Publié le 6 Feb 2017 - 10:43
NOUVELLE LOI SUR LE TERRORISME

L’impossible unanimité

 

La Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH) a animé samedi un séminaire à l’intention de l’Association nationale des chroniqueurs judiciaires (ANCJ) sur les infractions liées au terrorisme. Me Assane Dioma Ndiaye s’est montré très critique envers cette nouvelle loi. Un scepticisme que ne partagent pas les magistrats Mamadou Cissé Fall et Cheikh Bâ.  

 

‘’Les réformes judiciaires : le cas de la lutte contre le terrorisme’’. C’est le thème du séminaire organisé samedi dernier par l’Association nationale des chroniqueurs judiciaires (ANCJ) en partenariat avec la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH). La rencontre présidée par le ministère de la Justice a été une occasion pour les journalistes d’être mieux outillés dans le traitement des infractions liées au terrorisme. Il a surtout été le théâtre d’un débat animé sur la question. C’est d’abord Me Assane Dioma Ndiaye qui a allumé la mèche, en se montrant une nouvelle fois très critique envers la nouvelle loi. Il juge certaines de ses dispositions discriminatoires. ‘’Nous trouvons la loi très ambigüe, floue et liberticide’’, a fulminé la robe noire. Selon son argumentaire, l’Etat a repris différentes infractions comme l’atteinte à la sûreté de l’Etat, la dégradation d’édifice lors de manifestation (…) qui étaient dans le Code pénal  pour les qualifier de terrorisme dans le but d’intimider les populations.

‘’Comment le juge pourrait-il qualifier les faits de terrorisme de possibles dérives qui pourraient découler d’un dérapage lors d’une manifestation de l’opposition ayant conduit à des attaques d’édifices publics ou des institutions ? Quel est l’élément objectif pour déterminer l’intention ? ’’, s’est interrogé Me Ndiaye. Il a également soulevé comme grief, le fait que le délai de garde-à-vue soit fixé à 96 heures renouvelables, soit 12 jours. Le défenseur des droits de l’homme plaide aussi pour une meilleure définition de l’apologie au terrorisme, surtout qu’au Sénégal, les personnes arrêtées jusque-là ont été inculpées pour cette infraction. ‘’Tout le monde est d’accord que le terrorisme n’est pas acceptable, car c’est une pratique violente, sans discernement. Puisque, ce sont les victimes innocentes qui sont tuées. Mais, il faut concilier l’impératif d’une lutte acharnée avec le respect des droits de la défense’’, a conclu Me Ndiaye.

Cheikh Bâ, magistrat : ‘’Les Sénégalais veulent la sécurité’’

Face aux griefs soulevés par l’avocat ‘’droit de l’hommiste’’, le magistrat Mamadou Cissé Fall,  conseiller technique du ministre de la Justice, a souligné qu’il y aucune violation par rapport à la nouvelle loi. ‘’La charpente est faite de sorte qu’il ne peut pas y avoir de violations. Ce n’est pas une réforme isolée, car plusieurs pays ont renforcé leur cadre légal’’, a-t-il répliqué. Toutefois, le représentant du ministre reconnaît que la première difficulté à laquelle toutes les législations se sont confrontées, c’est le problème de la définition du terme terrorisme. C’est pourquoi, a-t-il argumenté,  le législateur a choisi une autre variante, en parlant d’actes commis intentionnellement en vue d’intimider. ‘’Dans tous les cas de terrorisme, cette intention sera recherchée. Et il est de la prérogative du parquet de pouvoir poursuivre, lorsqu’il est en face d’indices concordants’’, a ajouté le magistrat.

Pour son collègue Cheikh Bâ,  le Sénégal ne s’est pas levé de façon fantaisiste pour légiférer. ‘’L’Etat est au courant de l’existence de personnes formatées et formées en Lybie, Syrie… Donc, il fallait qu’il agisse au lieu d’attendre que des actes se produisent’’, a renchéri le magistrat. A son avis, la réforme est une demande sociale, car les Sénégalais veulent la sécurité et il ne faut rien négliger pour leur permettre de dormir en toute sécurité. Tout en soulignant l’importance d’allier respect de la liberté et l’impératif de sécurité, le conseiller technique souligne que la réforme est une nouvelle loi qui se jugera à l’aune de la pratique. ‘’Elle n’est pas anti-démocratique et ne viole pas les droits de la défense’’, a-t-il tranché. Concernant le délai de garde-à-vue, le juge Bâ estime que le Sénégal fait partie des pays les plus cléments, car dans d’autres contrées, il peut aller jusqu’à trois mois.

‘’Les journalistes devraient éviter de faire le jeu des terroristes’’

Il faut dire que, dans le cadre du renforcement de la lutte contre ce phénomène, l’Etat a réactualisé le Code pénal et le Code de procédure pénale. Ces réformes interviennent dans un contexte où les journalistes ont du mal à maîtriser le vocabulaire juridique. ‘’Beaucoup d’entre nous commencent à se familier avec le lexique juridique dans les salles d’audience ou au niveau des commissariats de police ou des brigades de gendarmerie’’, a fait savoir Makhaly Ndiack Ndoye, président de l’ANCJ. Il se désole que cette méconnaissance conduise à un mauvais usage des termes ou des erreurs d’interprétation qui font que les journalistes sont souvent critiqués par beaucoup de juristes.

Dès lors, le journaliste considère que, pour avoir une meilleure compréhension des sujets judiciaires, il faut une formation. ‘’Une formation rigoureuse est une condition nécessaire à la pratique efficace et responsable du métier de chroniqueur judiciaire’’, a soutenu le journaliste. Ceci, d’autant que, a renchéri Me Assane Dioma Ndiaye, ‘’la société sénégalaise s’est judiciarisée avec une place importante des faits divers et des faits de société dans les médias’’. Ainsi pour le président de la  LSDH, ‘’le rôle des chroniqueurs judiciaires appelle de leur part une bonne compréhension des termes juridiques et des réformes judiciaires’’. 

Outre la formation, Daouda Mine est d’avis que le journaliste doit faire preuve de responsabilité dans le traitement des informations liées au terrorisme. Car, il estime que ‘’les journalistes devraient éviter de faire le jeu des terroristes qui veulent faire naître des sentiments de peur. Ils doivent être responsables, éviter d’enjoliver les terroristes ou leur trouver des excuses’’. Toutefois, le directeur de publication de Seneweb pense également que la lutte contre le terrorisme ne doit pas servir d’excuse pour restreindre la liberté de la presse, dans la mesure où, dit-il, la presse n’est pas liée à la sensibilité de la question. 

FATOU SY

 

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