Publié le 16 Sep 2020 - 22:46
OPPOSITION SENEGALAISE

En terrain miné  

 

L’opposition sénégalaise est hétérogène voire hétéroclite. On assiste, ces temps-ci, à un choc des ambitions, avec des approches différentes dans l’engagement qui traduisent différentes visées politiques.  

 
Le fossé est de plus en plus profond entre partis de l’opposition. Chacun semble se frayer un chemin, au gré de ses intérêts. L’opposition sénégalaise, qui devait faire bloc pour faire face au leader de l’Alliance pour la République (APR), se fissure davantage, avec la formation de blocs antagoniques qui s’écharpent.  
 
Deux questions majeures (les inondations causées par les fortes précipitations et le statut du chef de l’opposition) mettent à nu les différences d’approche et de vision de ces acteurs politiques. Et révèlent au grand jour les différentes tendances qui minent l’opposition sénégalaise.
 
En visite à Ziguinchor ce lundi, le leader du Pastef-Les Patriotes a été très virulent avec ses pairs qui l’accusent de politiser cette calamité naturelle.  (…) ‘’Ceux qui disent qu’on ne doit pas critiquer le régime sont des hypocrites. Plus grave, ils se déclarent opposants. Des opposants qui ne s’opposent jamais à Macky Sall. Depuis combien de temps vous n’avez pas entendu un opposant faire une sortie pour critiquer le régime ? Mais ils sont prompts à critiquer Ousmane Sonko’’, a déclaré le candidat malheureux à la dernière Présidentielle.  
 
Sonko, dans sa démarche, semble faire cavalier seul. Il se réclame serviteur du peuple et opposant farouche au pouvoir qui n’a qu’un seul objectif : voir le président Macky Sall rendre le tablier en 2024.  Il a d’ailleurs catégoriquement refusé de prendre part au lancement du dialogue national, le 28 mai 2019 qui, d’après le pouvoir, vise à pacifier l’espace politique sénégalais, avec les suspicions notées après les dernières échéances électorales. A l’époque, Ousmane Sonko avait assimilé ces concertations à une mise en scène.  Pour lui, il n’y a pas de demi-mesure en politique. ‘’On s’oppose ou on est avec Macky Sall. Vous ne pouvez pas avoir aboyé, il y a quelque temps, et être les premiers à vous bousculer au palais pour serrer la main du président’’, assénait-il pour expliquer les raisons de son absence à la table du dialogue.  
 
Le leader du Pastef a adopté la même posture sur la question du chef de l’opposition. ‘’Je ne suis le chef de personne dans cette opposition et personne n’est mon chef. Ce chef de l’opposition ne peut pas parler au nom de Pastef. Celui qui veut ce titre n’a qu’à le prendre. Mais réclamer 2 milliards ou 1 milliard, au nom de quoi ? Pourquoi un partage entre politiciens, alors que le peuple souffre ?‘’.  
 
PDS, un parti à la dérive
 
Si Ousmane Sonko se veut sans concession, le Parti démocratique sénégalais (PDS) est devenu aphone. Le parti de Me Abdoulaye Wade semble avoir accusé le coup des derniers départs de responsables de premier plan, Oumar Sarr et Cie. Il essaye, tant bien que mal, de survivre à ces départs que l’ancien président a provoqués. Maitre Abdoulaye Wade évolue bien seul à la tête d’un navire bleu à la dérive. Son âge avancé et le contexte de pandémie ont contribué davantage à l’isoler et à l’esseuler, en attendant un éventuel retour de son fils Karim Wade à qui il chauffe toujours la place.
 
Seulement, le temps file, des nouvelles forces émergent et s’imposent dans le landerneau politique. Le débat actuel sur le statut du chef de l’opposition n’a même pas réussi à réveilleur les ardeurs des tenants du parti. A force d’absence des débats, l’assise du parti s’étiole. La dernière formation politique née de ses flancs en est une preuve. 
 
En effet, Oumar Sarr, Babacar Gaye, Mamadou Bamba Ndiaye, Me El Hadj Amadou Sall… ont récemment créé le Parti des libéraux et démocrates/And Suqali (PLD/AS) pour acter définitivement leur divorce avec le PDS.  Ce n’est d’ailleurs qu’une suite logique de leur séparation avec Me Wade, l’ex-secrétaire général adjoint avait déjà pris la décision de participer au dialogue national contre la volonté de son parti. Ce fut le début d’une dissidence qui devrait conduire l’ex-n°2 du PDS dans un futur gouvernement d’union nationale.  
 
En effet, ces dissidents, prompts à se bousculer aux portillons du palais de la République, sont aujourd’hui indexés d’être dans l’antichambre du pouvoir. Ils brillent par leur passivité, lorsqu’il s’agit de s’opposer. Et selon toute vraisemblance, ils ne cracheraient pas sur une proposition d’intégrer un gouvernement d’union nationale dont l’idée est autant agitée que saugrenue.
 
Rewmi, l’art de l’attentisme
 
Le Rewmi est l’absent le plus présent sur la scène politique sénégalaise. Son leader est presque aphone la majeure partie du temps et laisse ses lieutenants et souteneurs occuper le terrain.
 
Ainsi que l’explique le vice-président du parti Déthié Fall : ‘’Un parti ne se limite pas à son président. Rewmi reste présent dans le débat. Quant à Idrissa Seck, il a trente-et-un an d’expérience politique, et, jusque dans les hameaux les plus reculés du pays, les Sénégalais savent qui il est. Il a suffisamment d’expérience pour savoir quand le moment se prête à parler ou pas.’’  
 
Aujourd’hui, le parti coordonne le pôle de l’opposition dans la Commission politique du dialogue national et s’est fait suffisamment de souteneurs pour disputer le statut du chef de l’opposition.  
 
CRD, l’opposition de salon
 
Le Congrès pour la renaissance démocratique est également particulièrement présent sur la scène politique. Sa voix se fait entendre sur toutes les questions qui agitent la vie politique et la marche de la nation, d’une manière générale. La coalition, composée entre autres du parti ACT d’Abdoul Mbaye, du mouvement Tekki de Mamadou Lamine Diallo et de la République des valeurs de Thierno Alhassane Sall, est cependant très peu présente sur le terrain.
 
Si on peut leur concéder la virulence de leurs propos et une certaine justesse dans les questions qu’ils posent, Abdoul Mbaye et Cie sont, en quelque sorte des opposants de salon. Ils s’expriment à travers des communiqués et sur les réseaux sociaux et sont très peu présents sur le terrain. N’ayant pu présenter un candidat à la dernière Présidentielle, du fait du piège du parrainage, ces leaders politiques souffrent d’une assise populaire incertaine. En réalité, on ne connait pas le poids électoral de ces formations.

A leur actif, cependant, le recours en annulation du décret accordant le statut de président honoraire aux anciens présidents du Conseil économique, social et environnemental.   

TROIS QUESTIONS A… MOUSSA DIAW (ENSEIGNANT-CHERCHEUR A L’UGB) 

‘’L’unité ne se fera pas, parce qu’ils ont différentes conceptions et stratégies’’ 

 

Les clivages au sein de l’opposition sénégalaise sont de plus en plus visibles. Ne traduisent-ils pas des positionnements divers ? 

Au Sénégal, l’opposition est plurielle. Nous avons l’opposition modérée, qui regroupe un certain nombre de leaders qui sont moins virulents à l’endroit de la majorité, qui ménagent la majorité. C’est ce groupe qu’on taxe de vouloir rejoindre la majorité élargie. Ils sont composés des anciens du PDS qui ont soit créé des mouvements, soit des partis politiques et qui cheminent parallèlement vers la majorité. Il leur arrive même de la défendre.  

Il y a également ceux que l’on appelle les plus ou moins radicaux, qui ne ménagent pas le pouvoir. On peut retrouver Abdoul Mbaye dans ce lot, avec ses critiques à l’endroit du pouvoir et récemment sur le fonds alloué à la gestion de l’inondation.

Mais il faut dire que c’est difficile de classifier l’opposition au Sénégal. Il y a ceux qui s’opposent de façon frontale. Ceux-là sortent et critiquent. Ils font des propositions. C’est le groupe d’Ousmane Sonko.  Au lieu de parler d’une opposition radicale, je préfère le terme opposition offensive, différente de l’opposition complaisante.  

Quels sont les leaders qu’on retrouve dans cette opposition complaisante ? 

Ce sont les gens qui ne critiquent pas et qui répondent à tous les appels du pouvoir. Ils se disent membre de l’opposition, mais n’abordent jamais les questions de fond et ne dénoncent pas les faiblesses du gouvernement. Ils tiennent un discours modérateur, parce qu’ils ménagent leurs arrières. Ils pensent qu’avec cette posture, un jour, on les appellera, Ils seront associés.

Il y a également des inclassables. La trajectoire de quelqu’un comme Idrissa Seck, ne donne pas confiance. Ses rapports précédents avec Me Abdoulaye Wade ont beaucoup écorné son image. Aujourd’hui, il a changé de stratégie. Il aurait pu, en même temps, ne pas se terrer et donner l’image de quelqu’un qui est dans les petites magouilles. Son silence est évocateur de combines politiques et la majorité est favorable à Idrissa Seck. Au niveau de l’opposition, la plupart ne lui font pas confiance et se méfient de lui, de par ses relations de proximité avec le pouvoir. Il intervient de façon intermittente pour ne rien dire. A mon avis, ce n’est pas la personne indiquée pour diriger l’opposition. 

Qu’est-ce qui explique cette diversité au sein de l’opposition ? 

C’est dû au fait qu’il n’y a pas de réforme des partis, ce qui est indispensable. Avec cette réforme, beaucoup vont disparaitre. Certains ne représentent rien du tout. C’est juste un fonds de commerce. On regarde là où s’est favorable, on se rapproche pour intégrer une alliance et trouver une position de pouvoir.

En plus de cela, il y a une rivalité entre les leaders, parce que certains sont jaloux des autres. Certaines pratiques politiques devraient être bannies, à savoir tout ce qui est clientélisme, achat de consciences… Et plus l’opposition est fragile, plus le pouvoir en profite pour les laminer et favoriser la dissension. A mon avis, il va falloir réorganiser cet espace.

L’unité ne se fera pas, parce qu’ils ont différentes conceptions et stratégies. 

 
HABIBATOU TRAORE 

 

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