Publié le 13 Jul 2015 - 22:50
NOUADHIBOU- SENEGALAIS VICTIMES DE RACKET, TRAQUES PAR LA POLICE…

Le travail de titan du consulat du Sénégal 

 

Ouvert le 3 juin 2014, il y a juste un an, les services du Consulat honoraire du Sénégal à Nouadhibou, ville située à 465 km de Nouakchott, au nord de la Mauritanie, s’activent à longueur de journée pour sortir les Sénégalais des griffes de la justice mauritanienne. Ainsi, compatriotes en situation irrégulière, pêcheurs hors-la-loi, émigrés venant d’Europe via le Maroc, malades en instance d’évacuation, conflits conjugaux… sont le menu et le quotidien du Consul Boughourbal Moulaye Abass.

 

Il ne se passe pas une journée sans qu’El Hadj Kébé, assistant au Consul, ne soit sollicité par un Sénégalais qui a maille à partir avec la justice mauritanienne de Nouadhibou. Des commissariats de quartier à la police centrale, en passant par les pêcheurs du quai de débarquement, les appels au secours des Sénégalais ne manquent jamais. Le consul Moulaye Abass, en dépit de sa mobilité, ne quitte jamais son téléphone pour solliciter et obtenir des autorités administratives, policières et/ou de la gendarmerie de Nouadhibou la solution aux problèmes des Sénégalais vivant dans cette ville. 

Le dernier cas sérieux qui lui a été soumis est celui de Mouhamadou Ndoye, mécanicien frigoriste dans un bateau battant pavillon Belize, avec 1 500 tonnes de poissons pourris à bord, qui s’est vu confisquer ses documents ainsi que ceux du navire en question pour avoir navigué dans les eaux mauritaniennes sans autorisation, le 24 juin dernier. Le capitaine ayant pris la fuite en Espagne. Un simple coup de fil du consul a suffi au Sénégalais Ndoye pour récupérer ses documents et rejoindre sa famille à Dakar, après un mois de calvaire.

Les cas sociaux, la raison d’être du consulat

L’existence du Consulat est due en grande partie à l’importance des cas sociaux de cette ville au nord de la Mauritanie qui, depuis plusieurs années, attendaient impatiemment ce prolongement de l’ambassade. En effet, des Sénégalais en situation irrégulière, des malades en situation d’évacuation, des accidentés, des victimes d’incendie, des naufragés et même des dépouilles mortelles n’avaient pas de solution à Nouadhibou. Les services de l’ambassade ne s’y rendaient que très rarement, voire même pas. Ces Sénégalais étaient laissés à leur propre sort. Aujourd’hui, tous poussent un ouf de soulagement. A en croire M. Kébé, qui dresse un tableau des interventions du consulat, il y a 3 Sénégalais condamnés pour usage de drogue et de faux billets. Il s’agit notamment de Baye Ndiaye Kane qui a écopé de 7 ans de prison (3 ans et 1 mois déjà purgés), Baye Sow, 5 ans de prison (plus d’un an déjà) et de Maguette en détention pour 5 ans pour usage de faux billets de banque.

Quatre autres prévenus sont dans le collimateur de la justice. Il s’agit d’Issa Sy, interpellé pour usage de drogue, Souleymane Touré pour homicide involontaire. Sa pirogue avait heurté une autre (mauritanienne) occasionnant la mort de l’un des occupants. Toutefois, El Hadj Kébé, qui suit ces dossiers au niveau de la justice, précise qu’il y a pour ce cas précis des tentatives de règlement à l’amiable contre le versement d’une diya d’environ 10 millions de Fcfa. Pourtant, la société Mauritania Fish Meal (MFM), où travaille le prévenu, avait pris l’engament de verser la moitié de l’argent, sans suite. Quant à Mohamed Diop et Tidiane Diop, deux pêcheurs interpellés pour mauvaises mœurs, ils doivent leur liberté au paiement de 30 000 F chacun sous forme d’amende. Ce n’est pas tout, les conflits conjugaux trouvent également des solutions au consulat, grâce à l’entremise de M. Abass et son collaborateur Kébé.

Ce que confirme Samba Sy, vendeur d’habits au centre ville, arrivé à Nouadhibou en 2010. «La vie était beaucoup trop dure pour les Sénégalais, mais depuis l’ouverture du Consulat, les problèmes et les détentions de Sénégalais (surtout pour motifs légers) se sont atténués. Avant, il était fréquent et facile d’envoyer des Sénégalais en prison », soutient-il. Néanmoins, poursuit-il, « la carte de séjour qui cause des ennuis aux Sénégalais a engendré le départ de beaucoup d’entre nous, pour la plupart des pères de famille».  Déplorant le non-accès à l’emploi, bien que détenant sa carte de séjour, Sy apprécie le travail du consulat, en dépit du faible taux d’inscription des Sénégalais qui n’ont pas encore été bien sensibilisés. «Je ne suis jamais allé au Consulat. Il faut une campagne de sensibilisation pour que les gens sachent et comprennent la mission du consulat », lance Sadio Camara, entrepreneur maçon.

Le consulat, un travail de titan …

Loin d’être un centre de recensement des Sénégalais tout court, le Consulat honoraire de Nouadhibou est un vrai service d’intervention. Le faible nombre de détenus et de prévenus (7 seulement, alors qu’à Nouakchott, on compte 31 Sénégalais en détention dont 2 femmes ndlr) montre si besoin en était, que le travail qu’abat le Consulat sous l’égide de Moulay Abass  Boughourbal est colossal. Cet opérateur économique du secteur de la pêche emploie des centaines de pêcheurs sénégalais dans sa Société d’élaboration des produits halieutiques (SEPH). La diligence des interventions et les bonnes relations qu’il entretient avec les autorités mauritaniennes de Nouadhibou font que les Sénégalais en difficulté s’en sortent mieux. Il s’y ajoute que durant ce mois béni de Ramadan, les services du consulat font des dons de vivres aux prisonniers et autres Sénégalais nécessiteux. Sans compter des soutiens qu’accorde le consul aux familles en difficulté, révèle un bénéficiaire sous l’anonymat.

Le consulat est également intervenu en faveur de 17 pêcheurs guet-ndariens saisis et abandonnés en septembre 2014 par la marine marocaine dans le « no man’s land » à la frontière entre la Mauritanie et le Maroc, note le Consul. Selon Abass, le Consulat est intervenu «une centaine de fois pour les Sénégalais qui transitent en venant de l'Europe avec des passeports sénégalais périmés. Nous avons aussi évacué, à la charge du consulat, des malades, des drogués et même des fous».

Seulement, le Consul et son équipe déplorent le fait que «beaucoup de Sénégalais ne viennent pas s’immatriculer au Consulat». Sur environ 10 à 15 000 Sénégalais établis à Nouadhibou, seul un millier a été répertorié dans les services du Consulat, note M. Kébé qui confie qu’une campagne de sensibilisation et de conscientisation des Sénégalais est en cours de préparation, en vue d’amener ses compatriotes à se rapprocher du Consulat.

A en croire le diplomate, une collaboration étroite existe entre ses services et l’ambassade à Nouakchott, lorsque des cas épineux atterrissent au tribunal de Nouakchott. Il déroule un chapelet de cas. « J’avoue que le gros des problèmes des Sénégalais (ndlr : les cartes de séjour), c’est à Nouakchott », dit-il. «Il est vrai que tout ne peut pas être parfait, mais nous faisons le maximum, à chaque fois, en donnant le meilleur de nous-mêmes » pour satisfaire les Sénégalais, «même pour les cérémonies culturelles ou religieuses », souligne-t-il. 

Les Sénégalais apprécient …

En dépit des nombreux problèmes auxquels sont confrontés les Sénégalais, ces derniers n’hésitent pas à apprécier l’action du consulat qu’ils trouvent « efficace et très utile ». C’est d’abord Mouhamadou Ndoye, ce mécanicien frigoriste de bateau qui vient de trouver la solution à son problème, grâce à l’intervention du consul. « Je salue le travail du consulat sans lequel j’aurais continué à vivre le calvaire dans ce bateau qui me doit 5 mois de salaire (toujours impayés ndlr) ». Samba Sy également embouche la même trompette. «Abass et Kébé font un excellent travail.

Kébé passe tout son temps dans les commissariats, parfois à pied, tandis qu’Abass ne quitte jamais son téléphone pour solliciter la libération des Sénégalais interpellés ». « C’est ce que nous attendions des services du consulat que nous avons enfin obtenu avec à sa tête un homme qui a le sens des relations humaines », déclare Sadio Camara. De son côté, Awa Sagna, une restauratrice qui a vécu plusieurs années à Nouadhibou, a noté une nette amélioration des conditions de séjour de ses compatriotes, même si elle déplore la baisse de son business et la situation des pêcheurs encore confrontés à d’énormes problèmes liés à l’exercice de leur métier.

Racket, corruption, chantage

Rebondissant sur la question, Ibrahima Wade, responsable des pêcheurs, soutient : « Depuis l’ouverture du consulat, nos problèmes se sont atténués. Mais, je dois aussi préciser que nous sommes toujours traqués par la police « Mesgharou » (du nom du Général qui l’a créée) pour les cartes de séjour. Parfois, les pêcheurs sont obligés de plonger dans l’eau pour s’échapper». «La police m’a poursuivi jusqu’à mon domicile », déclare Youssouf Sonko, pêcheur de son état. N’eût été l’intervention de mon employeur qui a appelé le consul, j’allais souffrir voire être tabassé et reconduit à la frontière, alors que j’avais des pièces avec moi ». La plupart des pêcheurs guet-ndariens arrivent en Mauritanie par la mer sans aucun papier en main. Parfois, le consulat est tenu, pour assister certains, de faire recours à deux témoins bien connus pour certifier de leur sénégalité, soutient le consul. Racket, corruption, chantage… par les policiers sont monnaie courante et le lot quotidien des problèmes que vivent les Sénégalais dans la capitale économique de la Mauritanie.

Enquête-Reportage

Ibou Badiane, Correspondant en Mauritanie

 

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