Publié le 18 Oct 2019 - 21:32
PALENE

Dans l'intimité des petits-fils de Cheikh Ibra Fall

 

Maillon non négligeable du mouridisme, les disciples de Cheikh Ibrahima Fall (la lumière du mouridisme) jouent un rôle central dans le développement de la confrérie. Sur tous les fronts, ils assurent de plus en plus l’exécution des grands chantiers du khalife à travers la collecte de fonds qui se fait sous forme de ‘’adya’’ (cadeaux en arabe) qu’ils remettent directement à leurs guides respectifs qui les investissent à leur tour. En ce jour de célébration du grand Magal de Touba, ‘’EnQuête’’ vous plonge jusque dans l’intimité des petits-fils de Cheikh Ibrahima Fall et de leurs disciples trouvés au quartier Palène où ils s’établissent depuis des lustres.

 

Situé en plein cœur de Touba, à un jet de pierre de la grande mosquée, Palène est le fief des petits-fils de Cheikh Ibra Fall, la lumière du mouridisme. Dans cette concession fondée par l'ancien khalife général des Baye Fall sous le khalifat de Serigne Fallou Mbacké, Chérif Assane Fall, fils de Cheikh Ibra Fall, vivent encore ses enfants et ceux de ses frères Serigne Abdou Sakkor Fall et Baye Saliou Fall, tous fils de Cheikh Ibrahima Fall. Serigne Amdi Khady Fall, fils aîné de Chérif Assane Fall, y est établi avec ses demi-frères Serigne Amdi Nogoye Fall, Serigne Amdi Yacine Fall et Serigne Moussa Fall, ainsi que son frère de même père et de même mère, Cheikh Amdi Fall.

Dans la grande cour de cette concession, campent tous leurs fidèles venus d'horizons divers pour célébrer la 125e édition du départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba en 1895.

Chaque année, c'est des milliers et des milliers de Baye Fall qui convergent dans ce quartier où ne réside que la famille de Cheikh Ibrahima Fall. Ils viennent, le plus souvent, du Baol, du Cayor et du Sine-Saloum, pour la plupart du temps, et aussi dans le reste du pays et de la diaspora sénégalaise établie un peu partout à travers le monde. Pour la majeure partie d'entre ces fidèles, les rapports qui les lient avec la famille de Cheikh Ibrahima Fall remontent à leurs aïeuls. ''Petit, je venais ici avec mon père. C'était un fervent disciple de Chérif Assane Fall, à l'époque khalife général des Baye Fall. J'avais fait allégeance auprès de lui'', déclare Ibrahima Diagne, septuagénaire. Entouré de ses enfants et petits-enfants, le vieux remémore cette époque avec beaucoup de nostalgie. ''Je suis issu d'une lignée Baye Fall. Mon père, que la terre de Touba lui soit légère, m'a très tôt inculqué les valeurs d'un Baye Fall. Je peux dire que je suis nourri à la sève du Baye Fall. Mon grand-père a été élevé au rang de cheikh par Cheikh Ibrahima Fall ; et mon père par Chérif Assane Fall lui-même. Très jeune, il m'a fait faire mon allégeance à son marabout à lui. Je ne le regrette pas. J'ai plus de 70 ans, mais je suis toujours actif. Et tant que Dieu m'en donne la possibilité et le souffle, je serai toujours à la disposition de mon marabout. Jamais je ne lésinerai sur mes moyens pour apporter ma piètre contribution'', déclare Diagne Baye Fall comme l'appelle ses proches.

Originaire de la localité de Tambacounda, Diagne convoie chaque année du bois mort qu'il remet à son guide, Serigne Amdi Khady Fall. En plus de ce présent, il somme chaque membre de la famille à mettre la main à la poche pour contribuer. Pour cette année, 150 000 F Cfa ont été collectés rien qu’entre lui et ses enfants. Cette somme est directement remise au khalife des lieux en guise de ‘’adya’’ (cadeau). D'ailleurs, toutes les familles ici présentes fonctionnent quasiment de la même manière.

C’est, en effet, une exigence, pour ces disciples Baye Fall, de ne jamais serrer la main de leur marabout respectif sans lui laisser un présent. Chaque fidèle qui rallie cette concession, apporte ainsi avec lui un viatique. Ceci se donne soit en argent, soit en denrées. Si ce n'est pas des denrées de première nécessité comme le riz, l'huile, le sucre ou l'oignon, c'est d'autres produits de grande consommation, en cette période de Magal. D’ailleurs, dans un coin peu éloigné de la maison, l’on décharge un camion plein de fruits, de boissons sucrées et d’autres produits de consommation. Chez les Baye Fall, tout ce qui a de la valeur est directement convoyé vers le khalife général des mourides. Tout ou presque ce qui est remis aux guides sous forme de cadeaux ou de donations, est transféré chez le khalife général. Seuls les restes sont distribués aux fidèles.

Dans ces lieux, beaucoup s’identifient à travers leurs accoutrements et leurs dreadlocks. A travers la tenue, on peut facilement identifier le ‘’daara’’ (école coranique) du disciple. Chez les disciples de Cheikh Ndigueul Fall, par exemple, dont le quartier général s’établit à quelques encablures, l’on s’habille en noir-blanc. Chez d’autres disciples comme Serigne Cheikh Fall Mbawor, c’est en bleu-jaune. Chaque courant détient, en effet, son propre style à travers son accoutrement.  

Le ‘’adya’’ (cadeau), une obligation chez les Baye Fall

De l'autre côté de la concession, se trouve l'enclos qui abrite les bêtes à sacrifier pour la circonstance. Bœufs, chameaux, moutons, chèvres, volaille, rien n'est laissé au hasard, ici. Les recommandations du fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba, en ce jour de célébration de son départ en exil, sont respectées à la lettre. Réputés pour leur engagement que certains assimilent parfois à un excès de zèle ou du fanatisme tout court, les Baye Fall jouent un grand rôle dans la marche du mouridisme. En plus de s'occuper des tâches domestiques et de la sécurisation de la cité religieuse, ils participent à l'exécution de certains grands chantiers du khalife général des mourides. A lui seul, Serigne Amdi Khady Fall s'occupe de murer l'enceinte de l'université Cheikh Ahmadou Bamba de Touba, après avoir remis à Serigne Mountakha Mbacké les clés de la Maison de Serigne Touba, construite dans la cité religieuse. Ces chantiers nécessitent beaucoup de moyens financiers. Ils sont financés à partir des ‘’adya’’ collectés auprès des fidèles en plus d’autres sources de financement issues des récoltes et autres activités lucratives que les Baye Fall mènent souvent. Ils sont aussi fréquemment appuyés par des chefs d’entreprise et des bonnes volontés.

Dans cette concession, est dressée, au fin fond de la demeure, une tente où le marabout s'établit à certaines heures de la journée pour communier avec les fidèles. Tout autour, se forment le plus souvent de longues files d'attente. Tous les fidèles se ruent vers lui dès son apparition. Le marabout, septuagénaire, est entouré de ses chambellans qui font régner l'ordre dans ces lieux. Ils filtrent l'accès et laissent passer les fidèles par groupe. Ils sortent comme ils sont venus par une porte dérobée, après avoir remis leurs ‘’adya’’ au guide spirituel.

‘’Je suis très heureux d’avoir remis mon ‘adya’ à mon marabout. Ce n’est pas grand-chose, mais chaque année, je m’efforce de donner plus. C’est une obligation pour nous. Le vrai disciple Baye Fall est celui qui donne régulièrement un ‘adya’ à son marabout. Mon grand frère achète chaque année un taureau à son marabout. Je n’ai pas encore ces moyens. Mais je veux, à l’avenir, faire plus que lui’’, confie Saliou Fall Dioum, un jeune disciple de 24 ans, dreadlocks, ceinture bien serrée autour des reins. A côté, un groupe de Baye Fall assure l’animation. En pas cadencés et rythmés, ils chantent les louages d’Allah le Tout-Puissant. Par moments, certains d’entre eux tombent en transe. Ils sont aussitôt évacués et extirpés du groupe jusqu’à ce qu’ils se calment et rejoignent le groupe.

Ainsi est célébrée toute la journée du Magal jusqu’à l’aube chez les Baye Fall.

ASSANE MBAYE (ENVOYE SPECIAL)

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