Publié le 7 Feb 2020 - 21:49
PÉNURIE D’EAU ET PANNES RÉCURRENTES DES FORAGES…

L’indignation des populations rurales

 

Les élus et représentants d’élus locaux de la région de Thiès ont mis à profit, hier, le comité régional de développement (CRD) spécial consacré au secteur de l’eau, pour étaler, devant le ministre Serigne Mbaye Thiam, les limites de la politique de l’accès universel au liquide précieux. Tous ont pointé les coupures intempestives d’eau dans certaines localités du périmètre régional, les nombreuses pannes des forages, mais aussi le retard souvent noté dans les branchements sociaux.

 

Cent quatre-vingt-quatre (184) forages dont 97 qui fonctionnent avec des groupes électrogènes ; 923 bornes fontaines. Vingt-et-un (21) nouveaux forages construits dans la région de Thiès entre 2012 et 2019 pour un montant global de plus de 3 milliards 330 millions de francs CFA, portant ainsi le taux d’accès à l’eau à 91,7 %. Ces chiffres, communiqués hier, par les services du ministère de l’Eau et de l’Assainissement, à l’occasion du comité régional de développement spécial consacré au secteur de l’eau tenu à Thiès, n’ont pas rassuré les élus de la région de Thiès. Ils ont exposé au ministre Serigne Mbaye Thiam toutes les misères que vivent les populations locales pour étancher leur soif dans certaines zones de la région. Actuellement, neuf forages sont à l’arrêt. De Diender à Mérina Dakhar, en passant par Tassette, Touba Toul et Pambal, l’eau ne coule plus dans les robinets. Ou si elle coule, c’est au compte-gouttes, à certaines heures. Souvent ‘’harcelés’’ par les populations assoiffées à la base, les élus locaux ont voulu régler la problématique de l’eau dans toute sa composante une bonne fois pour toutes.

Devant le ministre de l’Eau et de l’Assainissement Serigne Mbaye Thiam, certains n’ont pas caché leur amertume. Las d’être interpellés tout le temps, alors que l’eau n’est pas une compétence transférée, les élus ont crié toute leur indignation. Aussitôt après la présentation qui a montré les réalisations et les ‘’bonnes’’ perspectives pour la région en termes d’hydraulique rurale et urbaine, ils ont pris la parole pour manifester leur courroux et exiger de l’État une solution durable.

L’adjoint au maire de Thilmakha se lance en premier et n’y va pas par quatre chemins. ‘’Je ne comprends pas ce qui nous arrive. Dans notre commune, on peut rester cinq jours, voire plus, sans aucune goutte d’eau. Vous imaginez une zone sans eau ? Voilà ce que nous vivons. Les trois forages sont à l’arrêt, parce que les populations ne peuvent pas supporter les factures d’électricité qui ne coûtent pas moins 2 millions 500 mille francs CFA. Les populations rencontrent d’énormes difficultés. Des coupures d’eau par-ci et des pannes de forages par-là, c’est difficile ce que vivent les populations dans le monde rural. Nous voulons une solution définitive’’, exige Saër Ndao.

Le paradoxe Diender

Thilmakha n’est pas la seule collectivité territoriale où les populations vivent le supplice du manque d’eau. Diender, qui a en son sein 13 forages, est aussi affectée par le manque d’eau qui met à terre les communes rurales. ‘’Nous avons 13 forages qui alimentent la région de Dakar en eau. Paradoxalement, nos populations souffrent d’une pénurie d’eau occasionnée par les pannes incessantes de forages. Notre commune abrite les Niayes. Et pas un seul forage est à vocation agricole. C’est dommage. En tout cas, il faut régler la question de l’accès à l’eau potable. Cette équation mérite une solution définitive, parce que les élus locaux sont fatigués’’, fulmine Djibril Ndiaye.

Ainsi, le premier adjoint au maire de Diender indique qu’il appartient à l’État de travailler à résoudre cette problématique pour un ‘’meilleur épanouissement’’ de ses administrés. Outre Diender et Thilmakha, les populations de Taïba Ndiaye souffrent le même martyre. Là-bas, il n’y a que deux forages. Avec l’autre qui est tombé en panne depuis deux mois, c’est un seul qui alimente toute la commune. Une situation qui n’agrée pas l’adjoint au maire de ladite municipalité. ‘’La pénurie et les pannes insupportent les élus locaux que nous sommes. Et, à chaque fois, les populations viennent se plaindre à notre niveau. Elles s’attaquent très souvent à nous, alors qu’on n’y est pour rien, parce que l’eau n’est pas une compétence transférée. Les citoyens ne peuvent pas continuer à vivre sans eau. Lors d’une panne d’un de nos forages, nous avons dépensé 6 millions de francs CFA pour le faire réparer. On se demande alors où est l’État du Sénégal dans tout ça ?’’, fulmine Assane Ndiaye.

Soulignant que ce n’est pas aux élus locaux de subir les foudres des populations, le secrétaire général du Conseil départemental de Thiès pense qu’il est du devoir de l’État de faire des efforts, afin de mettre un terme à la crise de l’eau qui sévit dans le monde rural. Mieux, ajoute-t-il, le gouvernement doit arrêter la construction de forages dans la région, en ce sens qu’elle n’est pas bénéfique aux populations locales. ‘’Chaque jour, on pompe 268 000 m3 à partir de Thiès pour d’autres régions. Pendant ce temps, ce sont des coupures récurrentes d’eau et des pannes de forages qui assaillent les populations. Je pense que les services du ministère ne mesurent pas les dangers qui guettent la région. Monsieur le Ministre, l’heure a sonné pour arrêter la construction de ces forages. Parce que cela ne permet pas de résoudre les nombreuses pénuries d’eau. On se demande alors à quoi sert ces infrastructures ?’’, soutient Bassirou Ndiaye.

La ville sainte de Tivaouane vit aussi le phénomène en cours dans le monde rural. De l’avis du premier adjoint au maire de ladite commune, il y a des quartiers de Tivaouane qui n’ont pas d’eau. Pour sa part, le maire de la commune de Mont Rolland, par ailleurs représentant du président de l’Association des maires du Sénégal (AMS) au CRD, a également dit toute sa désolation. Pour Yves Lamine Ciss, l’heure a vraiment sonné pour réfléchir à des stratégies pouvant permettre de résoudre définitivement la question cruciale de l’eau dans toute la région de Thiès.

‘’La gestion de l’eau n’est pas une compétence transférée. Il faut que les populations le sachent et arrêtent de nous faire porter le chapeau. Quand il y a une panne, elles laissent de côté Aquatech ou encore Sen’Eau et viennent directement vers nous. C’est nous qui payons tout le temps les pots cassés’’, s’irrite l’édile socialiste, affirmant qu’il est temps que la gestion de l’eau revienne aux collectivités territoriales.

De son côté, l’adjoint au maire de la commune de Ndiaganiao met le curseur sur les lenteurs dans l’exécution des branchements sociaux. Aux yeux de l’élu local, l’État doit accélérer les procédures, parce que, dit-il, les citoyens du monde rural ont soif. ‘’Quel est le problème et pourquoi ces lenteurs ? On ne sait pas. Ces branchements sociaux constituent aussi une sérieuse problématique tout comme l’eau. C’est seulement en 2017 que Ndiaganiao a bénéficié de 53 branchements sociaux. Il faut que les uns et les autres se penchent sur cette question des branchements sociaux’’, préconise Djibane Gning.

Seyni Ndao, DG de l’Ofor : ‘’Quand on n’a pas d’eau, c’est extrêmement difficile’’

Admettant qu’un être humain ne peut pas vivre sans le liquide précieux, le directeur général de l’Office des forages ruraux (Ofor) avoue que la situation dans laquelle se trouvent les citoyens vivant dans le monde rural est compliquée. Cependant, il explique cette problématique par la vétusté des infrastructures hydrauliques.

‘’Quand on n’a pas d’eau, c’est extrêmement difficile. Mais s’il y a aujourd’hui des problèmes concernant le secteur de l’eau, c’est parce qu’il y a beaucoup d’infrastructures vétustes en milieu rural. Nous allons travailler à résoudre ce problème. Nous y sommes presque’’, déclare Seyni Ndao.

Ainsi, son collègue de la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones) va plus loin. Il affirme que l’État est en train de dérouler une politique devant permettre à plusieurs villages d’être raccordés au réseau d’adduction en eau potable. Selon Charles Fall, la procédure peut paraitre longue, mais une fois que ce sera fait, il y aura une large distribution d’eau en milieu rural. ‘’Nous sommes en train d’interconnecter la ville de Thiès aux localités de la Petite Côte afin de réduire la surexploitation des forages’’, informe-t-il.

Pour ce qui concerne les branchements sociaux, Charles Fall soutient que cela n’est pas une obligation. ‘’Je rappelle que les branchements sociaux ne sont pas obligatoires. C’est juste une politique volontariste de l’État du Sénégal visant à accompagner les couches les plus vulnérables. Il ne faut pas que les gens confondent ce qui est une obligation pour le gouvernement et ce qui ne l’est pas’’, poursuit le directeur général de la Société nationale des eaux du Sénégal.

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ATTAQUES CONTRE AQUATECH

Serigne Mbaye Thiam appelle à la retenue

Coopté tout récemment pour suppléer les associations des usagers de forages (Asufor) afin de régler la crise de l’eau, l’opérateur Aquatech semble ne pas être le bienvenu à Thiès.

G. DIATTA (THIES)

A peine des procédures entamées pour mettre l’opérateur Aquatech dans le bain pour une bonne gestion et la résolution de la crise de l’eau, des voix d’élus locaux s’élèvent pour réclamer la résiliation de son contrat. Pour certains, Aquatech est la source de tous les maux que vivent les populations. Cependant, l’idée de résilier son contrat ne traverse pas l’esprit du ministre de l’Eau et de l’Assainissement. Serigne Mbaye Thiam demande plutôt aux populations d’être sereines et de laisser Aquatech dérouler, pour le moment. ‘’C’est vrai qu’on a eu beaucoup de récriminations dans le domaine de l’hydraulique rurale par rapport à la réforme en cours, notamment au niveau de la société Aquatech qui connait des difficultés pour prendre en charge les sites qui lui ont été alloués.

Mais nous avons eu des séances de travail où des engagements ont été pris’’, soutient le ministre socialiste. Selon Serigne Mbaye Thiam, cette question d’Aquatech a déjà été résolue. ‘’Nous suivons cette situation de très près. Nous avons rencontré les responsables de cette entreprise qui ont daté des engagements sur un document (…). Nous allons prendre ensuite des mesures qui s’imposent. Je demande aux populations de ne pas s’inquiéter’’, rassure l’ancien ministre de l’Éducation nationale.

Aussi, Serigne Mbaye Thiam souligne-t-il que toutes les doléances formulées par l’ensemble des élus locaux vont être prises en compte dans le budget-programme qui vient d’être voté.      

GAUSTIN DIATTA (THIES)

 

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