Publié le 26 Sep 2020 - 05:11
Niamatoss UNE CHRONIQUE MÉDIA

Rak Tak, le journalisme de robot, et les has been...

 

Imaginez cette chronique, admirablement rédigée par un talent inconnu, à la place de votre serviteur à la plume quelque peu poussive, en une fraction de seconde et avec la perfection d’un maître de l’art. Le patron de votre canard préféré, «l’EnQuête», n’aurait alors plus à rappeler à Pépessou son devoir hebdomadaire. Rak Tak, la plume qui a envoyé celle de votre chroniqueur média aux rebuts, ne boit pas, ne mange pas, ne demande pas de rémunération, encore moins d’augmentation à son
patron à qui elle ne coûte rien non plus, enfin sauf quand il a fallu acheter le logiciel qui l’anime.

Rak Tak est une plume bien spéciale, un automate de l’écriture capable, à la commande, de vous livrer n’importe quel texte sur n’importe quel sujet. Vous ne rêvez pas ! Nous ne sommes pas dans la fiction simple, cela est bien devenu possible.  Le site de Francetvinfo donne plus de détails sur cette innovation, en reprenant le début d’un article paru dans le quotidien britannique ‘’The Guardian’’, qui a mené l’expérience : ‘’Je ne suis pas un humain. Je suis un robot […] Mon cerveau n’est pas un cerveau
sensible. Mais il est capable de prendre des décisions rationnelles et logiques.  […] Et maintenant, je peux écrire cette chronique
.’’

RISQUES ET OPPORTUNITES - Francetvinfo, qui relate cette information sur son site, indique que l’article a été rédigé par la société américaine Open AI fondée par Elon Musk, un quadra milliardaire sud-africain. Il s’agit d’une intelligence artificielle génératrice de langage, présentée comme ‘’la plus
puissante du moment avec 175 milliards de paramètres
’’.

Quoique séduisante, précise l’auteur de l’article sur Francetvinfo, elle est à relativiser. La rédaction de l’article de ‘’The Guardian’’, par le logiciel, a nécessité un large travail de programmation en amont, assuré par un… humain. Et, ô détail encore plus important, l’éditorial paru dans ‘’The Guardian’’ (un précurseur dans la digitalisation) et considéré comme presque parfait, n’a pu l’être qu’au terme de huit essais d’articles ‘’qui n’étaient pas tous très bons’’. ‘’C’est un travail statistique sur les mots’’, conclut Francetvinfo.

Bref, s’il y a une certaine menace sur la profession de journaliste, elle n’est, heureusement, pas totale. Ce n’est pas demain que les plumes belles et moins belles qui noircissent, à longueur de semaine, les pages de journaux disparaîtront comme d’un coup de baguette magique. Les articles écrits par des automates grâce aux progrès de l’intelligence artificielle seront adaptés à certains types de publication : sites en ligne aux articles non signés (c’est la tradition dans certains journaux anglo-saxons notamment), publications commerciales, articles purement informatifs qui pourront se contenter de ‘’statistiques sur les mots’’, en particulier, mais pas au-delà.

Mais il est clair qu’à très long terme, rien n’exclut vraiment une révolution qui viderait les salles de presse de l’essentiel de leurs journalistes.

AUDIENCE SANS GREFFIER - Ces progrès de l’intelligence artificielle, appelée aussi IA, menacent bien d’autres professions : les avocats, en l’occurrence ! Tenez, nos chers maîtres en robe noire feraient partie de ceux que la transformation digitale rendrait ‘’has been’’. Des outils développés par des start-up leur proposent des logiciels de statistiques capables de leur indiquer à l’avance si une cause pourra être gagnée ou pas. Mieux, l’IA peut pousser ses prédictions jusqu’à leur trouver les arguments qui feront mouche devant le juge et, tenez-vous bien, jusqu’à estimer aussi le montant probable des indemnités que le tribunal accordera après le procès.

De quoi offrir la possibilité de produire plus, plus rapidement, avec moins de main-d’œuvre. La place de l’homme dans le fonctionnement de ce métier du droit se voit menacée avec, à la clé, des pertes d’emploi significatives. Certains analystes, pas effrayés du tout par de telles évolutions, perçoivent l’IA comme une formidable source d’opportunités permettant à beaucoup de métiers de gagner en efficacité.

Comme dans les assurances avec le métier d’actuariat capable de faire de vraies prédictions sur la probabilité des sinistres et leur indemnisation, voici bientôt l’avocat-robot et le journaliste-robot. Teuss ! On n’arrête pas le progrès ! Les désastres qui vont avec aussi.

LIMITES REELLES A L’IA - En réalité, l’IA menace le pain des journalistes en vrai, pour autant qu’ils s’adonnent à un travail de… robot. Pour peu qu’ils se rappellent que le journalisme est une forme d’engagement intellectuel et artistique aussi, ils auront encore pour longtemps une bonne longueur d’avance sur les robots. C’est tellement vrai que l’IA permet aussi de gérer aujourd’hui des comptes-rendus de réunion en mode présentiel, visioconférence ou simplement téléphonique, grâce à des logiciels de reconnaissance vocale capables de délivrer, dès la fin de la réunion, des synthèses sur les échanges, un résumé et le relevé des décisions à mettre en œuvre à l’issue de la rencontre. Après un travail de vérification d’un quart d’heure pour rectifier les éventuelles erreurs (heureusement que l’humain est encore requis), hop, voilà bouclé un travail qui aurait nécessité peut-être des heures de tâche payées à un homme ou une femme. Mesdames, messieurs les greffiers, ajoutez votre profession à la longue liste des menacés de tous les continents ! Ce n’est pas seulement le réchauffement climatique qui menace la planète avec son déluge d’eau, mais bien la digitalisation tous azimuts qui bouleverse tous les paradigmes, y compris les vôtres.

Plus que la disparition de la profession de journaliste, celle du journalisme tout court a beaucoup été évoquée jusque-là, en raison de l’apparition des plateformes numériques. Celles-ci ont ôté aux journalistes l’exclusivité dans la collecte et la diffusion de l’information. Beaux ou mauvais jours, il semble que cette profession, bien que bousculée, fera encore partie du paysage pour très longtemps.
Quant au ‘’Guardian’’, est-il besoin de rappeler le leitmotiv de ses mécènes ? ‘’Les opinions sont libres, mais les faits sont sacrés... La voix des opposants, non moins que celle des amis, a le droit d'être entendue’’. Un sacré équilibre journalistique que le journalisme de robot pourra difficilement préserver. Difficile alors de penser que le sort éditorial du journal tombera un jour entre les mains d’une machine sans discernement empathique.

PS : ‘’Niamatoss’’ prend des vacances et vous donne rendez-vous prochainement, en espérant que Rak Tak, le robot qui ne mange pas, ne dort pas et ne réclame pas d’augmentation, ne se fera pas embaucher à sa place. Le renouvellement de la composition du Tribunal des Pairs, cette semaine, par le Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias (Cored) est à saluer, en souhaitant plus de succès à cet organe. Cela m’amène à penser que le robot ne fera pas clandestinement le travail à ma place, sans coup férir, si mon Redchef décidait soudainement de voter Rak Tak en envoyant Pépessou chez les has been. Rigolons-en ! A bientôt !

PEPESSOU

 

Section: