Publié le 29 Jul 2020 - 00:30
OPERATION TABASKI 2020

Les éleveurs craignent une pénurie de moutons

 

A quelques jours de l’Aïd Al-Adha, communément appelée Tabaski, les points de vente de moutons à Dakar attendent encore les clients. Les béliers ne sont pas non plus aussi nombreux que d’habitude.   D’ailleurs, les éleveurs craignent une pénurie de la bête star de la Tabaski, alors que les rares clients jugent les prix exorbitants.

 

A quelques jours de la Tabaski, les moutons sont au cœur de tous les débats, même s’ils ne sont pas aussi nombreux que d’habitude. Les éleveurs qui envahissaient les rues de Dakar avec leur ‘’cogals’’ (moutons à bas prix) se font un peu rares. C’est plutôt les bergeries modernes qui proposent de gros béliers issus de l’élevage d’embouche qui dominent. On voit toutefois quelques ‘’cogals’’ aux   points de vente du rond-point Liberté 6 et aux abords du stade Léopold Sédar Senghor. Les vendeurs y ont installé leurs enclos délimités par des filets et des bâches. En cette soirée du mardi 21 juillet, l’affluence est assez timide.

‘’Les clients ne font que marchander, puis ils repartent, sous prétexte que les moutons sont chers. Rares sont ceux qui viennent et repartent avec un mouton. Ils rechignent à acheter, mais ils vont le regretter.  Je crains fort qu’il y ait rupture, car il n’y a pas assez de moutons, cette année. C’est d’ailleurs pourquoi les prix sont un peu élevés’’, explique Samba Ila Sow, éleveur venu de la zone sylvo-pastorale.  

A côté de son enclos remplis de ‘’cogals’’, est installé celui de son camarade Thilal Sène, lui aussi venu de Dahra Djolof. Aidé par ses bergers, M. Sène s’occupe à abreuver ses centaines de moutons divisés en deux bergeries. ‘’J’ai délimité les enclos suivant les prix des moutons. Le premier regroupe les moutons dont les prix varient entre 100 et 150 mille F CFA et le second pour ceux qui coûtent plus de 150 mille francs CFA. C’est une manière de faciliter aux clients les repérages suivant leur bourse’’, fait-il comprendre.

Comme la plupart des éleveurs retrouvés sur ce point de vente, il dit craindre la rupture des stocks de bêtes avant la fête. Pour cause, souligne-t-il, le marché n’est pas assez fourni et les gens ont souvent tendance à attendre les derniers instants pour s’approvisionner. ‘’Il n’y a pas assez de moutons, ni à Dakar ni dans la zone sylvo-pastorale.  Le département de Linguère et la région de Matam fournissaient l’essentiel des moutons de Tabaski. Mais on n’en trouve plus là-bas’’, renseigne-t-il.

De plus, souligne l’éleveur, la plupart des moutons de ses enclos ont déjà été vendus et confiés aux éleveurs pour leur entretien avant la Tabaski.

‘’Je vends essentiellement des moutons d’’opération Tabaski’ pour les entreprises. Je fournis trois à quatre sociétés et ces dernières ont déjà fait leurs achats. L’essentiel de mes moutons est déjà vendu, mais je les garde ici pour leurs propriétaires. En effet, les Dakarois n’ont pas où garder leurs moutons. C’est pourquoi ils les confient aux éleveurs pour venir les prendre la veille ou le jour de la Tabaski. Ce qui fait qu’on peut voir beaucoup de moutons dans les points de vente, alors que tout est déjà vendu. Et c’est à un jour de la Tabaski que les gens se rendront compte qu’il n’y a plus de moutons sur le marché’’, souligne l’éleveur Thilal Sène.

La hausse du prix de l’aliment de bétail fait grimper celui des moutons

Le début de la saison des pluies, qui est une période de pleine soudure pour le fourrage, ne facilite pas la chose. En effet, le manque de fourrage impacte directement sur le prix de l’aliment de bétail devenu plus cher. Ce qui se répercute forcément sur le prix de vente des moutons. La pluie perturbe aussi le bon déroulement de l’’’opération Tabaski’’. Certains lieux d’exposition sont tout simplement infréquentables.  

Aux points de vente longeant le stade Léopold Sédar Senghor, le décor est stupéfiant. La pluie dicte sa loi. Des éleveurs, avec leurs ‘’cogals’’ (troupeaux) cherchent en vain de quoi se protéger des précipitations. Ces moutons un peu faméliques sont exposés dans des enclos à l’air libre. Il n’y a ni bâche ni tente pour se protéger des intempéries.

Points de vente sales et repoussants

Les bêtes sont installées par petits groupes sur une piste en goudron. Les crottes de moutons écrasées par les pas des bergers et autres visiteurs se mélangent avec l’eau de la pluie pour former une sorte de pâte qui rend l’endroit impraticable. La saleté domine le décor. Trois cadavres de moutons déposés dans les deux wagons de camionnettes servant de poubelles à côté, dégagent une odeur pestilentielle. ‘’La coïncidence de la Tabaski avec l’hivernage nous pose beaucoup de problèmes. L’environnement est invivable. Il y a trop de saleté.  Et on ne voit même pas de client. On dit que les prix sont élevés, mais on ne peut brader les moutons, car nous les achetons très cher. En plus, il y a les frais de transport qu’il faut prendre en compte. D’habitude, on venait avec 600 ou 700 têtes. Mais, cette année, on n’a même pas emmené 400 moutons, parce que les conditions sont plus difficiles’’, laisse entendre Idy Sow, jeune éleveur venu de Missira, dans la région de Tambacounda.

‘’C’est plus difficile cette année, car on a changé les lieux de vente. Les années passées, nous étions à Yengoulène et là-bas, il y a du sable. Mais ici, avec le goudron, les bêtes se fatiguent vite. Elles ne peuvent que se tenir debout et au bout d’un certain temps, ça leur fait mal aux pieds. En effet, avec le manque de sable, les bêtes ne peuvent pas s’allonger sur le goudron. J’ai perdu deux béliers à cause de cette situation’’, renchérit l’opérateur Mody Samba Dia.

Aidé par ses bergers, il s’occupe à rassembler en vain ces bêtes qui, perturbées par la pluie, se dispersent.  Il semble faire la sourde oreille à ce client qui tente de marchander un des moutons de son ‘’cogal’’. Ce père de famille est venu des Parcelles-Assainies pour acheter son mouton de Tabaski. Contrairement à beaucoup de Sénégalais qui attendent la dernière minute pour venir au foirail, Ibra Fatim Diop, lui, veut s’approvisionner tôt, avant que les prix ne grimpent ou qu’il y ait rupture de moutons. Mais c’est peine perdue. Les prix semblent déjà inaccessibles pour lui.

‘’C’est trop cher. Je marchandais celui-là (il pointe du doigt un mouton), mais le vendeur refuse de me dire le prix. Je veux acheter tôt et je suis venu avec mon argent pour le faire, mais c’est cher. En plus, les bergers n’acceptent presque pas les marchandages. J’ai noté beaucoup de changements. Les prix étaient plus abordables, l’année dernière. La Tabaski passée, j’ai acheté un bon mouton à 90 mille. Mais aujourd’hui, j’ai payé la même catégorie à 110 mille F CFA, mais le vendeur a refusé. Pour le moment, c’est trop cher’’, estime-t-il en essayant en vain de convaincre l’éleveur qui fait semblant de ne rien entendre.

Interpelé, celui-ci de répliquer : ‘’Il me propose des prix que je ne peux trouver dans les zones rurales. Imagines, tu achètes un mouton à plus de 100 mille francs et après transport et tout, on te paie ici 90 mille. C’est tout simplement écœurant. Je préfère ne pas répondre à ce genre de clients’’, martèle-t-il.

Les grandes bergeries apprécient l’organisation, en attendant les clients

A quelques dizaines de mètres de là, les stands des grandes bergeries issues de l’élevage moderne. Installés sous des tentes et autres bâches bien délimités, l’environnement est aménagé ici pour accueillir la clientèle. ‘’On est dans de bonnes conditions, parce qu’on a l’électricité et il y a de la sécurité. Le seul hic, c’est la pluie. C’est la saison, on est obligé de faire avec. Sinon, l’organisation est bien meilleure que les années précédentes. Chacun a sa tente et tout est bien limité. Les camions de ramassage de l’UCG passent tous les matins pour récupérer les ordures’’, se réjouit Alla Thiam assis au milieu de ses moutons de race.

Quant à la cherté des prix décriée partout, il trouve que c’est compréhensible, vu le contexte. Pour lui, cela est surtout dû à la cherté des frais de transport. Il y a aussi le pouvoir d’achat des Sénégalais qui a beaucoup diminué. Ce qui fait que les gens trouvent facilement cher les prix indiqués. Ainsi, en ce moment, dans les grandes bergeries de l’élevage d’embouche, l’heure est aux marchandages. Les clients rechignent encore à débourser, vu les prix exorbitants affichés. ‘’Pour le moment, les gens se limitent à se renseigner sur les prix, mais ils n’achètent pas encore. Nous vendons des moutons de races ladoum. Les prix varient entre 500 et 800 mille F CFA. On vend principalement aux éleveurs et à certains Sénégalais intéressés par les moutons de race. Contrairement aux autres éleveurs qui ont des troupeaux, nous, nous sommes venus avec seulement une quarantaine de ladoum’’, explique Lamine Camara de la ferme Gandiol.

PANDEMIE ET ‘’OPERATION TABASKI’’

La Covid-19 ralentit les importations de moutons

La Tabaski se déroule, cette année, dans un contexte de pandémie de Covid-19 marqué par la fermeture des frontières dans la sous-région. Cependant, les éleveurs sont autorisés à voyager pour approvisionner les marchés. Mais beaucoup d’entre eux hésitent, par peur d’attraper le virus.

Après avoir perturbé les célébrations de la fête de Korité, la pandémie de la Covid-19 risque d’impacter négativement sur le bon déroulement de l’Aïd al-Adha ou Tabaski.

En effet, éleveurs et opérateurs économiques s’activant dans la vente de moutons de Tabaski sont autorisés à voyager dans les pays voisins pour approvisionner le marché. L’Etat a aussi déboursé une enveloppe de plus trois milliards de francs CFA pour le financement de l’opération.

Mais malgré tous ces efforts, rares sont les éleveurs ou promoteurs qui se sont lancés, cette année, dans le business de l’importation de moutons, à cause de la crainte d’attraper la maladie.  

Il y a aussi les mesures de restriction liées à la lutte contre la propagation de la Covid-19 qui ont impacté négativement ce business. ‘’Les années précédentes, je partais dans la sous-région (Mali et Mauritanie), juste après la fête de Korité pour m’approvisionner en moutons. Mais cette année, la période a coïncidé avec la pandémie et la fermeture des frontières. On ne pouvait donc pas voyager. En plus, les gens étaient très méfiants. Tout le monde était préoccupé par la maladie. D’ailleurs, certains sont toujours méfiants. Beaucoup d’éleveurs locaux n’ont pas participé à l’’opération Tabaski’ de cette année, à cause de pressions familiales. Il faut savoir que, dans le monde rural, beaucoup de choses se disent des grandes villes et cela rend les gens très méfiants. On croit que tout le monde est malade à Dakar’’, regrette Thilal Sène. 

Toutefois, les quelques éleveurs qui ont bravé les risques se frottent les mains. Zakaria Ndao est venu du Mali pour écouler ses moutons aux points de vente installés aux alentours du stade Léopold Sédar Senghor. Il trouve le marché très intéressant et l’organisation plus confortable. ‘’Nous n’avons pas eu de problème pour venir, puisque les frontières ne sont pas fermées pour les éleveurs. Je trouve aussi que le marché est plus intéressant cette année, car malgré la crise, les gens viennent acheter’’, explique-t-il.

Il indique, par ailleurs, que les conditions de logement destinés à l’’’opération Tabaski’’ sont plus confortables et sécurisées, car il y a moins de vols de bétail.  

Concernant la cherté des moutons. L’éleveur malien donne ses explications. ‘’Les prix sont élevés, car il y a les frais de voyage qui sont pris en compte. Nous venons de Ségou et le transport est un peu cher. En plus, même au Mali, les moutons sont chers’’, argue-t-il.

ABBA BA

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