Publié le 10 Nov 2019 - 01:42
MOUSTAPHA MBENGUE (ENSEIGNANT CHERCHEUR, DIRECTEUR DE L’EBAD)

‘’Nous devons à Maodo le modèle confrérique chanté partout dans le monde’’

 

Docteur en sciences de l’information et de la communication, Moustapha Mbengue maitrise l’histoire de la tijanya et celle d’El Hadj Malick Sy en particulier. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, il parle du Gamou, des relations entre Maodo et ses disciples, entre autres sujets. Selon l’enseignant chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et directeur de l’Ecole nationale des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (Ebad) les Sénégalais doivent, en réalité, à Maodo le modèle confrérique sénégalais qui est chanté partout dans le monde.

 

Que pouvez-vous nous dire d’El Hadj Malick Sy ?

Je n’ai pas la prétention de le connaitre. Maodo est multidimensionnel. Je puis juste dire ce que vous savez déjà de lui. Il est né à Gaya en 1855 (certains disent 1853) de son père Mame Ousmane Sy et de sa mère Mame Fatoumata Wade Wélé dite ‘’Mame Fawade Wélé’’. Il fut très tôt initié au Coran et à la science islamique par son oncle, avant de choisir la tijanya comme voie spirituelle. C’est, en réalité, Cheikh Ahmeth Tidiane qui l’a choisi. Alpha Mayoro lui a transmis le ‘’wird’’ et l’“ijaza” le même jour, à l’âge de 18 ans, alors que Cheikhou Oumar Tall l’avait annoncé comme étant le légataire et khalife de la tijanya au Sénégal.

Après un passage en Mauritanie, Seydi El Hadj Malick séjourna à Saint-Louis, passa quelque temps à Louga, puis à Ndiarndé, où il séjourna sept ans. Il vécut également à Diacksao et à Pire, avant de s’établir à Tivaouane en 1902 où il organisa le premier véritable Gamou. Il y construit sa ‘’zawiya’’, après avoir installé celle de Dakar. Il fit également le pèlerinage à La Mecque en 1888, ce qui relevait, à l’époque, d’un exploit. Maodo fut également un poète soufi, sa bibliographie est très riche, mais ses écrits les plus connus sont “Khilâçu Zahab”, “Nûniyya”, ‘’Kifayatur-Raghibine’’, etc. Il retourna à son Seigneur en 1922.

Parlez-nous des origines et de l’historique du Gamou de Tivaouane.

L’origine du Gamou remonte à 1902, lorsque Seydi El Hadj Malick Sy s’est installé à Tivaouane pour enseigner le Coran et la Sunnah, mais surtout pour former des érudits qu’il affecta dans plusieurs localités, afin qu’ils puissent diffuser son message. Le Gamou, où la célébration de la naissance du Prophète, est pour Maodo une occasion de rendre hommage au Prophète Mouhamed, tout en revisitant ses enseignements. C’est aussi, pour lui, une occasion de rappeler tous ses talibés pour renouveler le message et inculquer l’amour de Dieu et de son Prophète (Psl).

Pourquoi le saint homme a choisi de célébrer la naissance du Prophète et non un autre évènement ?

La célébration de la naissance du Prophète, chez El Hadj Malick Sy, va au-delà d’une simple célébration. Elle est, en effet, un enracinement dans un cheminement initiatique. Cela s’explique d’ailleurs dans un de ses vers, dans sa ‘’Nûniyya’’ : ‘’La célébration de la naissance du Prophète est source de charaf, de grâce divine et de bonté, et c’est par sa célébration que les vœux se réalisent.’’

Il a donc choisi la naissance du Prophète dans le cadre d’un cheminement initiatique particulier. Notre ami, le chercheur Seydi Diamil Niane, l’a d’ailleurs bien décrit dans son livre ‘’La voix d’intercession du Prophète dans la poésie d’El Hadj Malick Sy’’. Par ailleurs, selon El Hadj Malick Sy, la joie d’accueillir la naissance du Prophète est incommensurable. Pour lui, le jour, le mois et l’année de la naissance du Prophète sont source de béatitude : ‘’Wa âmun Thumma Shahrun Thumma Yawmun/ Atâ fîhil hudâ Qarnul Qurûnî.’’

Est-ce que la tenue du Gamou avait une signification particulière pour lui ?

Célébrer la naissance du Prophète, c’est tout simplement, pour Seydi El Hadj Malick Sy, source de satisfaction et d’accomplissement pour ce monde-ci et pour l’au-delà. Comme il le dit dans sa ‘’Nûniyya’’, la célébration du Mawloud est la clé de la satisfaction des besoins d’ici-bas, mais aussi la réalisation du vœu d’accéder à la félicité (‘’Wa fit-ta’zîmi injâhu shujûni’’). C’est par le Prophète que nous avons tout obtenu, tout gagné, des gratitudes les plus diverses à la béatitude la plus singulière. C’est donc un retour d’ascenseur, un hommage et une marque de reconnaissance envers le Prophète (Psl) que de célébrer sa naissance. C’est, pour moi, tout le sens qu’il faut donner au Gamou.

Aussi, le Gamou était, pour Maodo, une stratégie de communication qui lui permettait de faire converger chaque année tous ses disciples à Tivaouane pour délivrer son message. D’où le slogan “Un homme, une nuit, un message”.

Quelles sont les recommandations faites par Maodo, pour de la célébration du Gamou ?

Maodo n’a pas donné beaucoup de recommandations, mais le recueillement et la prière constituent les maitres-mots de cette grande nuit. Cependant, Maodo a mis quelques limites, pour ne pas dire une mise en garde dans un de ses poèmes : “Pour la quête des grâces divines, célébrez la naissance du Prophète, mais seulement si cela ne vous pousse pas vers les interdits de Dieu.”

C’est dire donc que la seule préoccupation de Maodo, dans son cheminement spirituel, est que la célébration de la naissance du Prophète reste un moment de ferveur, de communion et de retour à Dieu, loin de tout folklore, shirk et autres pratiques ostentatoires. C’est donc une nuit de prières, de méditations, de partage et de louanges à Dieu, mais également de rappel du message prophétique.

Parlons à présent du legs du saint-homme. Est-il respecté ?

Le legs de Seydi El Hadj Malick Sy ne sort pas des recommandations du Coran et de la Sunnah du Prophète (Psl). Cheikh Seydi Hadj Malick, toute sa vie durant, n’a fait qu’enseigner et incarner la connaissance et la bonne moralité. Ce que l’imam Ghazali appelle “Al khoulouq al hassan” qui constitue, selon lui, la finalité de l’islam et de la mission du Prophète Mouhamed (Psl). Il a su, avec intelligence, résister et faire avorter le projet inavoué du colonisateur d’éteindre l’islam au Sénégal. Il a surtout formé des moukhadams qu’il a affectés à divers endroits du pays pour perpétuer son legs. Il a installé partout ses ‘’zawiya’’ qui sont à la fois des lieux de rencontre, d’échanges, de prières et d’enseignement pour tous les musulmans épris de connaissances et de savoirs.

Nous lui devons, en réalité, le modèle confrérique sénégalais qui est chanté partout dans le monde. Ce modèle du soufisme, de l’orthodoxie sunnite, mais également du respect des croyances et pratiques d’autrui. Son legs, qu’il est d’ailleurs convenu d’appeler l’’’école de Maodo’’, fait sens aujourd’hui plus que jamais, puisqu’à Tivaouane, à Touba et dans bien d’autres foyers sénégalais du soufisme, le Gamou est célébré. Même dans d’autres pays insoupçonnés tels que l’Arabie saoudite. Oui, son legs se vivifie et traverse le temps. Il est à chaque fois renouvelé à travers ses différents khalifes qui les transmettent aux talibés.

Qu’est-ce que la ‘’Bourda’’ et quelle est sa place dans le Maouloud ?

La ‘’Bourda’’ signifie le manteau en arabe. C’est aussi un poème de Mouhamed Boussairi, un imam égyptien qui souffrait d’une maladie que l’on croyait incurable. Il a pu recouvrer sa santé, après avoir écrit le dernier vers de la ‘’Bourda’’. C’est un poème de 10 chapitres, de prières et d’hommages rendus au Prophète Moumamed (Psl). Les hagiographes n’ont jamais pu s’entendre sur le jour de la naissance du Prophète. Certains pensent que c’est le 1er jour du mois de rabi al awal, d’autres le deuxième, d’autres encore le troisième, etc. Le 11e jour n’étant pas cité, le 12e est celui que Maodo a choisi. Il décida cependant de consacrer chaque chapitre de la ‘’Bourda’’ à une nuit, de la première à la dixième du mois de la naissance du Prophète. La 11e nuit étant une nuit de repos avant le grand Gamou qui est célébré la 12e nuit qui est d’ailleurs la plus citée comme étant la véritable nuit de la naissance du Prophète.

Deux raisons président, à mon avis, au choix de la ‘’Bourda’’ de Boussairi. La première relève tout simplement de la modestie et de la grandeur de Maodo qui a su se mettre en retrait pour valoriser quelqu’un d’autre, Boussairi. Et pourtant il a écrit beaucoup de ‘’khassida’’ qui auraient pu suffire à rendre hommage au Prophète (Psl). C’est donc une manière de montrer à l’humanité que le savoir est universel et que tous les musulmans sont de la même fraternité. S’il avait pris ses propres écrits, on aurait pu croire qu’il cherchait à se mettre en valeur. Aussi, en choisissant la ‘’Bourda’’ et en récitant un chapitre pendant chaque nuit, Maodo donne à chacun la possibilité de célébrer le Prophète (Psl) quelle que soit la date (la nuit) qu’on aura retenue (entre la 1re et la 10e nuit). La ‘’Bourda’’ s’est institutionnalisée et plusieurs mosquées la célèbrent aujourd’hui au même moment avant la grande convergence vers Tivaouane et les autres foyers de la tijanya. Ce qui contribue à populariser le Gamou et le message du Prophète.

Quels doivent être les comportements du pèlerin, durant le Gamou ?

Je le résume en cette phrase que j’emprunte à Serigne Mbaye Sy Abdou : “Ce qui est important, ce n’est pas le nombre de pèlerins que Tivaouane reçoit. Ce n’est pas non plus le folklore. Le plus important, c’est d’être purifié au sortir de la célébration de la naissance du Prophète (Psl).”

Le comportement du pèlerin, c’est donc de viser la purification et les grâces divines par la prière et l’amour du Prophète (Psl). Essayer surtout de saisir le message prophétique.

La philosophie de Maodo, c’était quoi ?

El Hadj Malick est de l’école malikite et sa philosophie est celle de l’orthodoxie sunnite. Il est donc un véritable soufi, un ascète, au vrai sens du terme. Dans sa relation avec le Prophète (Psl) on peut noter chez Maodo la conviction que “seul l’amour du Prophète peut sauver l’aspirant dans la voix de la rectitude”. Il le dit d’ailleurs dans son ‘’Khilâçu Zahab’’ : “Je n’ai aucun acte qui pourra me permettre de te rencontrer, ô mon seigneur, si ce n’est mon amour et mon hommage ainsi que ma confiance envers le Prophète.”

Il avait donc ce rapport du maitre au disciple avec le Prophète, mais également le rapport d’une figure porteuse de lumière. Ce qui rappelle d’ailleurs tout le débat sur la réalité mouhamedienne et la lumière mouhamedienne. Maodo croit donc que nous avons été créés à partir de la lumière du Prophète et que cette lumière est à l’origine de toute chose. El Hadj Malick a donc vécu en ascète et sa philosophie se résume à l’orthodoxie sunnite. Les trois lettres arabes (Dia, Diou, Ba), en wolof, “Jàng, Jüly, Baye” résument cette philosophie. L’enseignement (comprendre aussi l’éducation), la prière et le travail. Il a aussi été un réformateur disrupteur, dénonçant dans ‘’Kifâyatou Râghibîn’’ “des innovateurs qui introduisent dans la loi de Dieu des choses qui n’ont aucun fondement dans la religion’’.

PAR CHEIKH THIAM

 

Section: