Publié le 8 Jun 2015 - 10:02
PANORAMA DE MAME TALLA DIAW

Le mirage du casino

 

Où vont les Sénégalais ? Le fait divers plane désormais sur tout, fait tomber un à un les derniers bastions et devient la norme. On en était jusqu’ici à dénombrer les trafiquants en tous genres qui sont actuellement poursuivis, les pilleurs de l’argent public, les « criquets » du foncier ou encore les frappes de l’escroquerie, voici le temps du grand banditisme financier. L’affaire « Thione Seck » a frappé comme un oiseau en plein vol, obligé de s’abattre après des battements d’ailes désespérés. La star s’estime elle-même victime alors que la justice veut y voir plus clair. En attendant, mandat de dépôt ! Avec tout ce que la prison charrie comme émotion.

Peuple émotif, les Sénégalais dans leur majorité, compatissent. Beaucoup parmi eux oublient cependant qu’ils vont devoir affronter la criminalité financière internationale. Combien de gros poissons sont passés entre les mailles des filets ? Ce n’est pas seulement notre mise sous surveillance par nos partenaires (signe d’un manque de confiance) qui doit faire peur. Des milliards de faux billets injectés dans une économie fragile sont généralement un choc dont on ne se relève que (très) difficilement. Le manque de crédit (dans tous les sens du terme) accordé à notre économie devrait s’accentuer en ralentissant les flux et lestant les transactions. Des milliards de fausse monnaie, c’est carrément de l’ampleur, une catastrophe majeure.  

La clameur n’est pas près de s’estomper car le monde entier nous observe. Est-ce l’influence des médias ? Pas tout à fait car ils relatent généralement des faits avérés. Pourquoi les Sénégalais ne sont-ils plus heureux comme autrefois, quand l’argent n’était pas encore le moteur de notre « commun désir de vouloir vivre ensemble » ? La crise des modèles est incontestable.

Jamais, aussi loin que remontent les mémoires, autant de personnalités ont eu maille à partir avec Dame Thémis. Que se passe t-il dans ce paisible pays pour qu’il ne peut plus se glorifier de compter une majorité d’honnêtes hommes sur son sol ? Cette généralisation, aussi excessive qu’elle puisse paraître, ne trahit en fait que le désarroi de ceux qui assistent, désabusés et inquiets, au piétinement systématique de la morale.

Nous vivons peut-être une révolution. Ce pays a été construit, selon son histoire officielle, sur l’allégeance à des vertus. En parlant de l’une d’elles, « jom » ou honneur en wolof, il faut souligner son entrée dans le dictionnaire des anciennetés. Par contre, son déficit, « niakk jom » est plus usité car justement, c’est sa pénurie qui est évoquée et pas le contraire. Revendiquer sa possession en grand nombre, avoir le sens de l’honneur (« am jom »), vous admet au musée. Vous devenez une relique. Une momie d’honnête homme. Implacable casino social…

Qu’est-ce qui a changé ? Les canons de l’ascension sociale ont changé. L’élite est toujours celle qui provient de l’école coranique et française, mais les modèles sont ceux qui ont su accumuler, sans retenue dans l’ostentation. Ceux qui cassent la banque. Qui jettent l’argent par-dessus l’épaule dans certaines de nos si belles soirées de gala…

Au milieu des années 90, un terme, « le climat des affaires », a fait son apparition dans le jargon des économistes. Il s’agissait de pouvoir parler de manière précise de l’environnement qui entourait le commerce. Globalement, c’était pour clôturer le champ de l’activité mercantile, la production, l’investissement et sa protection, la « qualité » de la monnaie et la garantie de pouvoir fructifier sereinement un patrimoine. Bref, la température du business.

De « climat des affaires », on est passé maintenant aux « affaires ». Les vraies, celles qui enrichissent le vocabulaire des milliards dans les médias. C’est pour répondre à une sagesse d’escroc, à savoir que l’argent n’a pas d’odeur, que quelqu’un a parlé un jour d’argent sale. Les prisons ne seront jamais assez remplies, disait l’autre jour un habitué d’un talkshow radiophonique qui fait fureur. Oui, mais les prédateurs de l’économie, même en prison, coûtent de l’argent. C’est là un chantier vital pour l’Etat car il est impossible de gouverner sur de fausses réalités, comme l’est l’argent sale (recyclé ou faux).

Il faut aimer l’argent, ce n’est pas interdit. Il faut surtout l’aimer après avoir sué pour obtenir ses faveurs. Il faut le détester à cause de la vacuité des modèles qu’il transporte. Il faut surtout le détester pour sa nocivité quand il ne sert point à rendre l'homme plus heureux. Tous les hommes.

 

 

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