationale de défense des Droits de l’homme comme la société civile. C’est vrai que cette institution est dirigée par un homme politique. De ce point de vue, on peut comprendre qu’il soit plus préoccupé par la défense des intérêts de l’Etat que ceux des droits humains. Ce qu’il faut dire, la plupart des organisations des Droits de l’homme travaillent avec l’Etat depuis des décennies et leur rôle en matière de protection des droits humains est reconnu au niveau national et international. Ces organisations sont impliquées par l’Etat pour tout ce qui concerne les droits humains. On ne peut accepter que des lois liberticides soient prises au Sénégal. Le Sénégal est une démocratie en maturation. On doit progresser vers l’accomplissement d’une démocratie réelle. S’il y a des tentatives de faire reculer par le vote de lois à l’Assemblée nationale des dispositions qui vont constituer des restrictions par rapport aux libertés que les Sénégalais ont, naturellement, Amnesty ne saurait cautionner cela.

Vous arrivez à la tête d’Amnesty au moment où les membres de la société civile sont de plus en plus accusés de faire de la politique. Que répondez-vous ?

Il faut dire qu’Amnesty International ne se sent pas visée par ces accusations, puisque nos règles de fonctionnement, ceux de travail ne le permettent pas. Nous continuerons à adopter ces règles qui ont été adoptées par l’organisation et qui gouvernent notre entité aussi bien nationale que mondiale. Mon rôle est de veiller aux dispositions statutaires de l’organisation au niveau national.

Mais le chef de l’Etat a récemment cité Seydi Gassama, Directeur exécutif d’Amnesty…

Même s’il a été cité, nous ne nous sentons pas concernés, car on ne peut pas dire qu’Amnesty International se livre à des activités politiques partisanes. Elle ne participe pas à une compétition électorale, mais il peut arriver qu’Amnesty International et les partis politiques soient interpellés sur des questions relatives à la protection des droits humains. Dans ce cas, rien ne s’oppose à ce que l’organisation travaille avec ces entités. La défense des Droits de l’homme incombe à tout le monde. D’ailleurs, à ce sujet, Amnesty International a organisé des manifestations pour protester contre des violations graves des droits humains en Gambie, en République démocratique du Congo (Rdc)… Lors de ces manifestations là, on a eu des dirigeants politiques de tous bords qui y ont participé sans que cela ne soit jugé à une politique partisane. La société civile qui était devant les grilles de l’Assemblée nationale (Ndlr : 23 juin 2011) n’était pas pour soutenir l’opposition contre le régime de l’époque, mais pour défendre la Constitution du pays dont la modification aurait constitué un grand recul démocratique.

La floraison d’organisations de défense des Droits de l’homme ne rend-elle pas l’action de la société civile inefficace ?

On ne peut pas parler de floraison. Trop de biens ne fait pas de mal. Toutes ces organisations travaillent quand c’est nécessaire pour des combats bien déterminés. Maintenant, il faut comprendre qu’Amnesty International et les autres organismes ne peuvent pas résoudre toutes les questions relatives aux Droits de l’homme. C’est bien que chacun, dans le domaine qui le concerne, puisse mener des combats. Mais quand il s’agit d’unir nos forces pour mener un combat bien déterminé, cela se fait.

Lors du vote du budget de son département, le ministre des Mines et de la Géologie a mis en doute la crédibilité de la société civile sénégalaise, notamment dans le cadre de la gouvernance du pétrole et du gaz, et demandait son assainissement.

Les propos du ministre ne m’inspirent pas de commentaire particulier, sauf à rappeler que la création et le fonctionnement des organisations non gouvernementales et associations obéissent aux lois en vigueur. Il ne saurait donc être question, pour nous, que de nouvelles mesures soient prises pour restreindre les libertés d’association garanties par la Constitution et des traités internationaux auxquels l’Etat du Sénégal est partie. Il n’y a pas d’Etat démocratique là où la liberté d’association est absente ou fait l’objet de restrictions. Nous devons préserver cet héritage et renforcer les avancées démocratiques obtenues au Sénégal. Il sera inacceptable que des mesures soient prises dans le sens de restreindre la liberté d’association.

Quand même, il y a eu une tentative avec le retrait de l’agrément de l’Ong Lead Afrique francophone…

Nous sommes dans un pays qui est dans une maturité démocratique où beaucoup de choses doivent être faites pour l’installation définitive de l’Etat de droit. La réaction des hommes politiques qui dirigent le pays est compréhensible, mais on ne la partage pas. Le jour où on arriverait à un stade où l’Etat lui-même participe au financement de la société civile, ce jour là sera pour nous un moment historique dans l’avancée démocratique. Je ne pense pas que cette tentative de musellement de la société civile puisse prospérer.

Mais, au même moment, le Sénégal préside depuis le début de l’année le Comité des Droits de l’homme des Nations Unies. N’est-il pas une preuve d’avancées en matière de protection et de vulgarisation des droits humains ?

Nous nous réjouissons de l'élection du Sénégal pour présider cette structure importante des Nations Unies et félicitons le gouvernement pour ce succès diplomatique. Mais l'élection d'un Etat à ce niveau ne signifie nullement que cet État n'a aucun problème de Droits de l'homme au niveau national. D'ailleurs, il ne sera pas exagéré de dire que cet État n'existe tout simplement pas. En revanche, il faut savoir que cette élection s'accompagne de responsabilités, celle de mieux protéger les droits humains au niveau national et celle d'élever la voix et de prendre des initiatives à chaque fois que ces droits sont bafoués dans d'autres pays du monde. Nous espérons que notre pays sera à la hauteur des attentes de la communauté internationale.

 

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