Publié le 29 Nov 2019 - 01:16
MENDICITE SEVICES CORPORELS SUR DES ENFANTS ETC

L’Etat au banc des accusés

 

Un énième cas d’enfants brimés, maltraités, enchainés comme des esclaves fait actuellement les gros titres au Sénégal. Ils sont ce qu’on appelle ‘’des enfants talibés’’. Envoyés dans des ‘’Daaras’’ par leurs parents, ces petits anges sont souvent victimes de leurs ‘’maitres coraniques’’ qui ne sont pas toujours des enseignants maitrisant le Coran.

 

‘’Il n’y a rien de nouveau, rien dans ce qui s’est passé dans ce village près de Coki’’. C’est la conviction de celle qui dirige le ‘’Collectif Stop mendicité Dafa Doy’’, Hulot Guillabert. ‘’Ce n’est pas nouveau’’, confirme le coordonnateur de l’association ‘’Aar Xaleyi’’, Madiaw Ndiaye. Il y a quelques jours, des photos d’enfants enchainés aux pieds ou aux mains ont circulé sur la toile. Leur maître coranique a reconnu, hier, les faits devant le tribunal et sera fixé le 4 décembre.

Depuis son arrestation, des voix discordantes s’élèvent. Certains s’indignent, dénoncent et condamnent. D’autres pensent qu’il n’y a rien qui vaille de s’égosiller. Ces pratiques sont courantes et ne font que renforcer l’apprentissage et l’éducation de ces enfants.  Ne pensez surtout pas que Madiaw Ndiaye et Hulot Guillabert sont de ceux-là, parce qu’ils soutiennent qu’il n’y a rien de nouveau dans ces faits dénoncés.  Non ! Ils sont plutôt de ceux qui pensent que ‘’cela fait longtemps qu’on tombe sur ces faits divers’’. Ils n’ont pas pas tort car comme l’a rappelé Mme Guillabert, ‘’il y a 3 ou 4 ans, à Diourbel, étaient découverts une vingtaine d’enfants maltraités chez un ‘’marabout’’.

Ce dernier a été ‘’arrêté et pendant trois jours, des gens récitaient le Coran devant le commissariat de Diourbel’’. Il fut alors relâché sans même être jugé. Aujourd’hui, Hulot Guillabert a peur d’assister au même scénario. ‘’Aujourd’hui, je n’ai plus aucun espoir de voir les choses changer, même si je pense qu’il faut continuer à dénoncer et à en parler. On a trop vu ce genre de choses arriver, sans qu’il n’y ait des sanctions. Les coupables ne sont pas inquiétés’’, se désole-t-elle.

Madiaw Ndiaye lui reste optimiste. Il pense qu’il faut jouer le jeu de ceux qui essaient de défendre ces pratiques et leurs auteurs. ‘’Il faut leur tenir tête. Ils sont très bien organisés. Il faut voir ce qu’ils ont fait après ce qui s’est passé ce week-end. Ils sont rapidement allés voir le Khalife général des mourides Serigne Mountakha Mbacké, pour lui dire qu’il y a des gens qui sont en train de se battre contre l’islam et les daaras, alors que tel n’est pas le cas. Je pense qu’il faut donc s’organiser comme eux. Ce n’est pas la première fois qu’ils font ce genre de choses’’, avise M. Ndiaye.

En effet, rappelle-t-il, ‘’quand on a annoncé le retrait des enfants de la rue, c’était les mêmes qui étaient allés voir les marabouts pour leur dire qu’il y a des ONG et des droits l’hommistes qui sont en train de se battre contre les daaras. Aujourd’hui, je pense qu’il faut aller là où ils vont. Les khalifes généraux ont des voix qui portent, il faut qu’on aille les voir. Il faut leur montrer ce qu’est devenu le daara, en général. Il y a certains qui s’en prennent à la dignité humaine’’.

Madiaw Ndiaye (Coord Aar Xaléyi) : ‘’C’est de la mafia’’

Membre de la Fédération du Baol qui a des programmes dans les daaras, Gora Ben Fall, trouve le traitement réservé à certains enfants talibés inhumains. Pour Madiaw Ndiaye, ceci  ne reflète qu’une réalité sociale. Au Sénégal, on aime s’en prendre aux personnes les plus faibles. Les enfants en font partie. Quoiqu’il en soit, lui et Hulot Guillabert pensent que ce qui s’est passé à Ndiagne est un prétexte pour l’Etat de réagir. ‘’Pour moi, c’est une autre occasion, après les déclarations de Macky Sall et d’Abdoul Mbaye interdisant la mendicité des enfants, de l’Etat de prendre des mesures fortes. Il faut rester mobilisés et maintenir l’alerte pour que les choses changent maintenant. Il faut une éradication de la mendicité. Le retrait définitif des enfants qui mendient est impératif avec une prise en charge réelle de cette problématique qu’est le daara’’, plaide-t-il.

Hulot Guillabert pense qu’on pourrait commencer par une forte campagne de sensibilisation. ‘’Il faut que l’Etat produise des spots à diffuser dans les médias dans toutes les langues. Il faut qu’il dise aux parents d’arrêter d’amener leurs enfants dans les daaras. Aux populations, il faut qu’il leur fasse comprendre qu’elles doivent arrêter de donner de l’argent à ces enfants. Quand il n’y aura plus de sous dans cette histoire, ceux qui exploitent les enfants arrêteront’’, pense Mme Guillabert. ‘’Prenez un daara où il y a une cinquantaine d’enfants et qui ramènent 500 FCFA chacun tous les jours à celui qui se dit leur maître coranique. Vous imaginez combien cela fait quotidiennement. Il n’y a aucun business aussi florissant que celui-là. C’est de la mafia, de l’exploitation’’, dénonce M. Ndiaye.

Donc, il urge que l’Etat agisse. Il est le seul à pouvoir régler le problème. Gora Ben Fall pense qu’il revient aux gouvernants d’éradiquer la mendicité et d’aider ces enfants qui vivent des situations difficiles. Mme Guillabert est d’avis que si l’Etat le souhaitait, il réglerait rapidement tous les écueils liés à la protection de l’enfant. ‘’Il n’y a aucun facteur social ou sociologique qui peut bloquer ce processus. Je n’y crois pas personnellement. Je pense qu’il manque juste une volonté politique. Il ne semble pas y être disposé et on a l’impression de crier dans le désert’’, argue-t-elle.

Le coordonnateur d’Art Xaleyi partage cet avis. ‘’En 2019, on ne doit pas voir ces actes qui rappellent l’esclavage, les populations doivent se mobiliser. L’Etat qui a le pouvoir, toute la logistique et tous les moyens qu’il faut doit réagir. Il ne doit pas  faire les choses comme il les faisait avant. On ne veut plus de ces actions médiatisées et sans effet. Il faut une action réfléchie. L’Etat doit prendre une décision ferme pour qu’il n’y ait plus de mendicité dans les rues. L’Etat doit prendre ses responsabilités. Il doit prendre ce problème à bras le corps. Ils sont exploités depuis longtemps. Si l’Etat du Sénégal a vraiment une volonté politique, il peut y arriver’’, reste convaincu M. Ndiaye. ‘’Il n’y a pas un seul mécanisme sérieux pour prendre en charge ces enfants-là, à part les centres d’accueil’’, s’attriste-t-il.

‘’ Ce sont eux qui grandissent et deviennent ces adolescents qui agressent’’

Pourtant, prendre cette question en charge ne devrait pas poser problème, puisque l’Etat du Sénégal, comme l’a rappelé l’ancien président du parlement des enfants Pèdre Ndiaye, a signé toutes les conventions imaginables liées à la protection de l’enfant. En effet, le Sénégal a ratifié toutes les grandes conventions internationales sur les droits de l'enfant et leur exploitation. Les abus commis à leur encontre sont considérés comme des crimes par le Code pénal sénégalais et par une loi de 2005 contre la traite de personnes. Mais toutes ces décisions ne sont pas matérialisées. Sur le terrain, rien n’est respecté, constate-t-on.

Mais Madiaw Ndiaye reste ferme, les organisations de défense et de protection de l’enfant ne baisseront pas les bras. Dans cette affaire dite de Coki, par exemple, elles comptent la suivre jusqu’au bout et manifester, s’il le faut, pour que les personnes incriminées soient condamnées. ‘’Il faut qu’elles servent d’exemples aux autres afin qu’ils arrêtent’’, dit-il. Pour lui, ces gens ne savent pas les répercussions que certains traitements peuvent avoir sur ces petits. Lui qui a travaillé sur divers projets avec des enfants de la rue, d’anciens talibés, parle au nom de l’expérience. ‘’On recevait des enfants et quand je discutais avec eux, ils me racontaient des histories invraisemblables. Ils sont des milliers à vivre cela, mais personne ne réagit. Il y a des voix qui s’élèvent, mais sont étouffées par celles de ceux que cette situation arrange. Ces enfants sont victimes d’abus sexuels et de viols. Cela continue jusqu’à présent’’, partage-t-il.

 ‘’On ne se demande pas comment cette personne va grandir. Tous ces enfants qui ont fugué, parce que ne pouvant plus supporter les sévices corporels, vivent sous les ponts, au marché sandaga, tout le monde le sait. Ils sont pour la plupart d’anciens talibés. Ce sont eux qui grandissent et deviennent ces adolescents qui agressent. Ils se retournent contre la société et sont devenus des vagabonds. C’est la réalité. J’ai travaillé pendant 2 ans avec les jeunes qui sont à Sandaga. Il est impossible de trouver les mêmes jeunes tous les jours. Ils font des allers retours entre la prison et la rue. La situation se retourne toujours contre nous’’, indique-t-il.

 BIGUE BOB

 

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