Publié le 23 Oct 2020 - 00:40
MEDIATION FACE LA TENSION PREELECTORALE

La communauté internationale plus prudente que jamais

 
A l’approche du scrutin présidentiel, le risque d’instabilité socio-politique s’agrandit en Côte d’Ivoire. La communauté internationale, cette fois, se positionne en tant qu’observateur, tout en plaidant pour un dialogue entre les acteurs politiques.
 
 
Depuis le 6 août dernier, la Côte d’Ivoire a renoué avec ses vieux démons. Face à la tension socio-politique précédant le scrutin présidentiel du 31 octobre prochain, plusieurs organisations internationales sont intervenues dans le but d’apaiser le climat. Si elles prônent toutes le dialogue, force est de constater qu’elles se gardent bien de se prononcer sur l’épineuse question du troisième mandat. Les médiateurs, de toute évidence, évitent de se lancer dans le débat constitutionnel, la source même du conflit. La plus récente de ces médiations a réuni des membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de l’Union africaine (UA) et des Nations Unies.
 
Du 4 au 7 octobre, la mission conjointe a rencontré les partis de l’opposition, la société civile, certains membres du gouvernement et de la commission électorale, les ambassadeurs ainsi que le président Alassane Ouattara. Au sortir de ces échanges, elle s’est félicitée de ‘’l’engagement et de la volonté des autorités à promouvoir une élection inclusive, transparente, crédible et apaisée en Côte d’Ivoire’’. Les médiateurs ont également salué ‘’les progrès réalisés dans la préparation des différents volets techniques pour une élection présidentielle dont les résultats seraient acceptés par tous’’.
 
Dans sa déclaration finale, la mission insiste sur la communication et l’interaction entre les acteurs politiques. Ses membres semblent refuser de reconnaitre que le climat actuel est loin d’être propice à un quelconque dialogue.
 
En effet, depuis début août, le régime a interdit, à maintes reprises, la tenue de manifestations pacifiques. Il est soupçonné d’avoir introduit des groupes armés lors des marches de l’opposition. Des membres de la société civile et de l’opposition arrêtés en pleine manifestation sont toujours en prison. A cela s’ajoute la longue liste de prisonniers politiques de 2020 et de 2010. Sur les 44 candidatures reçues par la Commission électorale indépendante, seulement deux opposants ont été retenus, les autres éliminés pour ‘’non-conformité de parrainage’’.  Et au centre de toute cette tension, se pose le problème de la légalité de la candidature du président sortant. Pire, certains acteurs clés de la politique ivoirienne ne peuvent fouler le sol ivoirien, bien que libres. Il s’agit de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et Guillaume Soro qui ont, par la même occasion, été radiés de la liste électorale.
 
L’attitude de l’ONU, de la CEDEAO et de l’UA
 
De l’avis du docteur en sciences politiques René Massiga Diouf, ‘’ces organisations ont tout le temps été dans leur rôle. Elles sont toujours intervenues, souvent en amont, pour faire en sorte que les problèmes ne prennent pas une certaine ampleur. Que ce soit l’ONU, la CEDEAO ou l’Union africaine, elles essaient de faire de leur mieux pour que la situation soit stable, pour que la crise actuelle ne dégénère pas. Mais ce qu’il faut reconnaitre, c’est qu’il y a un rôle d’avant-gardiste qu’elles n’ont pas joué. Cela, parce qu’elles ne veulent pas s’immiscer dans la crise politique. Or, on sait que la question du troisième mandat est quasiment le fond de la crise. Et pour pouvoir apporter des solutions, il faut toucher du doigt ce problème’’.
 
Pour le spécialiste des relations internationales, la mission conjointe est en train de tourner autour du pot. ‘’Cela ne laisse pas une bonne impression et c’est la raison pour laquelle on accuse souvent ces organisations d’être des médecins après la mort. Elles viennent après que le coup est déjà passé et c’est ce qui est en train de se passer en Côte d’Ivoire. Et on a l’impression que les choses se répètent, que cela va se passer dans pas mal de pays de la sous-région. Malheureusement, elles vont jouer le même rôle’’, poursuit-il. 
 
D’un autre côté, certaines composantes de la communauté internationale ont néanmoins durci le ton. La Cour africaine des Droits de l’homme et des peuples a rendu deux décisions de justice en faveur de la réintégration de l’ex-président Laurent Gbagbo et de Guillaume Soro dans le processus électoral. Des appels qui sont restés sans suite. Le 25 août, le gouvernement américain a demandé aux autorités ivoiriennes ‘’d’enquêter pleinement sur les morts associés aux récentes manifestations et à rendre publics les résultats desdites enquêtes’’. Mais depuis, le régime n’a nullement annoncé l’ouverture d’une enquête. Quant à l’Union européenne, elle dit prendre acte de la candidature d’Alassane Ouattara tout en espérant une élection apaisée.
 
En somme, la communauté internationale laisse aux Ivoiriens l’entière responsabilité de leur destin.
 
Paris a préféré s’éclipser
 
Le 5 mars 2020, Alassane Ouattara s’est engagé solennellement à ne pas briguer un troisième mandat. Il était temps, selon lui, de passer le flambeau à la jeune génération. C’est peu dire que cette annonce a été comme une bouffée d’air, si l’on se souvient de la crise post-électorale de 2010-2011. Pour marquer son approbation quant à la limitation des mandats en Afrique, Emmanuel Macron s’est empressé de vanter les mérites d’homme d’Etat du président ivoirien. Quatre mois après, les données ont changé et l’engagement tant applaudi n’est plus à l’ordre du jour. Les Ivoiriens et l’Afrique attendaient impatiemment la réaction du président français face à ce revirement de situation. Mais Macron a préféré ne plus se prononcer sur la question. L’ex-colon n’a fait aucune déclaration, même après la rencontre du 4 octobre à Paris avec Ado.
 
Si le président ivoirien a mentionné des ‘’convergences de vues sur la situation économique et politique en Côte d’Ivoire’’, dans les coulisses, les nouvelles disent le contraire. Le magazine ‘’Jeune Afrique’’ parle, lui, d’un déjeuner tendu. Il informe qu’Emmanuel Macron a fait part à son homologue de ses inquiétudes quant au climat socio-politique. Dans ce sillage, le président français a suggéré à Alassane Ouattara de procéder à un report du scrutin afin de lui permettre, ainsi qu’à Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié, de se retirer. Et ce délai permettrait l’ouverture d’un dialogue avec ses deux principaux opposants et serait un moment propice au choix d’un autre candidat pour la majorité. Une proposition qu’Ado a refusée.
 
 ‘’La posture de la France peut être interprétée diversement. Elle est dans une logique assez complexe, suite aux événements qui se sont passés en Côte d’Ivoire ces 20 dernières années et dans lesquels il y a une implication effective de la France. C’est la raison pour laquelle elle ne veut pas encore se mettre en ordre de bataille pour ne pas se mettre au-devant de la scène politique ivoirienne, surtout pour la résolution de cette crise. Mais je crois que dès le départ, la France a donné le ton, en montrant qu’elle était pour la limitation des mandats à deux. Mais, par la suite, la situation a changé de données, du fait que le candidat qui a été désigné par Ouattara a dû être remplacé par Ouattara lui-même’’, soutient René Massiga.
 
Le sentiment anti-français
 
De son analyse, on retient également que la posture française peut être comprise comme une posture de méfiance. Le spécialiste estime qu’’elle ne veut plus être vue comme le colon qui est tout le temps en train de jouer à l’arbitre ou au gendarme, alors que son rôle joué dans les événements antérieurs du pays est discutable à tout point de vue. L’ex-colon détient, en quelque sorte, la clé, en période de crise. ‘’On peut dire, à travers cela, que la France tient en laisse pratiquement toutes ses anciennes colonies’’.
 
Par ailleurs, un autre aspect entre en jeu, à savoir le sentiment français. ‘’La posture française peut être aussi vue comme la conséquence du sentiment anti-français qui s’est développé dans les pays d’Afrique francophone. Depuis quelques années, il y a des soulèvements un peu partout, il y a une opinion publique qui manifeste des velléités anti-françaises. Ce qui fait que la France se met un peu à l’écart, pour ne pas être au premier plan, même si elle n’a pas croisé les bras face au cas ivoirien. Elle ne veut pas rendre publiques toutes les initiatives qu’elle prend pour stabiliser la situation’’, conclut-il.
 
La seule issue heureuse envisageable, selon notre interlocuteur, est celle du report du scrutin. ‘’Le dialogue est inimaginable, actuellement. Alassane Ouattara n’envisage en aucun cas de faire machine arrière et au sein des acteurs politiques ivoiriens à l’intérieur même de la classe politique ivoirienne, il y a des leaders qui ne peuvent pas s’asseoir à une même table, malgré toutes ces alliances qui sont d’ailleurs contextuelles. La question du dialogue est assez complexe dans le contexte politique actuel. L’une des meilleures propositions est d’installer une période de transition d’un an au maximum, à la suite de laquelle une élection va se tenir sans Ouattara. Il aura largement le temps de préparer un dauphin et lui inculquer les valeurs de son parti. Et toute la pression des organisations internationales va contribuer à ce qu’il accepte le report des élections’’, explique Massiga Diouf.   
 
EMMANUELLA MARAME FAYE (Envoyée spéciale à Abidjan)

 

Section: