Publié le 18 Oct 2020 - 00:10
PASSAGE DU FRANC CFA A L’ECO

Le Sénat français ‘’valide’’ une réforme cosmétique

 

Ne se sentant nullement en danger sur les deux aspects essentiels de la coopération monétaire avec ses anciennes colonies en Afrique (la parité fixe avec l’euro et la garantie de convertibilité), deux sénateurs français ont expliqué à leurs collègues les réformes juste ‘’symboliques’’ sur la monnaie des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).

 

Loin du tollé suscité sur le continent africain par le contenu de la réforme du franc CFA des États de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), le Sénat français a mené une étude sur l’impact des changements induits par ce nouvel accord monétaire entre la France et ses anciens colonisés de l’Afrique de l’Ouest.

Mercredi 30 septembre 2020, la Commission des finances a autorisé la publication des communications de Nathalie Goulet et Victorin Lurel, rapporteurs ayant travaillé sur cette question, sous la forme d’un rapport d’information sur la Zone franc. Pour servir la France, leurs enquêtes ont permis de dégager trois principales pistes de réflexion pour aller plus loin dans cette réforme : ‘’S’engager à renommer la Zone franc, dont le nom est source de confusion sur sa nature et sur le rôle qu’y joue la France ; renforcer la communication sur la réforme et poursuivre les réflexions sur le rôle que devrait y jouer la Banque centrale européenne.’’

Toutefois, plusieurs facteurs font douter les sénateurs français de la réalisation, à court-terme, du projet ‘’Eco’’ de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) pour une réforme plus approfondie de la coopération monétaire en Afrique de l’Ouest. Le rapporteur spécial sénateur (Union centriste) de l’Orne et son collègue sénateur (socialiste et républicain) de la Guadeloupe ont mis un grand bémol sur la communication des autorités françaises sur les réformes du franc CFA, estimant que ‘’la France a déjà perdu, sur le franc CFA, la bataille de l’image’’. Une erreur qu’ils conseillent au gouvernement de ne pas répéter sur la réforme.

‘’Certains, expliquent-ils, n’y voient qu’une arnaque politique ou la continuité d’une servitude monétaire, tandis que d’autres parlent d’avancée réelle ou de semi-révolution. Dans ce domaine, la communication est un élément stratégique dont les autorités et les institutions françaises doivent mieux tirer parti, au risque que le message de la réforme ne se dilue dans un contexte plus général de revendications à l’encontre de la France. La difficulté, et elle a été soulignée à juste titre par la Banque de France et le Trésor français, est que le discours français n’est souvent perçu que comme une défense par Paris de ses propres intérêts’’.

Une réforme pour taire les critiques

Mais quelles sont ces réformes ? Tel que dénoncé par de nombreux activistes, membres de la société civile, opposants politiques et économistes des pays membres de l’Uemoa (et au-delà), les sénateurs reconnaissent que ‘’la réforme ne revient toutefois pas sur deux aspects essentiels de la coopération monétaire : la parité fixe avec l’euro et la garantie de convertibilité’’.

En effet, les réformes annoncées le 21 décembre 2019 à Abidjan, en présence du président de la République française Emmanuel Macron, par le président ivoirien Alassane Ouattara (le changement du nom de la monnaie de l’Uemoa, franc CFA, en Eco ; la fin de la centralisation des réserves de change de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest auprès du Trésor français et donc la fermeture du compte d’opérations ; et le retrait de la France des instances de gouvernance dans lesquelles elle était présente) s’attachent avant tout, d’après les deux rapporteurs, ‘’à mettre fin aux aspects qui se sont avérés les plus critiqués’’ du franc CFA.

Ces points sont identifiés par Nathalie Goulet et Victorin Lurel comme ‘’le nom hérité de la colonisation, la présence française, source de toutes les rumeurs sur une ‘’ingérence française’’, la fin de la centralisation des réserves de change, accusée de servir de ‘’caisse secrète’’ à la France’’.

En attendant, ces changements prendront corps dans un nouvel accord de coopération monétaire, que le Parlement français devrait examiner d’ici la fin de l’année 2020. Une nouvelle convention de garantie sera également signée entre le ministère français de l’Economie et des Finances et la BCEAO.

Les sénateurs n’ont pas oublié d’évaluer le risque financier que constituera cette réforme du franc CFA, même si elle ne remet pas en cause certains paramètres fondamentaux de la coopération monétaire entre la France et l’Afrique de l’Ouest. Leurs conclusions est que la réforme en Afrique de l’Ouest se traduira, tout d’abord, par une petite économie pour la France : ‘’La fermeture du compte d’opérations entraine, en effet, avec elle, la fin des conditions avantageuses de rémunération pour les avoirs extérieurs nets déposés par la BCEAO auprès du Trésor, au titre de l’obligation de centralisation de 50 % de ses réserves de change. La France a versé 40,6 et 40,4 millions d’euros à la BCEAO en 2018 et en 2019, au titre de la rémunération de ses avoirs extérieurs nets.’’

La France va garder 40 millions d’euros (26 milliards de francs CFA) par an

Tout en mettant fin à la centralisation des réserves de change, le projet de nouvel accord de coopération monétaire maintient la garantie de convertibilité illimitée et inconditionnelle assurée par la France. Cet apparent ‘’décalage’’ s’explique, selon les sénateurs, par la mise en œuvre de nouveaux mécanismes de remontée d’information pour permettre à la France d’avoir de la visibilité et de piloter son risque financier. Et ‘’ces dispositifs seraient, en outre, plus souples et plus efficaces pour mesurer le niveau des réserves de change de la BCEAO et le risque d’appel en garantie. Ce n’est donc pas le maintien d’une ‘’mainmise’’ française, comme les rapporteurs ont pu l’entendre, mais la contrepartie de l’octroi de la garantie de convertibilité en l’absence de centralisation des réserves et de représentants français dans les instances techniques de la BCEAO (hors période de crise)’’, concluent-ils.

Nathalie Goulet et Victorin Lurel ont expliqué qu’entre une réforme qui serait d’abord symbolique et une autre plus profonde, avec la remise en cause de certains mécanismes de la Zone franc pour mieux les adapter à leurs fondamentaux économiques, les décideurs souverains des pays de l’Uemoa ont choisi la première option. ‘’Ils se sont attachés aux garanties que leur apporte la Zone franc, notamment en matière de stabilité macroéconomique et de convertibilité des devises’’.

Si on ajoute à cela la complexité que pose le géant nigérian dans la zone et plus généralement les pays anglophones sur l’ampleur des changements qui devraient être conduits sans trop déstabiliser les économies de la région (passage à un régime de change flexible, arrimage à un panier de devises), le défaut de convergence des pays, les sénateurs français doutent sérieusement de la mise en œuvre de l’Eco version CEDEAO.

Ils préviennent toutefois qu’à moyen et long terme, rien ne dit que la réforme du franc CFA ne constituera pas une première étape vers une remise en cause plus profonde des principes et mécanismes de la Zone franc (modification de la parité ou de l’arrimage).

En attendant d’y être, ils préconisent d’accompagner cette ‘’modernisation des accords de coopération monétaire’’.

Lamine Diouf

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