Publié le 30 Aug 2020 - 01:46
NAUFRAGES DE PECHEURS A SAINT-LOUIS

La souffrance des mères et épouses de victimes 

 

Perdre un fils jeune ou un mari après seulement quelques années, voire des mois de mariage, est le triste sort de beaucoup de femmes de Guet-Ndar. Dans ce quartier de pêcheurs, les multiples naufrages et chavirements de pirogues devenus récurrents, alimentent la souffrance de beaucoup de femmes. ‘’EnQuête’’ est allé à la rencontre de ces dames qui ont en commun le triste destin de devenir veuves à moins de 20 ans ou des mères endeuillées pour toujours.  Reportage.  

 

Le mois de janvier 2019 restera à jamais encré dans la mémoire de Mawdo Dièye.  Rien que le fait de se souvenir de cette date replonge cette quinquagénaire dans la tristesse. Un mois marqué par une angoissante attente du retour du fils préféré porté disparu dans les eaux maritimes mauritaniennes. Plus d’un an après, sa douleur reste encore immense. Mawdo Dièye ne réussit toujours pas à reprendre goût à la vie, malgré le soutien sans faille de sa mère et de ses sœurs.  

Assise sur une petite natte dressée dans un coin de sa vaste chambre, Mme Dièye peine à cacher son émotion, quand on aborde le sujet de la disparition de son fils Maguette Dièye. Alors âgé seulement de 26 ans, Maguette et ses six autres camarades pêcheurs, en campagne à Nouadhibou, en Mauritanie, se sont égarés en mer le 7 décembre 2018. Leur pirogue remplie des cadavres de quatre d’entre eux a été repêchée un mois après aux larges des côtes capverdiennes. Les trois autres corps n’ont toujours pas été retrouvés.  

Un drame qui avait plongé tout le quartier dans la tristesse. Toutes les victimes habitaient Guet-Ndar et appartenaient presque toutes à la même famille. Toute cette partie de la Langue de Barbarie était donc peinée par cet évènement, mais la mère de Maguette était des riverains les plus affectés.  Elle venait de perdre son fils préféré, le plus attaché à elle. Durant tout le mois qu’a duré les recherches lancées par les services de surveillance maritime sénégalais et mauritaniens, la mère de Maguette est passée par tous les états, y compris la dépression. Elle se rappelle comme si c’était hier de ce tragique jour où on lui a annoncé la disparition de la pirogue de son fils.

 ‘’C’était un évènement très douloureux que je n’arrive toujours pas à oublier. Quand je vois ses camarades jouer au foot dans la rue, je ne peux m’empêcher de pleurer. J’ai beaucoup souffert de sa mort. Il m’aimait beaucoup, me soutenait et était très attaché à moi. Je peux dire que c’était un garçon parfait qui aimait beaucoup ses frères et sœurs. Il faisait tout pour moi. Son père est mort alors qu’il était très jeune et depuis lors, c’est lui et son grand frère qui prenaient en charge toute la famille. Je ne pourrai jamais oublier le jour où l’on m’a annoncé qu’il avait disparu et jusqu’à présent, je ne m’en remets pas’’, regrette-t-elle, les larmes aux yeux.

Encore abattue, elle peine à terminer son témoignage. Consolée par sa nièce assise à côté d’elle et qui lui donne aussitôt un verre d’eau pour la soulager ou apprivoiser sa douleur, elle poursuit : ‘’Quand on m’a annoncé sa disparition, je suis restée des jours sans manger et je suis finalement tombée dans la dépression. Je suis passée par toutes les étapes durant  le mois qu’il a disparu  et qu’on n’arrivait pas à retrouver la pirogue. Au début, je gardais espoir qu’il n’était pas mort. Je faisais alors le tour des villages environnants de Saint-Louis. Je suis allée jusqu’à Richard-Toll pour consulter des marabouts dans l’espoir de retrouver mon Maguette vivant. 

On me demandait de faire des offrandes et je dépensais sans compter. Je me cachais pour aller consulter ces marabouts, parce que ma maman me l’interdisait. Elle me conseillait de m’en remettre à Dieu. Mais je ne pouvais pas  supporter cette  douleur et cette angoisse qui me fendaient le cœur à chaque fois que je pensais qu’il pouvait mourir. Il me fallait aller voir des marabouts pour me soulager, car ils me promettaient qu’on le retrouverait vivant. J’ai failli sombrer définitivement dans la folie, durant cette période de recherches. A un moment, je partais et plongeais dans la mer à sa recherche. Mes grandes sœurs qui habitent à Santhiaba venaient me surveiller pour que je ne sorte pas de la maison’’, se rappelle-t-elle, le visage rempli de tristesse.  

Les détresses des veuves de moins de 20 ans

Comme Mawdo Dièye, Aminata Guèye souffre encore de ce drame de janvier 2019, avec la disparition suivie de la mort de 7 pêcheurs, tous habitant le même quartier à Guet Ndar.  Elle y a perdu son fils Ibrahima Koutaye Fall. La souffrance de mère Aminata, la soixantaine révolue, est d’autant plus intense qu’elle avait perdu auparavant le grand frère d’Ibrahima, Khadim Fall, lui aussi emporté par la mer. Aujourd’hui, dominée par le poids de l’âge et déprimée par la douleur liée à la perte de ses deux fils, mère Aminata cache difficilement sa tristesse, quand elle revient sur les circonstances de la mort de ses enfants.

En effet, alors qu’elle n’avait pas fini de panser les plaies de la mort, en 2010, de son fils ainé Khadim, mère Guèye apprend, en cette maudite soirée de décembre 2019, la disparition de son autre enfant Ibrahima Fall, âgé de seulement de 32 ans. Le défunt laissait derrière lui une femme enceinte à terme et un enfant de moins de 2 ans. Une pilule amère que mère Aminata, comme on l’appelle affectueusement dans le quartier, peine encore à avaler. Elle pleure toujours son Ibra.

Quant à Astou Kane, veuve de celui-ci, elle n’arrive toujours pas à faire son deuil. En état avancé de grossesse au moment des faits, le choc de l’annonce brutale de la disparition de son mari en mer perturbe encore sa tranquillité. Pour elle, janvier 2019 restera à jamais un mois d’enfer. Plus d’un an après cet accident tragique, elle n’arrive toujours pas à en parler. Elle devient muette à chaque fois qu’on évoque le sujet. Parler de la mort d’Ibrahima réveille en elle des  souvenirs de moments douloureux et  tristes.  Devenir veuve à moins de 20 ans n’est pas également chose facile. Le comportement d’Astou en dit long. Dès qu’on l’aperçoit, on se rend aussitôt compte qu’elle souffre énormément. Elle se comporte d’ailleurs comme si la vie n’avait plus de sens à ses yeux. Pendant plus de trente minutes, elle n’a pu dire comment elle a vécu ces moments. Elle n’arrivait pas à sortir un seul mot de sa bouche. ‘’Je me remets à Dieu. C’est toujours très difficile pour moi, mais la famille d’Ibrahima me soutien beaucoup. Grace à ses sœurs, ses deux enfants ne manquent de rien’’, lâche-t-elle finalement et péniblement, la voix cassée, versant de chaudes larmes.

Les jeunes veuves semblent plus nombreuses à Guet-Ndar que partout ailleurs. Ici, ces jeunes filles de moins de 20 ans, à qui la mer a arraché l’affection d’un mari. Thiané Guèye en fait partie. Elle est devenue veuve en 2016, après seulement trois ans de mariage. L’évènement tragique est survenu alors qu’elle était à son quatrième mois de grossesse. Pire,  c’était loin de sa famille, en Mauritanie où elle vivait seule avec son mari. Elle se souvient comme si c’était hier, de ce soir du 27 janvier 2016, alors qu’elle attendait le retour de son mari parti en mer. Elle reçoit alors une visite inopinée d’une  proche venue lui annoncer le chavirement de la pirogue de son époux. ‘’Nous avions déjà notre premier enfant et j’étais enceinte de 4 mois du deuxième. C’était très difficile, car en plus d’être enceinte, on vivait seuls tous les deux.

Quand ses amis ont appris le chavirement de la pirogue, ils ont demandé à une tante qui habitait dans un quartier non loin de chez nous de venir m’annoncer la nouvelle. Il était le seul Sénégalais de la pirogue. Les deux autres victimes étaient des Mauritaniens. C’était très difficile. Je devais quitter aussitôt le pays pour revenir auprès de la famille pour le deuil’’, se souvient-elle. Avant d’ajouter : ‘’C’est très difficile d’être veuve très jeune, mais heureusement ma maman a toujours été là pour me soutenir. La société sénégalaise est très hypocrite. Quand on perd un être cher, au lieu de nous consoler ou nous soutenir, les gens nous traitent comme si on était les responsables du drame.’’ Elle n’arrive pas encore à oublier son ex-mari. En témoigne son discours teinté de tristesse et de douleur.

Mais contrairement à Astou Kane, Thiané Guèye semble reprendre goût à la vie, mais n’oublie pas pour autant. Belle, la peau bien dépigmentée avec une coiffure faite de cheveux artificiels blonds un peu extravagante, toute sereine et entourée de ses deux filles, elle assure l’ambiance au tour du thé dans l’étroite cour de la concession familiale. Cette atmosphère joviale cache toutefois mal sa tristesse, quand on évoque les circonstances de la mort de son défunt mari.  Elle n’est pas encore prête à oublier son bien-aimé Talibouya Gaye.  Malgré sa beauté et son jeune âge, elle a décidé, pour le moment, de mettre une croix sur le mariage, pour se consacrer à ses enfants. ‘’Je ne me suis pas remariée depuis lors. Je ne me sens pas encore prête pour une nouvelle union. Actuellement, je travaille en tant que femme de ménage à Dakar pour prendre en charge mes enfants et ma maman. Mon ex-belle-mère me soutient également. Elle prend en charge notre fille ainée qui vit avec elle’’, précise-t-elle.

L’angoisse des disparitions mystérieuses

 Être jeune, belle et se retrouver du jour au lendemain veuve, est une situation difficile que beaucoup de Guet-Ndariennes vivent. Les naufrages, chavirements et autres accidents maritimes qui touchent cette population composée essentiellement de pêcheurs, sont les principales causes de ces drames, les uns plus douloureux que les autres. Les tragédies maritimes, il y en a des plus amères à Guet-Ndar. Les disparitions mystérieuses aussi font parties des plus douloureuses et des plus angoissantes. Il s’agit de ces voyages sans retour. Ces égarements de navires où l’on ne retrouvera presque jamais ni corps ni débris de pirogue. De ces gens emportés par la mer et dont les familles ne retrouveront jamais les corps pour ériger leur sépulture. Difficile, voire impossible de faire le deuil dans ces conditions.

Sine Diagne en sait bien quelque chose. En 2015, alors qu’elle venait d’accoucher d’une petite fille, son mari l’a informé qu’il partait en Mauritanie pour la campagne saisonnière de pêche. Elle ne le reverra plus jamais. Ni lui ni son corps. Parti avec son jeune frère et un saisonnier, le mari de Sine a mystérieusement disparu au fond de l’Atlantique.  

Depuis lors, elle se débrouille toute seule pour prendre en charge leurs quatre filles. Sa belle-famille ayant tout simplement décidé, souligne-t-elle, de leur tourner le dos dans ces circonstances malheureuses. ‘’Le plus difficile pour moi, c’est que je n’arrive toujours pas à faire son deuil.  Si on avait retrouvé les corps, on aurait pu faire notre deuil et cela aurait soulagé notre douleur.  Mais jusqu’à présent, on n’a retrouvé ni les corps, ni la pirogue, ni rien qui leur appartenait. Leur disparition reste un vrai mystère’’, regrette-t-elle.

En plus de la souffrance et de l’angoisse de supporter cette tragique disparition, Sine fait face au rejet de sa belle-famille. Madame Diagne se voit donc obligée d’élever seule sa progéniture. Ainsi, pour subvenir aux besoins de ses quatre filles, Sine travaille au quai de pêche de Diamalaye, à Saint-Louis, en tant que transformatrice de produits halieutiques.  Mais en cette période de pandémie, presque toutes les activités sont à l’arrêt au quai. Ses sœurs et proches l’aident toutefois pour que ses filles ne manquent de rien. ‘’Avec la Covid-19, je ne travaille plus. En plus, en cette période d’hivernage, il n’y a plus de travail, parce que les poissons se font rares’’, se désole-t-elle.

  Démunie et devant prendre en charge l’éducation de ses quatre filles, Sine se débrouille toute seule. A part ses proches, elle ne reçoit aucune aide venant de l’Etat. Les bourses de sécurité familiale destinées aux ménages pauvres lui semblent inaccessibles. Malgré de multiples démarches, elle souligne n’avoir pas pu bénéficier de ces aides. Elle compte donc sur ses proches et sur les petits boulots pour prendre en charge sa petite famille.

ABBA BA

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