Publié le 21 Sep 2019 - 00:20
MORT DE SENEGALAIS AU MAROC

Histoires de petits meurtres entre amis

 

Le seul problème entre la République du Sénégal et le royaume du Maroc, c’est qu’il n’y a pas de problème. Enfin, jusqu’à ce que les cas récurrents de meurtre de Sénégalais agacent Dakar.

 

Le meurtre de Mouhamed Thiam au Maroc sera-t-il l’affaire qui va vraiment réveiller le gouvernement sénégalais de sa torpeur, après plusieurs cas qui sont passés par pertes et profits ? Depuis l’avènement de la 2e alternance, c’est la première fois qu’un ministre des Affaires étrangères, Amadou Ba, est dépêché dans le royaume chérifien pour s’expliquer avec les autorités de ce pays, comme l’ont expliqué du reste nos confrères de ‘’Dakar Times’’ avant-hier. L’usage, pour la diplomatie sénégalaise, était de sortir un communiqué sédatif dans lequel elle appelait la communauté sénégalaise au calme et avait quand même le mérite de s’occuper des formalités de rapatriement des cadavres.

Ainsi, le 1er septembre 2014, c’était pratiquement le même procédé, après le meurtre de Charles Paul Alphonse Ndour à Boukhalef (Tanger) pourtant régulièrement établi dans le royaume chérifien. Le mécontentement général de la communauté sénégalaise a été ‘‘refroidi’’ par le communiqué de Mankeur Ndiaye, Ministre des Affaires étrangères, appelant à la sérénité.

Le consul général, Cheikh Tidiane Sall, s’y déplace et s’assure personnellement des formalités de rapatriement du corps. Le communiqué du ministère sénégalais des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur (Maese) manque de peu de se désengager de toute responsabilité, estimant que ‘‘le drame s’est produit dans un quartier surpeuplé de candidats subsahariens au voyage en Europe’’. Dakar précise que ‘‘les émigrés sont souvent victimes de vols et autres agressions, source permanente d’affrontements entre riverains et étrangers’’. Une quinzaine de jours plus tôt, le 14 août précisément, Ismaila Faye est tué après une bagarre dans un bus, à la gare routière de Kamra (Rabat), après avoir refusé de céder sa place. L’année qui a précédé, en octobre 2013, dans l’‘‘enfer’’ tangérois, la chute mortelle de Moussa Seck du 4e étage d’un immeuble toujours non élucidé, émeut la communauté sénégalaise.

En avril 2015, les sœurs Aram et Sophie Guèye et leur cousine de 26 ans Seynabou Ndoye sont retrouvées mortes dans leur appartement du quartier Firdaws, à Casablanca. Les conclusions de l’autopsie, rendues publiques le 13 avril, déclarent que les trois jeunes femmes ont été tuées par une intoxication au monoxyde de carbone due, sans doute, à une fuite de gaz butane. L’enquête, qui devait déterminer si c’est une mort accidentelle ou d’origine criminelle n’est pas encore connue de l’opinion publique sénégalaise, malgré la colère noire du secrétaire d’Etat aux Sénégalais de l’extérieur Souleymane Jules Diop, déterminé à obtenir la lumière sur cette affaire.

Des cas pareils impliquant des Sénégalais et d’autres ressortissants de l’Afrique subsaharienne sont légion, et leur issue demeure majoritairement un passage par pertes et profits. ‘‘Les affaires judiciaires concernant les étrangers noirs sont très peu relayées. Résultat ? Nous ne sommes pas du tout informés quant à l’issue des incidents qui nous concernent. Pour les étrangers blancs, oui’’, nous explique le journaliste sénégalais basé à Casablanca, Khadim Mbaye.

 ‘‘Ces accidents peuvent arriver à tout moment. Nombreux sont les Marocains qui considèrent les Noirs comme des voleurs de chances (postes). Or, le nombre d'immigrants dans le pays ne dépasse pas 400 000 individus réguliers comme clandestins, alors que le nombre de Marocains à l'étranger est de 5 millions’’, poursuit l’ancien reporter de la 2Stv, à la question de savoir quelle était la fréquence de ces meurtres. Khadim Mbaye qui vit, depuis quelques années dans ce pays, explique ce phénomène principalement par un complexe obsessionnel de supériorité marocain envers les Africains du sud du Sahara, alors qu’ils souffrent du complexe inverse envers les Occidentaux.

‘‘J'ai constaté qu'il y a un deux poids, deux mesures dans le traitement d’affaires de meurtre ou d’agression d’étrangers dans le pays. Un Noir américain a été récemment arrêté par la police qui l’a confondu avec un Subsaharien... Tout le monde en a parlé, alors que pour ce cas-ci (Ndlr : Mouhamed Thiam), il y a eu peu d’indignation. Il y a beaucoup d’idées reçues sur les Noirs et les pays africains de manière générale’’, décortique M. Mbaye.

Dans le même temps, en février 2017, la mort de l’étudiant marocain Mazine Shakiri à Dakar, suite à un vol à la tire, a aussitôt été suivie de l’arrestation et de l’inculpation de trois de ses six agresseurs.  

Le Sénégal partenaire privilégié

Un phénomène d’autant plus incompréhensible que dans le champ politique marocain, aucun parti ne développe une rhétorique xénophobe, à l’image de l’actuelle équipe dirigeante de l’Anc, en Afrique du Sud. ‘‘C’est vrai qu’il n’y a pas de discours politique raciste au Maroc’’. Le Sénégal s’est toujours enorgueilli que le Maroc constitue l’une de ses relations privilégiées dans sa politique extérieure, en compagnie de la France, des Usa et de l’Arabie Saoudite. Le président sénégalais Macky Sall s’est même mis à dos une partie de ses pairs africains, en se portant garant du retour marocain dans le giron d’une Union africaine qui a toujours entretenu des relations exécrables avec le royaume, sur la question sahraouie notamment. Le roi marocain a effectué trois visites au Sénégal en 2013, 2016 et 2017. Une entente tellement solide que le cadre juridique de la coopération est riche de 125 accords, faisant du royaume le premier partenaire du Sénégal en termes de convention bilatérale signée.

Les Sénégalais bénéficient même d’un traitement préférentiel par rapport aux autres ressortissants de pays subsahariens. Khadim Mbaye énumère la liste des efforts que le royaume chérifien met en œuvre pour faciliter l’intégration des étrangers, les Sénégalais notamment.  Ces derniers sont épargnés des formalités du visa pour entrer dans ce royaume et n’ont besoin que d’un passeport, d’une réservation et d’un billet aller-retour. Quant aux emplois, ‘‘les Sénégalais ont aussi les mêmes droits que les Marocains sur le marché du travail. Ils n’ont pas besoin d'une autorisation de travail. Sans carte de séjour, on peut y travailler’’, avance M. Mbaye, quoique les sorties de devises du territoire ne peuvent excéder 2 000 dirhams (125 mille F Cfa).

Mieux, malgré l’opposition du Parlement marocain à deux projets de loi antiraciste, c’est le roi Mohammed VI qui est monté au créneau, en 2013, pour affirmer que le Maroc est une terre d’accueil pour les migrants et demander leur traitement égalitaire et humanitaire. Dans la foulée, le royaume annonce avoir régularisé quelque 50 000 étrangers, en deux vagues (2014 et 2016). Le seul pays arabe à l’avoir fait, pour le moment. Une telle politique n’existe pas chez les voisins algérien et tunisien. La Tunisie a fait mieux pourtant, en octobre 2018, en étoffant son arsenal législatif d’une une loi criminalisant les propos racistes, l’incitation à la haine et les discriminations.

Des efforts qui semblent cosmétiques, au vu de la récurrence des meurtres dans ce pays qui n’est plus uniquement un royaume de transit vers l’Espagne, mais une destination finale pour de nombreux migrants.

Malgré les efforts consentis par les autorités marocaines à un traitement d’intégration et d’égalité des ‘‘Africains’’, le constat du journaliste sénégalais est lucide, après le meurtre de Mouhamed Thiam. ‘‘En tout cas, ce massacre peut annihiler tous les efforts du Maroc’’.

OUSMANE LAYE DIOP

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