Publié le 6 Mar 2014 - 11:12
MOUCTAR BELAL BA (CONSUL GÉNÉRAL DU SÉNÉGAL EN ESPAGNE)

 «Plus de 400 Sénégalais croupissent dans les prisons espagnoles»

 

Frappé de plein fouet par une crise économique sans précédent, Le royaume d’Espagne n’en continue pas moins d’attirer sur ses côtes et dans ses enclaves de Ceuta et Melilla des hordes d’émigrés clandestins. Certains y laissent d’ailleurs leur vie. Dans cet entretien, le Consul Général du Sénégal à Madrid, Mouctar Belal Ba, revient sur ce phénomène des embarcations de fortune qu’on croyait révolu, et passe en revue la situation de nos compatriotes vivant et travaillant en Espagne. Une situation pas du tout reluisante et qui pousse certains jeunes à s’adonner au vol avec violence et au trafic de stupéfiants. A en croire le consul général, plus de 400 Sénégalais sont détenus dans les prisons espagnoles.

 

Depuis un certain temps, on note une recrudescence des embarcations de fortunes sur les côtes espagnoles. A quoi cela est-il dû ?

Nous ne pouvons pas comparer cette recrudescence des embarcations à celle des années précédentes. La particularité réside dans le fait que ces embarcations proviennent des frontières marocaines. Depuis que le royaume chérifien a commencé son processus de régularisation, les Africains qui ne satisfont pas des critères établis font le forcing pour  entrer  en Espagne, afin d’échapper à une éventuelle expulsion.

On note aussi une ruée de Subsahariens vers l'enclave de Melilla. Est-ce à dire que les réseaux de trafics d'immigrés clandestins sont toujours opérationnels ?

Cette ruée vers Ceuta et Melilla  est motivée par  cette peur d’expulsion depuis le Maroc.  Tout en sachant que s’ils arrivent à fouler le sol espagnol ils auront la chance d'y rester.  C’est donc tout à fait normal que la mafia s’engouffre dans cette nouvelle brèche afin d’en tirer le maximum de profit possible. C’est une aubaine pour elle que d’avoir un nombre assez important de clandestins aux frontières.

Comment expliquer cette ruée vers une Espagne pourtant frappée de plein fouet par une crise économique sans précédent ?

Vous savez que la législation espagnole de gestion des sans-papiers est plus ou moins   flexible dans la pratique de reconduction aux frontières. Les immigrés sont d’abord placés dans un centre d’internement pour une durée de 40 jours aux fins d'identification.

Ce processus est dû au fait que beaucoup d’entre eux ne déclarent pas leur pays d’origine. Après les 40 jours, ils sont libérés et restent en Espagne si la vérité sur leur pays d’origine n’est pas établie. Beaucoup d’émigrés du phénomène «barça ou barzax» ont aujourd’hui des papiers et cela incite ces jeunes à tenter leur chance en voulant entrer par tous les moyens en Espagne. Même en y laissant leur vie.

Ce qui est vraiment dramatique. D’où la nécessité de les sensibiliser davantage sur la question. Surtout que la crise est trop dure pour nos compatriotes déjà sur place.

De jeunes Sénégalais figurent parmi les victimes du mirage espagnol, d'ailleurs certaines dépouilles mortelles ont été rapatriées au pays. Comment le Consulat a pu gérer tout cela ?

Les Sénégalais dont vous parlez ont été retrouvés sur la partie marocaine. Le jour où nous avons eu cette information, nous avons pu avec une bonne coordination entre le Consulat général en Espagne, le ministère des Affaires étrangères, les autorités portuaires et  policières  du Maroc et de l’Espagne, donner une  information officielle. Nous saluons la décision  noble du gouvernement, sur instruction du chef de l’Etat, de  rapatrier les corps de ceux qui ont pu être identifiés.

Si du côté du Sénégal et de la Mauritanie, le départ des embarcations de fortune se fait de plus en plus rare du fait du dispositif Frontex, il en va autrement du côté du Maroc. Quelle explication donnez-vous à cet état de fait ?

Je ne peux pas me prononcer sur le dispositif Frontex sur les côtes marocaines. Mais je salue le travail de nos autorités pour éviter les drames humains des années 2006-2007.

Le Royaume d'Espagne est lourdement touché par la crise économique avec un taux de chômage de 26%. Comment nos compatriotes vivent-ils cette situation ?

La crise touche de plein fouet nos compatriotes. Ils sont fatigués. Il faut l’avouer. Entre 2000 et 2008, avec un boom immobilier et un secteur agricole en pleine extension, la demande de main d’œuvre était si importante que trouver un travail en Espagne était un jeu d’enfant.

Beaucoup en ont profité pour regrouper leur famille et même acheter des maisons. Aujourd’hui, du fait de la crise, ils ont presque tous perdu leur emploi. D’où la multiplication des problèmes sociaux qui découlent de cette perte d’emploi. La majorité a perdu la prestation de chômage minimum et se retrouve dans des situations de précarité. Les compatriotes du secteur informel vivent aussi la même situation. La vulnérabilité est plus accentuée chez les femmes.

A partir de 2007, l’émigration féminine a augmenté du fait des contrats d’origine des années précédentes. La majorité des filles qui étaient venues travailler dans les champs de fraise sont aujourd’hui dans la précarité. 

Ya-t-il des dispositions prises pour leur venir en aide ?

Nos compatriotes commencent à s’intéresser au retour en s’adressant au
nouveau service d’appui au retour et à la réinsertion du Consulat. Ce service a comme objectif d’informer sur les possibilités de réinsertion  en travaillant étroitement avec  le Faise (Fonds d’appui à l’insertion des Sénégalais de l’extérieur).

Il  faut  surtout rappeler que son Excellence  le président de la République Macky Sall est le premier Président à donner une attention si particulière aux Sénégalais de l’extérieur. Dans tous les programmes du chef  de l’Etat, la promotion de la diaspora occupe une place importante.

Je peux citer à titre d’exemple l’augmentation  du  Fonds d’appui à l’insertion, la mise en place du Fonsis, la promotion de l’habitat, le Fonds d’appui aux femmes de la diaspora. A cela s’ajoute une gestion efficace des problèmes administratifs avec la mise en place de nouveaux services d’obtention de NIN (Numéro d’identification nationale) sur place  pour faciliter la confection d’un passeport. 

En Espagne, l’Organisation internationale des migrations (OIM) a mis en place un fonds d’appui au retour volontaire de 2500 à 3000 euros pour accompagner des porteurs de projets au Sénégal après une courte formation en entrepreneuriat. Cet outil est positivement accueilli par nos compatriotes. Le Consulat  travaillera en synergie avec la délégation des  Sénégalais de l’extérieur pour un  suivi sur place. D’autres mécanismes de réinsertion avec les entreprises espagnoles désirant  s’installer au Sénégal  sont  à l’étude.

A l'instar de leurs compatriotes immigrées en   France, aux usa et en  Italie entre autres pays, les femmes sénégalaises vivant et travaillant en Espagne avaient bénéficié d'une ligne de crédit pour le financement de leurs projets. Qu'en est-il exactement ?

Le lancement de la ligne de crédit de financement des femmes d’Espagne a eu lieu le 21 novembre 2013 en présence de l’ex-administrateur du Faise. Une idée révolutionnaire du chef de l’Etat dans la démarche hautement républicaine d’apporter une bouffée  d’oxygène  aux  braves  femmes  de la diaspora, dans le souci d’augmenter leurs revenus  et de lutter contre les effets de la crise.

Ce projet requiert une méthodologie  adaptée a chaque pays.  N’oublions  pas que nous parlons de crédit  et non de dons partisans comme le faisaient d’autres dirigeants. Depuis novembre (2013), nous travaillons sur la sensibilisation et l’information afin d’impliquer tous les ayants droit. Nous avons aussi en toute transparence simplifier  le canevas de projets afin de toucher toutes les couches sociales.

Actuellement, nous avons reçu plus de 400 demandes de financements venues de toutes les régions d’Espagne. Dans les prochains jours, nous allons procéder aux présélections selon les critères définies par l’administration du Faise. Le processus final se fera avec un comité consultatif composé du consulat, du Faise, du Bureau économique et des représentants du mouvement associatif de chaque région.

Avez-vous une idée du nombre de Sénégalais présents sur le sol espagnol et comment gérez-vous tout ce monde avec un seul consulat général ?

Ils sont officiellement plus de 60 000 Sénégalais disposant d’un titre de séjour et de travail en Espagne. Mais il y a un grand nombre de sans-papiers, ils seraient plus de 20 000. La majorité vit en Catalogne, en Andalousie et dans les régions de Madrid et Valence. Néanmoins, on retrouve les Sénégalais dans toutes les provinces du Royaume d’Espagne.

Dans cette mission délicate qui m’a été confiée par le chef de l’Etat, j’ai eu à bénéficier de la disponibilité et du soutien des associations, dahiras et autres leaders d’opinion. Le style de management horizontal et l’esprit d’équipe de mes collaborateurs nous facilitent la tâche de gestion quotidienne des problèmes de nos compatriotes. Les associations sénégalaises d’Espagne ont effectué un sursaut national.

Un dialogue permanent est établi entre l’administration et nos compatriotes. Ce qui nous permet  de gérer ensemble cette vaste juridiction. A Madrid, certains de nos compatriotes qui viennent des régions de l’intérieur pour chercher un passeport sont  souvent victimes de contrôles   de papiers ou confrontés à des difficultés financières de transport.

Ainsi, pour leur éviter ces désagréments, des équipes mobiles sont envoyées dans les différentes régions pour la confection des passeports et autres documents administratifs. Rien qu’en 2013, 13 769 passeports  ont été confectionnes et remis aux ayants droit par le  système de messagerie.

En  2014, nous avons déjà fait les Îles Canaries et Baléares et la région basque et nous envisageons de sillonner tout le territoire espagnol. Certes, nous avons un seul consulat général, mais grâce à une bonne synergie d’actions entre le consulat, les associations et  les dahiras, nous arrivons à surmonter les difficultés.  

De plus en plus de jeunes Sénégalais croupissent dans les prisons espagnoles. Peut-on avoir une idée de leur nombre ?

Ils sont environ 400 Sénégalais dans les lieux de détention mais il est difficile d’avoir un nombre exact car, avec les remises de peine par des expulsions, les chiffres varient d’un trimestre à un autre. Des visites périodiques sur demande des services sociaux pénitentiaires ou sur demande des détenus sont effectués dans les différentes prisons. Nous avons établi des canaux de communication périodique avec les administrations pénitentiaires pour une question d’efficience. L’Espagne est très vaste.

Pour quels délits nos compatriotes sont-ils condamnés en général ?

Pour les délits, de vol avec violence, de détention et d’utilisation de faux billets, et de violence conjugale. Mais nous avons surtout noté une augmentation de condamnations pour le délit contre la santé publique, l'équivalent du délit pour vente de stupéfiants.

Propos recueillis par Ibrahima Khalil WADE

 

 

 

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