Publié le 13 Jan 2015 - 20:25
OUMAR DIAKITE, CARICATURISTE

Odia, la touche particulière 

 

De tous les caricaturistes du Sénégal, il est certainement celui qui a connu plus de rédaction. Odia, Oumar Diakhaté de son vrai nom, a embrassé le métier il y a 30 ans maintenant. Son talent ne fait pas l’objet d’un doute. Ce timide dans la vie est un vrai ‘’méchant’’ du crayon.

 

A la une du journal Délire, une publication très peu connue des Sénégalais, un dessin très amusant. A gauche une jeune fille aux hanches rebondies et une poitrine bien bombée. A droite, une autre minette avec une mini-jupe et des lèvres projetées à souhait, debout à côté d’un restaurant. Au milieu, un vieux avec sa natte de prière et son chapelet. Devant le spectacle, il commence déjà à perdre son bonnet qui amorce une chute. Les deux filles ont la même phrase à la bouche : ‘’Pas de pause ramadan pour les cherche-mari’’ et le vieux de s’étonner : ‘’Mowayeen, mais seytaane toogul dé (mais vous là !!! Satan ne s’est pas assagi)’’. Ce dessin porte la signature d’Odia, Oumar Diakité, un caricaturiste bien connu dans la presse.

Pourtant rien dans son physique ne laisse croire qu’Odia est l’auteur d’un tel dessin. Son allure ne laisse voir la moindre trace d’humour chez lui. Il a l’air cool, timide à la limite et le visage est toujours sérieux. L’homme qui est ‘’sorti de (son) trou’’ par ce qui est arrivé à Charlie Hebdo reconnaît être ‘’un peu réservé’’, non sans ajouter qu’il rigole et chahute tout de même avec ses frères et amis. En fait, il y a une sorte de contradiction flagrante entre son apparence et ‘’l’esprit tordu’’ d’un bon caricaturiste qu’il est. ‘’C’est le paradoxe du personnage. Le plus cool et calme se métamorphose dans son métier’’, sourit-il. Ce n’est pas la seule contradiction. De teint plus ou moins clair, sa taille de 1,80 m environ ne laisse pas croire à un ancien de 50 ans. Il ressemble plutôt à un adulte de 40 ans.

Grand nomade dans la presse, il a fait, mine de rien, une dizaine de titres. Cet ancien de l’école des beaux Arts où il donne aujourd’hui des cours a fait ses débuts avec le Cafard libéré. En 1990, le journal a lancé un appel à candidatures. Lui, le deuxième de sa promotion, est allé soumettre ses dessins à l’appréciation des responsables, il sera très vite enrôlé. Auparavant, il a eu ‘’quelques essais’’ à Walf, avec des bandes dessinées sur demande de Tidiane Kassé. Avec  Le Cafard libéré, débute un long compagnonnage d’une dizaine d’années.

Ses capacités à manier le crayon se révèle très tôt au grand public. Pape Samba Kane avec qui il a travaillé dans deux titres différents voit en lui un caricaturiste ‘’très talentueux’’ qui a ‘’apporté une nouvelle touche’’ au journal satirique. Un ancien directeur de publication sous les ordres de qui il a travaillé confie aimer beaucoup ses dessins. ‘’Je lui demandais toujours de ne pas me les montrer pour que je les découvre le lendemain en même temps que tout le monde. Mais il tenait à me les montrer avant publication’’, témoigne-t-il.

Entre Odia et le dessin, c’est presque une histoire de vie. Un destin. Né en décembre 1964 au plateau, le petit Oumar a très tôt commencé à crayonner. ‘’Je dessinais partout sur les murs, à tel point de me faire gronder parfois’’. Le Papa et la maman l’ayant quitté respectivement quand il avait 4 ans et 15 ans, il a grandi sous l’aile protectrice d’un grand frère appartenant à la classe moyenne. Son métier actuel, il l’a embrassé contre le gré de celui qui voulait plutôt qu’il soit un bureaucrate. Mais avec le temps, tout le monde a fini par comprendre et accepter. Et aujourd’hui qu’il y gagne sa vie, personne ne regrette le choix, lui le premier.

En 1997, l’expérience avec le Cafard libéré prend fin. Papisko (Pape Samba Kane) lui demande de rejoindre le Matin. Mais avec le clash entre les actionnaires intervenu en 1999, Odia se trouve dans une position peu confortable. Aller avec PSK qui l’a fait venir et qui est du côté de Youssou Ndour, Bara Tall et Cheikh Tall Dioum. Ou alors rester avec Baba Tandian à qui il ne reprochait rien. Dans un premier temps, il reste avec ce dernier, avant d’aller rejoindre Papisko en 2000.

Il croque son monde en faveur des publications du groupe Com 7 (Populaire, Info 7 et Tract). Affable et serviable, il n’en est pas moins ‘’méchant’’ avec ceux qui passent sous son crayon, son arme fatale. ‘’Quand ça choque, c’est une sorte de compliment. Le dessin ne peut pas être gentil’’. Lequel aime-t-il le plus par-dessus tout ? ‘’Le prochain’’, répond-il. ‘’Dès que je termine avec un, je l’oublie et je passe à l’autre’’. Il les archive quand même pour les revoir de temps à autre.

S’agissant de l’aventure avec Com 7, elle s’arrête en 2004. Avec un débit un peu lent et une prudence dans ses déclarations, cet homme à la démarche nonchalante indique avoir senti le besoin de créer quelque chose qui lui était propre, étant entendu qu’il était arrivé à l’âge de la maturité, 40 ans. Ses amis caricaturistes et lui, appuyés par un homme d’affaires, mettent sur place un journal satirique Safari, avec le maximum de dessins et le minimum de textes.

Le journal était inspiré de Charlie hebdo et devait pousser l’audace un peu plus loin, avec toutefois une ligne à ne pas franchir. Car, Odia, lunettes délicatement posé sur un nez plat, a certes pour idole Cabu ; il raffole même de ses portraits, mais il n’en rejette pas moins sa vision libertaire. ‘’En tant que musulman pratiquant qui respecte les cinq prières, s’interdit tout délit et essaie d’éduquer ses enfants dans ses valeurs’’, il ne peut cautionner que sa religion soit ‘’insultée’’ au nom d’une prétendue liberté d’expression.

Et pour cela, il est formel : ‘’Je ne suis pas Charlie, en ce sens’’. Ce monogame, père de garçons et de filles, estime que les caricaturistes sont allés trop loin et ont fait de la caricature de l’islam un fonds de commerce. Et la suite a été tragique. ‘’C’est un gâchis, ils sont morts et les tueurs sont morts’’. Au-delà du cas particulier de Charlie, c’est la liberté d’expression à l’occidental qu’il ne comprend pas. Il trouve regrettable que les gens se soulèvent et s’indignent parce qu’un ministre (Taubira) en a été représenté en chimpanzé. Et qu’à l’inverse, on parle de liberté de presse alors que la sensibilité de toute une communauté a été heurtée.

Doté d’un langage presque parfait et bien articulé pour quelqu’un qui s’est arrêté au BFEM dans l’éducation générale, cet amoureux du français et de la lecture aime se cultiver, convaincu que c’est fondamental dans toute profession. Il adore particulièrement les publications scientifiques expliquant les comportements de l’humain.

Ce qui n’est pas le cas de la nouvelle génération qui est bonne en dessin, mais sans culture générale et avec un niveau faible en français. Quant à son journal Safari, il n’a fait qu’un an et demi en raison des difficultés rencontrées par l’homme d’affaire qui les aidait. Lui, le directeur de publication, était obligé de renoncer à l’expérience, car les journalistes commençaient à gronder, après les fins de mois difficiles. Comme il était en disponibilité au groupe Com 7, son retour a été facile, en dépit du fait que Yakham Mbaye a succédé à Pape Samba Kane.

Mais l’ancien élève de l’école primaire de Thionk et du collège de la Médina s’y sentait à l’étroit. ‘’Je n’étais pas à l’aise. Je n’avais pas de bureau, ni de statut, ni d’attache administrative. J’étais dans le flou’’, confie-t-il le regard baissé. Ce calvaire ne durera pas longtemps. En 2007, Madiambal Diagne alors à la tête d’un grand groupe de presse lui tend la perche. Odia est chef de desk caricature avec Thiouf et Tidiane sous ses ordres. Avec Madiambal, il est retenu la création d’un journal satirique quotidien, Cocorico. C’est une première, puisque toutes les autres expériences étaient hebdomadaires. Mais le patron du groupe Avenir communication va connaître des problèmes avec notamment sa radio Première Fm. Dans sa mort, la radio a aussi emporté le quotidien satirique. Les difficultés s’accentuant, Odia a eu envie de partir.

Décidément béni par le destin, il reçoit une offre au bon moment. Cette fois-ci, c’est Baba Tandian qui venait de lancer Direct Info. L’imprimeur lui propose de ‘’meilleures conditions de travail’’ qu’il n’a jamais eues jusque-là. Avec ce dernier, il est aussi question de sortir un hebdomadaire satirique qui touche aussi au people. Le journal a fait 23 numéros mais reste méconnu du grand public. ‘’Même moi le responsable, je ne le trouvais pas chez les vendeurs’’. En dépit d’une visite avec Tandian chez les vendeurs, ils n’ont jamais compris pourquoi le public ciblé n’a pu voir le Canard. Au bout d’un an de fonctionnement à perte, Odia déclare avoir demandé lui-même à ce que la publication soit suspendue. Il n’en enterre pas pour autant l’idée, car elle est toujours dans un coin de sa tête et il nourrit le rêve de la concrétiser un jour.

Le journal liquidé, Odia travaille pour Direct Info, il demande alors que son salaire soit baissé, sachant que la somme qu’il touche se justifiait surtout par la création de Délire. Le grand voyageur pensait s’être établi définitivement. Mais en juin 2014, Tandian vend le journal à l’homme d’affaires Cheikh Amar. Il a un nouveau besoin : partir. Et encore une fois, le Destin lui avait aménagé une nouvelle place. En juillet, un appel de Bougane Guèye le patron de D-média fait sonner son téléphone et demande à le voir. Une fois les deux hommes assis autour d’une table, ‘’l’affaire est conclue en 5 minutes’’. Le voilà caricaturiste à la Tribune. C’est le début d’une nouvelle aventure….

BABACAR WILLANE

 

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