Publié le 20 Jul 2020 - 12:09

Nguéniène Peulh plus grave que Ndengueler !

 

Le conflit opposant les paysans de Ndengueler à Babacar Ngom de la Sédima a eu la chance de bénéficier d’une précoce et large couverture médiatique ayant permis d’alerter et d’émouvoir l’opinion nationale et par la suite les autorités étatiques. Mais ce qui se passe à Nguéniène peulh, localité située dans la zone nord de la commune de Nguéniène est beaucoup plus injuste, plus grave et plus révoltant.  Malheureusement la médiatisation ayant fait défaut faute de relais adéquats, j’ai décidé de prendre ma plume pour en informer l’opinion nationale. De quoi s’agit-il en réalité ?

             Le conseil municipal de Nguéniène a affecté à la multinationale espagnole PRODUMEL cent hectares de terre (100ha) à Nguéniène peulh. Malheureusement cette superficie constitue l’essentiel des rares sinon l’unique zone de pâturage de la localité. Le recensement du bétail n’est pas fait dans notre pays, mais plusieurs indicateurs concourent à montrer que la commune de Nguéniène a le plus grand cheptel du département de Mbour. A titre d’illustration, la campagne de vaccination du bétail de l’année 2020 a permis de montrer que 19.194 bovins y ont été vaccinés alors qu’une commune voisine comme Sandiara n’en a vacciné que 6.029. Le Dr vétérinaire mandataire Issa Kane responsable de la vaccination atteste que plus de la moitié des bovins vaccinés sont intéressés par la zone de pâturage affectée à la société PRODUMEL, soit près de 10. 000 bovins sans compter les moutons et les chèvres qui paissent dans cette zone.

            En plus, la zone comporte deux marigots qui conservent l’eau de pluie jusqu’au mois de février, ce qui permet au bétail non seulement de paître mais aussi de s’abreuver. Par ailleurs, c’est la zone de transhumance de la majorité des pasteurs des arrondissements de Séssène et Fissel en saison sèche. Au total l’affectation de cette surface à PRODUMEL tuera l’élevage dans cette localité et aucune mesure d’accompagnement n’est prévue.

           Les arguments avancés par la municipalité et repris par les autorités administratives pour justifier cette affectation sont d’une légèreté renversante. Ils sont de deux ordres.

         • Pour eux, cette affectation se justifie parce que c’est une demande des populations.  Elle permettrait de lutter contre le chômage et l’exode rural car PRODUMEL emploierait des jeunes et des femmes pendant quelques mois de l’année comme ouvriers agricoles journaliers en raison de 2.000f/jour. C’est pourquoi, toujours selon eux, certains auraient menacé de boycotter le parrainage et de faire des votes sanctions.

         •Le deuxième  d’argument est encore plus léger. En effet, ils continuent à soutenir qu’il n’y a qu’une famille qui s’oppose au projet, celle des DIOGOUL.

   Sur le premier argument :

         Si ce projet tenait à cœur lesdites populations, pourquoi ne céderaient-elles pas leurs propres champs à PRODUMEL au lieu de lui affecter une zone de pâturage où paissent plus de 10 000 bovins sans compter les ovins et les caprins ? Par ailleurs, les revenus que gagneraient les quelques ouvriers agricoles pourraient-ils combler les pertes de revenus et les emplois générés par plus de 10. 000 bovins et presque autant d’ovins et de caprins ?

         Auparavant la communauté rurale de Nguéniène avait affecté à PRODUMEL cinquante cinq hectares (55ha) à Ndiemane et cent cinquante hectares (150 ha) à Ballabougou, deux villages de la même zone nord de la commune ; soit un total de  255hectares. Ces affectations ont-elles permis de lutter efficacement contre le chômage ? Quelles retombées les villages cités et la commune ont-t-ils obtenues de l’exploitation de ces 255ha qui se fait depuis de nombreuses années ?

         Pour obtenir les 100hectares supplémentaires, PRODUMEL a pris cinq (5) engagements :

1.     A partir de ses forages, garantir aux populations une fourniture correcte en eau potable compte tenu des problèmes qui se posent dans cette zone ;

2.     Construire des abreuvoirs pour les troupeaux afin de leur donner l’eau nécessaire ;

3.     Labourer chaque année les hectares octroyés et permettre aux populations de les cultiver en leur donnant des semences ;

4.     Recruter en priorité les femmes et les jeunes de la localité dans le périmètre horticole comme c’est le cas dans le village voisin de Ballabougou ;

5.     S’acquitter des frais de bornage en raison de 100 000f/hectare et contribuer au budget de la commune pour 15 millions par an.

        Mais pourquoi PRODUMEL ne commencerait par remplir ses engagements pour les 255ha à Ndiémane et Ballabougou qu’elle exploite depuis de nombreuses années ? Pourquoi choisir une zone où il y’a des eaux de surface jusqu’au mois de février et proposer d’y creuser des forages servant au abreuver les animaux ? Pourquoi ne pas laisser ces eaux de surfaces au bétail et creuser  des forages ailleurs ?

       Tout le monde, y compris ceux qui sont à la tête de la commune de Nguéniène, sait que beaucoup de villages de cette zone ont d’énormes problèmes d’approvisionnement en eau potable. C’est le cas de Ndiémane. Qu’est- ce que PRODUMEL a fait pour régler les difficultés d’approvisionnement en eau des ces villages depuis une dizaine d’année ?

       En résumé, PRODUMEL  fait  preuve d’une boulimie foncière extraordinaire parce qu’en plus des 255hectares a lui accordés sans rien en échange, elle demande plus et la Mairie lui a attribué 100 hectares supplémentaires dans une zone de pâturage vitale pour les populations en général et les éleveurs en particuliers. Ensuite, PRODUMEL est sans cœur ! Payer 100. 000f/ha pour frais de bornage et contribuer pour 15 millions par ans au budget de la commune qui lui a affecté au total 355ha. Ce comportement de PRODUMEL est plus que scandaleux !!

Le deuxième argument :

 « Il n’y a qu’une famille, celle Diogoul, qui s’oppose au projet »

Cet argument est non seulement faux, mais l’approche qui le génère n’est pas pertinente.
L’argument est faux parce qu’une simple enquête montrerait que l’écrasante majorité des éleveurs de la commune est opposée au projet. Contrairement à ce qui est avancé par le fantoche qui représente les éleveurs au niveau de la Mairie, le quasi-totalité des éleveurs de la commune est opposée à ce projet et une enquête des autorités administratives, judiciaires ou des médias le prouverait facilement.

     L’approche n’est pas pertinente parce que l’utilité d’une zone de pâturage ne se mesure pas par le nombre de familles opposé ou non au projet mais par le nombre de bêtes qui y paissent. Les 10. 000 têtes de bovins appartiennent évidemment à plusieurs familles.  Même par extraordinaire si elles appartenaient à une seule famille est-ce pour autant que la zone ne serait pas utile pour le cheptel ? De plus, la zone reçoit plus de 10.000 têtes de bovins, en plus des ovins et caprins, surtout en saison sèche. En effet, les éleveurs des villages d’Aga Babou, Aga Birame, Aga-Ndimack, Foua, pour ne citer que ceux-là, n’ont d’autre refuge que cette zone pour faire paître leurs troupeaux du mois d’Octobre au mois de Mai avant de repartir vers la zone de Dahra Djolof en faisant un détour par Koumpentoum.

         Enfin on dirait que la commune et les autorités administratives qui reprennent cet argument ne savent pas ce qu’est une famille dans notre pays. Dire que c’est une seule famille qui s’oppose au projet ne préjuge pas du nombre d’individus opposé au projet. Au Sénégal il y’a des villages entiers qui sont constitués d’une seule famille et de nombreux villages ont pour nom le nom de famille du fondateur, dont tous les villageois sont des descendants à part les femmes mariées venant d’un autre village.  Qui n’a entendu parler des villages de Kanène, Thiamène, Ndiobène, Ndiayenne Thilène etc ?

Le fond de la question

          Le fond de la question est que PRODUMEL est une puissante multinationale, c’est-à-dire une force d’argent ayant une capacité d’influence sans commune mesure comparée à celle des pauvres éleveurs analphabètes.

        Je ne doute point que certains conseillers municipaux, dont l’ancien maire et certaines autorités administratives de bonne foi, aient été induits en erreur ;  ce qui les amena à faire une mauvaise appréciation de la situation à Nguéniène peulh.

       Les éleveurs dudit village ont été humiliés à deux reprises.La première fois c’est quand ils ont essayé de s’opposer à l’installation de PRODUMEL dans la zone litigieuse. Trois d’entre eux ont été pris, bastonnés, internés à la gendarmerie de Joal avant d’être présentés au Procureur du tribunal de Mbour. Parmi les trois personnes bastonnées, il y’avait l’imam du village, Abdoulaye Diogoul qui a 87 ans et Ndéné Diogoul, 70 ans. C’est le Commandant de Brigade Joal en personne qui a frappé à plusieurs reprise l’imam jusqu’à le blesser. Ce dernier a porté plainte devant le Procureur avec un certificat médical à l’appui, mais cette plainte ne semble pas connaître de suite jusqu’à présent.

      La deuxième fois était plus grave. Le Lundi 30 Mars 2020, en pleine crise du Coronavirus, la Brigade de Joal, avec à sa tête le même Commandant de NDIAYE, appuyé par des renforts, s’est rendue à Ngolna, hameau du village de Nguéniène peulh, accompagnant les employés de la société espagnole PRODUMEL pour leur permettre de démarrer les travaux de ladite société alors que l’affaire est pendante devant la justice. Le convoi de la gendarmerie  était constitué de deux motos et trois véhicules au bord desquels il y’avait environ une trentaine de gendarmes bien armés. Il est arrivé à Ngolna aux environs de 10h et les véhicules ont commencé à faire une ronde autour des maisons en vue d’intimider les populations, avant de s’immobiliser sur le terrain qui a été affecté à PRODUMEL.Les habitants du hameau sont sortis  pour se rendre sur le terrain afin de s’enquérir de la situation.

A cet instant, pour éviter toute violence, j’ai demandé aux populations de rester tranquilles et j’ai essayé d’entamer une médiation. Je me suis adressé au Commandant de Brigade en ces termes : " chef, je voudrais vous parler si vous me le permettez". Malheureusement, il ne m'a même pas écouté et a ordonné à ses agents "d’encercler  les gosses ". Je lui ai répondu en ces termes : « chef, un gendarme ne doit pas attaquer car vous devez assurer notre sécurité ». J’ai été menotté, mis dans le véhicule, à l’intérieur duquel, à ma grande surprise, j’ai trouvé un sac rempli de pierres.

         Par la suite les gendarmes se sont jetés avec une violence inouïe sur les vieux désarmés du village qui accouraient pour des négociations. Ces sages venus en pompiers ont été  violentés et  traînés vers les voitures. Cette attitude surprenante des gendarmes avait provoqué l’ire des jeunes. Certains ont fuit, d'autres qui tentaient de sauver les vieux ont reçu en retour de violents coups ayant occasionnés des blessures très graves. Non satisfaits, les gendarmes ont poursuivi les jeunes en motos et blessé gravement l’un d’entre eux aux reins. Cette course-poursuite des jeunes qui s’est faite dans la savane parsemée d'arbustes a provoqué une chute grave des gendarmes motocyclistes après qu’ils aient cogné un arbuste. Ceci avait occasionné la crevaison d’un des pneus de la moto. Suite à cette chute, deux gendarmes ont été blessés.Les  jeunes rattrapés ont été violemment bastonnés et certains  gravement blessés. Il s’agit notamment de Arouna Diogoul, Aliou Ndong, Assane Thiaré, Aliou Diogoul, Bassirou Diogoul.

NB: Pour rester conforme à leurs propos selon lesquels c'est une seule famille qui s'oppose au projet, le  Commandant de Brigade avait relaxé certaines personnes parmi lesquelles Mama Sow.                      

Les villageois arrêtés étaient au nombre de 12.

 Il s’agissait de :

1- Abdoulaye Diogoul 87 ans

2- Ndéné Diogoul  70 ans

3- Dock Diogoul 60 ans

4- Ndiome Diouf 72ans

5- Mamadou Ngom 68ans

6- Idy diogoule 40 ans

7- Bassirou Marone 44ans

8- Arouna Diogoul 45ans

9- Aliou Ndong 40 ans

10- Assane Thiaré 40 ans

11- Aliou Diogoul 22ans

12- Bassirou Diogoul 22ans

       Arrivés à la brigade de gendarmerie de Joal, les jeunes  arrêtés ont été « manœuvrés » par les gendarmes et avaient subi de nombreuses humiliations : « pompes, appui avant » etc. Ces « manœuvres » ne sont rien d’autre que de la torture..

Moi- même qui, voulant lire le procès-verbal d’audition avant de le signer,  j’ai été violenté et contraint de signer sans mon consentement.

         Vers 19heures, nous avons été déférés à Mbour. Et le lendemain Mardi 31 mars  2020, pendant que nous étions  au tribunal de Mbour, les gendarmes sont revenus à Ngolna pour intimider et menacer les femmes et les enfants de la famille Diogoul.

          Le Mercredi 1er avril, tous les détenus ont été heureusement relâchés par le Procureur du tribunal de Mbour.

Voilà comment se sont comportés les gendarmes de la Brigade de Joal avec leur renfort sous les ordres du Commandant Ndiaye.

      En conclusion :

       Les autorités municipales, administratives et les forces de l’ordre gagneraient à saisir de manière profonde les coutumes, mentalités, motivations, en somme la culture des hommes que le destin a placés sous leur autorité et surtout voir ce qui est juste et légitime et ce qui ne l’est pas. Quand des hommes d’une certaine culture, ayant un sens élevé de l’honneur, bravent l’humiliation, la sagesse commande de reconsidérer les choses pour ne pas avoir de surprise comme celle que le Sénégal a eue en Casamance en 1982.

Au début de l’indépendance, le Président Senghor avait eu la lumineuse idée et surtout la sagesse de nommer des conseillers coutumiers chargés de conseiller les autorités administratives. Ces conseillers coutumiers devraient revenir.

            Nous lançons un appel aux autorités administratives et judiciaires, aux organisations de la société civile, à la presse à tous les hommes épris de justice et à toute l’opinion nationale pour que la lutte des éleveurs de la commune de Nguéniène contre PRODUMEL ne soit pas l’histoire du pot de fer contre le pot de terre.

         Il faut que justice se fasse !!

Idy DIOGOUL

Directeur d’école à Nioro/Sénégal.

Tel 77 434 61 55 email : idydiogoule@gmail.com

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