Publié le 24 May 2016 - 23:13
OUSMANE MBAYE (DIRECTEUR DU COMMERCE INTÉRIEUR)

"Si on avait à côté de nous les consommateurs…"

 

Après l’annonce de la circulation sur le marché sénégalais de la viande asine, la gendarmerie et la douane ont aussi, respectivement, saisi du riz impropre à la consommation et des cuisses de poulets.  Directeur du Commerce intérieur, Ousmane Mbaye rassure les populations, avant d’appeler, à la collaboration des consommateurs pour, dit-il,  mieux faciliter le service de contrôle dans les marchés. Entretien.

 

Aujourd’hui comment jugez-vous la qualité de la consommation au Sénégal ?

La qualité des produits alimentaires me semble d’un niveau assez bon. Je le dis pour plusieurs choses : Nous consommons des centaines de milliers de tonnes de céréales, nous consommons des produits laitiers. Le riz, nous en consommons plus d’un million de tonnes. Pour la farine, les importations constituent plus de 500 000 tonnes, le lait, c’est plus de 50 000 tonnes, le sucre, nous en consommons plus de 150 000 tonnes sans compter les produits divers. Cela pour dire que la matière avec laquelle nous avons affaire est très vaste, et assez complexe des fois pour certains produits.

Ce qui fait que nous devons nous mettre à jour, nous adapter au fur et à mesure pour prendre en charge les besoins en matière d’évaluation de la conformité et de la sécurité des aliments. C’est vrai que l’Etat a fait des efforts en mettant en place tout un dispositif institutionnel, avec des moyens juridiques nécessaires, des moyens humains, des ressources matériels et même techniques. Dans le cadre de la conformité, nous avons besoin de l’appui des laboratoires pour motiver une décision dans le domaine du contrôle de qualité. Nous venons, en 2015, d’avoir notre accréditation qui est une reconnaissance internationale de la compétence de notre laboratoire. Cela signifie que les résultats d’analyse qui sont produits par le laboratoire ne doivent souffrir d’aucun doute sur l’international.

Est-ce que ce dispositif est opérationnel ?

Oui. Et pour rendre ce dispositif opérationnel, nous avons mis en place une stratégie en rapport avec les concernés ; que ce soit la Douane, la DPV (Direction de la protection des végétaux, Ndlr) la Direction de l’Elevage pour qu’en amont, avant que les produits ne soient importés, nous puissions développer une synergie dans le cadre des actions de contrôle et de donner un quitus à l’administration des douanes, ce qui lui permet d’autoriser ces produits. Après ce premier travail, il y a un travail de surveillance qui est fait par ces différents agents et les forces de sécurité nous apportent aussi leurs concours. Avec cette collaboration qui est franche, on arrive à prendre en charge entièrement les préoccupations en matière de surveillance du marché.

Aujourd’hui, l’actualité est marquée par la commercialisation sur le marché de la viande d’âne. Depuis quand a-t-on commencé à commercialiser de la viande asine au Sénégal ?

Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Je sais qu’à la SOGAS (Société de gestion des abattoirs du Sénégal), il y avait une demande en terme d’abattage d’ânes mais c’est une demande qui était exprimée par une clientèle bien spécifique : les parcs nationaux… Cet abattoir était fait dans des conditions requises. Lorsqu’on constate un abattage clandestin qui porte sur la viande asine et dans des conditions particulières, ça peut laisser penser que l’utilisation qui y était destinée n’était pas clairement exprimée. Nous sommes un pays à grande majorité musulmane. Il y a une forte demande en terme de viande ‘’halal’’. Si les gens se permettent d’abattre de la viande d’âne dans ces conditions, ça peut donner des inquiétudes par rapport à la destination qui y était prévue. Je pense que là aussi, la gendarmerie, en rapport avec le ministère de l’Elevage, se sont bien occupés de cette question.

Au-delà de la viande d’âne, parfois il y a une viande impropre à la consommation qui est souvent sur le marché. Est-ce que vous avez des évaluations concrètes concernant cette viande ?

À part les abattages clandestins, c’est peut-être de la viande non ‘’halal’’ qui est peut-être destinée aux marchés. Les cas que nous identifions pour la plupart ont trait aux conditions de mise en vente des viandes ou bien ce sont les importations frauduleuses.

La gendarmerie a saisi près de 25 000 tonnes de riz impropre à la consommation. Comment une telle quantité peut-elle entrer dans le marché ?

C’est vrai que nous avons noté des cas de riz impropre à la consommation, des cas de manœuvres frauduleuses sur lesquels nous avons travaillé avec la gendarmerie pour constater ces manquements. Il faut aussi savoir comment le riz est importé. Le riz, souvent s’il est importé, est mis en entrepôt. Bien qu’il soit présent dans un entrepôt au Sénégal, ça ne veut pas dire qu’il est dans le territoire sénégalais. Il est toujours considéré comme une marchandise qui est au cordon douanier. Tant que la déclaration de mise à la consommation n’est pas faite, on ne peut pas considérer que ce produit est mis à la consommation. Ça aussi, ce sont des éléments qu’il faut avoir. Lorsque nous avons été requis par la gendarmerie pour donner un avis sur du riz saisi à Mbirkilane, comme la loi nous le recommande, nous avons fait des prélèvements que nous avons envoyé au laboratoire. Ce dernier avait conclu que le résultat était bon. Nous avons aussi transmis à la gendarmerie les résultats. À la suite de cela, nous avons fait des remontées pour en arriver au stock. Des prélèvements ont été faits et envoyés dans deux laboratoires différents.

Les deux laboratoires ont conclu que le riz était propre à la consommation. Nous avons par la suite eu connaissance qu’il y avait une action civile relativement à ce riz qui avait justifié le blocage de la vente pour une partie depuis 2014 et pour une autre depuis 2015. Ce n’est que vendredi que nous avons appris, à travers la presse, que ce riz serait impropre à la consommation sur la base de résultats d’analyse produits par l’ITA (Institut de technologie alimentaire) sur une commande de la gendarmerie. Nous, administration du Commerce, les prélèvements que nous avons faits étant concluants, nous ne pourrions que nous en limiter à cela. En regardant le résultat d’analyse, l’on se rend compte qu’il ne remet pas en cause la qualité intrinsèque de ce produit surtout la qualité microbiologique. Mais la date d’expiration (juin 2016) était proche. Alors, j’ai écrit à qui de droit pour lui demander de prendre toutes les dispositions pour vendre le produit avant l’expiration.

Donc le riz est en train d’être écoulé ?

Non, le riz n’est pas en train d’être écoulé parce que, semblerait-il, ce riz faisait toujours l’objet d’un blocage par la gendarmerie. Le souci de la gendarmerie est de s’assurer que le produit est de qualité. De ce point de vue, nous avons les mêmes soucis et nous avons l’obligation de travailler ensemble pour éviter que la population ne soit ameutée. Le riz est notre principale denrée de base. Depuis vendredi, tous les Sénégalais se demandent si le riz qui leur est proposé est de bonne ou de mauvaise qualité. Est-ce que le riz qu’ils achètent n’est pas celui dont on a parlé dans la presse ? Pour dire qu’un produit est non conforme, il faut s’assurer de toutes les garanties prévues en la matière.

La Douane a récemment saisi plus de deux tonnes de cuisses de poulets. Comment les gens procèdent-ils pour faire entrer cette viande de volaille au Sénégal ?

C’est uniquement de la fraude, ça ne passe pas par voie officielle. Nous n’avons pas connaissance d’importation de viandes de volaille qui passe par le port ou l’aéroport. Souvent, c’est de la contrebande. En parlant de viande de volaille, elle a fait l’objet de prohibition depuis 2005. Un arrêté interministériel a été pris pour interdire les importations de volaille, de produits avicoles et même de matériel avicole. C’était pour se prémunir de la grippe aviaire mais aussi pour promouvoir la production avicole. Il arrive que les gens qui opèrent essaient de passer entre les mailles des filets. Sachant que c’est une prohibition, soit ils opèrent la nuit soit dans les lieux de distribution où la présence des forces de contrôle n’est pas permanente. 

Mais la récurrence des saisies qui sont faites, soit par la gendarmerie soit par les douanes, montrent qu’il y a une forte présence de l’administration pour faire face à ces cas de fraudes. À chaque fois qu’il y a un cas de prohibition, naturellement ça peut concerner des produits prisés sur le marché. Ils aiguisent des appétits et cela pousse des personnes mal intentionnées à prendre le risque pour essayer d’enfreindre à la réglementation. C’est maintenant à l’administration de prendre les mesures qui s’imposent pour faire face à ces gens-là.

Avec ces multiples saisis de riz, de viande, n’a-t-on pas l’impression que les services du commerce et de l’hygiène ont du mal à faire le contrôle nécessaire ?

Pour le riz, tout le stock qui fait l’objet de saisie, c’est le même stock mais à des endroits différents. La nouveauté, c’est l’abattage des ânes et l’administration a fait le travail nécessaire. Il y aura toujours des gens mal intentionnés qui essaient d’outrepasser la réglementation. Ce qui est attendu de l’administration, c’est de mettre en place toutes les dispositions nécessaires pour faire face à ces personnes. Mais aussi faire en sorte que quand il y a des non-conformités constatées sur le marché que le nécessaire soit fait. L’administration, quelles que soient les mesures que nous allons prendre, ne peut pas dire, a priori, que personne ne pourra outrepasser la réglementation. Il n’y a aucun dispositif irréprochable à tout point de vue.

À chaque fois que vous mettez en place une réglementation, des gens réfléchissent à la manière de contourner cette réglementation. Tous les jours, nous sommes sur le marché. Le travail serait plus efficace si on avait à côté de nous les consommateurs. Les services de contrôle, quelles que soient leurs forces, leur présence, ne peuvent pas être partout. Si les populations sont averties, elles peuvent apporter leur concours. Chaque fois qu’il y a des suspicions sur la qualité d’un produit donné, il faut que les consommateurs aient le réflexe de saisir les administrations compétentes en la matière et l’administration saisie fera le nécessaire pour voir si le produit est conforme à la réglementation.

Dans certains marchés comme Tilène, Petersen, l’on voit beaucoup de produits dont les gens doutent de la conformité. Qu’est-ce que vous faites à ce niveau pour lutter contre ces pratiques ?

C’est un exemple qui revient tout le temps. Ce sont des lieux qui ont la particularité de ne vendre que des produits en fin de série. La vente de produits en fin de série existe partout. Il y a des marchés spécialisés dans la vente de ces types de produits. Ce sont des gens qui cassent les prix pour écouler le produit et éviter que la date d’expiration arrive à terme. L’autre particularité de ces marchés est qu’en vendant les produits en fin de série, il peut arriver que les produits, dont les dates sont expirées, soient sur le marché. C’est à ce niveau que nous déroulons les opérations coup de poing pour retirer les produits impropres à la consommation.

C’est vrai que l’erreur que nous commettons à chaque fois est que nous avons des a priori sur la qualité des produits. Des fois, les produits qui sont considérés comme impropres ne le sont pas toujours.  C’est un marché spécialisé dans la vente de produits en fin de série mais tous les produits qui y sont vendus ne sont pas impropres à la consommation. Ce que nous déplorons, ce sont les conditions de mise en vente de certains produits, notamment les fromages qui doivent être vendus dans des conditions qui garantissent la chaîne de froid. Avec ces formes de vente, la chaîne de froid n’est pas toujours garantie.

Mais y-a-t-il des sanctions adéquates pour décourager les contrevenants ?

Oui il y a toujours des sanctions.  De ce point de vue, la loi est assez claire. Ce sont des sanctions pécuniaires ; des amendes contre les mis en cause. Ça peut aller jusqu’à des peines privatives de liberté que le juge est habilité à prononcer. À ce niveau, toutes les sanctions prévues sont infligées aux mis en cause. C’est très rare d’en arriver à des peines privatives de liberté. Mais à chaque fois que nous estimons que la gravité de l’infraction est telle qu’il faut transmettre le dossier au Procureur, là, nous ne manquons pas de le faire. 

PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE

 

Section: