Publié le 20 Nov 2019 - 21:53
MENDICITE DES ENFANTS AU SENEGAL

Ce ‘’décor’’ hideux qui importune

 

Au Sénégal, la mendicité des enfants a pris des proportions affolantes. Des enfants sont exposés dans les rues, sans protection, et les parents ne s’en soucient guère. Ils sont quotidiennement confrontés à de nombreux dangers dans les artères de la capitale. Pour subvenir aux besoins de leurs maitres coraniques.

 

Que dire de la mendicité des enfants - surtout des talibés - qui n’ait déjà été dit dans la presse ou par les organisations de défense des droits des enfants ? C’est là une des questions que l’on met en évidence, quand on veut encore parler de ce problème. En réalité, il y a toujours à redire, à ce sujet. Et quand on fête les 30 ans de la Convention des droits de l’enfant, il est bien de rappeler à tous la situation de certains mômes au Sénégal.

On les appelle communément ‘’talibés’’. Ils suivent des études, dit-on, dans des ‘’daara’’ (écoles coraniques). Seulement, dans beaucoup de ces écoles, l’apprentissage y est souvent relégué au second plan. Les enfants passent la journée à faire la manche dans les rues de la capitale. On les trouve partout. En centre-ville, on les rencontre à chaque coin de rue. En banlieue, on les croise à tous les tournants. Ils sont devant les restaurants, pâtisseries, glaciers, banques, etc.

Assis sous un arbre, pieds nus, Tidiane Diop, jeune talibé de 9 ans, rencontré à Keur Massar, près d’une station d’essence, narre son calvaire : ‘’Chaque jour, je me réveille à 4 h pour apprendre le Coran avec mes camarades. Après cela, nous effectuons la prière du ‘Fajr’ pour ensuite quitter Niaga (une localité située à côté du lac Rose) et venir mendier ici. Il nous faut avoir la somme complète que nous demande notre maitre coranique. Une somme allant de 500 à 1 500 F Cfa par jour. Et gare à ceux qui ne s’acquitteront pas du montant exigé.’’

Ces enfants sont donc obligés de passer beaucoup de temps dehors pour réunir la somme. En ce qui concerne Tidiane, et selon ses dires, son maitre coranique prend du temps pour leur apprendre des versets du Coran. Ce qui n’est pas le cas d’un autre enfant rencontré aux abords d’un restaurant en face de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.

‘’Je viens de Colobane. On se réveille avant 7 h et on mendie jusqu’au soir’’, confie-t-il. A la question de savoir s’il étudie, la réponde est évasive : ‘’Oui…’’ Et à quel moment ? Il hésite, puis sourit sans répondre. Trouvé un peu plus loin, un groupe d’enfants âgés entre 6 et 10 ans, avec de petits pots contenant quelques bougies et pièces de monnaie, devisent tout content en peulh. Ils ont un wolof approximatif, mais comprennent ce qu’on leur dit. Ils affirment venir du sud du pays et sont là pour apprendre le Coran. Pour quelques pièces brandies, ils ont accepté de réciter quelques versets a priori accessibles. Un seul a été capable de déclamer correctement. Les autres n’ont pas pu.

A Front de terre, deux fillettes au teint assez clair interpellent les passants. Leur maman est assise à l’ombre d’un arbre, dans l’indifférence totale quant à leur sécurité. Elle est plus occupée à héler les passants.  Elles ne sont pas sénégalaises et ne semblent parler que la ‘’langue’’ de l’argent. Pour quémander des pièces de monnaie, elles savent vraiment s’y prendre. Mais ne leur posez pas des questions relatives à leur origine ou au pourquoi de leur venue au Sénégal : elles se contentent de mimiques, vous faisant savoir qu’elles ne comprennent rien à ce que vous dites. Pourtant, leur ‘’nguir yalla’’ (au nom d’Allah) ou ‘’dama khiif’’ (j’ai faim) ou encore ‘’ndokh la beug’’ (je veux de l’eau) sont très clairs et précis. Elles, également, se sont mises aux ‘’nouvelles formes de mendicité’’.

Ceux qui font la manche poussent l’audace jusqu’à fixer le montant qu’ils souhaitent qu’on leur donne. ‘’Je veux 50 F pour acheter de l’eau’’ ; ‘’je veux 500 F, j’ai faim’’ ; ‘’je n’ai pas pris mon petit déjeuner, acheter moi du pain et du chocolat’’.

‘’L’État doit prendre ses responsabilités’’

Ces enfants mendiants importunent les passants dont certains éprouvent de la compassion pour eux. Amy Collé Sèye, mère de famille âgée de 46 ans, déplore ce phénomène et pointe du doigt l’État et les parents : ‘’Il faut protéger les enfants en général, car leur place n’est pas dans la rue. Les familles ont l’obligation de prendre soin d’eux, tout comme l’État doit prendre ses responsabilités. L’enfant a des droits qui doivent être respectés.’’

Commerçant au marché de Keur Massar, Doudou Diop partage cet avis. Il ajoute que les seuls fautifs sont les parents qui abandonnent les enfants dans les ‘’daara’’ : ‘’Un enfant est un cadeau de Dieu ; il faut en prendre soin.  Laissons les enfants vivre leur vie pleinement et arrêtons de les exploiter comme s’ils ne faisaient pas partie de la société’’, dénonce-t-il.

Chapelet à la main, habillé en boubou traditionnel, Serigne Djibril Fall est maitre coranique à Yeumbeul. Pour lui, certains ‘’Serigne daara’’ (maitre coranique) ne sont pas du tout responsables de cette mendicité.  ‘’Parfois, j’ai du mal à entretenir tous ces enfants. Certains parents viennent me confier les leurs sans argent, ni rien, et c’est vraiment difficile pour moi de leur trouver à manger. Je suis obligé de les laisser aller à la quête de quoi manger. Je ne fixe pas de montant pour mes talibés. Chacun apporte ce qu’il a, et c’est cet argent que j’utilise pour leur payer à manger et quelques effets personnels’’.

Certaines personnes rencontrées à Keur Massar sont d’avis que les responsabilités sont partagées et prônent l’éradication définitive de la mendicité au Sénégal.

ROKHAYA NDOM (STAGIAIRE)

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