Publié le 7 Jan 2014 - 15:58
PILLAGE DES RESSOURCES HALIEUTIQUES

Entre impunités et magouilles 

 

A défaut de croire à une résolution définitive du pillage des ressources halieutiques du Sénégal, on peut espérer au moins mieux que ce qu’a été l’époque Wade/Khouraichi Thiam. Si ces derniers sont reconnus pour avoir organisé la surexploitation presque sans contrepartie de ce que les côtes sénégalaises ont comme produits de consommation, le régime de Macky Sall semble donner des gages quant à sa volonté de faire prévaloir les stricts intérêts économiques et financiers du Sénégal.

 

Le bateau russe arraisonné la semaine dernière par la Marine nationale a fait resurgir la question du pillage des ressources halieutiques par les chalutiers étrangers. Loin d’être un phénomène nouveau, cette exploitation abusive des ressources date de longtemps. Mais l’impunité qui lui était garantie jusque-là est surtout imputable aux autorités du régime libéral. Aujourd’hui, les nouveaux dirigeants font montre d'une volonté ferme de changement.

C’est du moins l’avis de Greenpeace et du Groupement des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal (Gaipes). «Les autorités ont compris les enjeux et elles ont mis les moyens», se réjouit Adama Lam, vice-président de Gaipes. «Il n’y a pas une volonté plus affichée que ce qui se passe», renchérit le chargé de campagne océan à Greenpeace Afrique, Ahmed Diamé.

En fait, il faut savoir que le Sénégal est un pays de grande consommation de poisson. Selon le rapport de Greenpeace Sénégal, sorti en 2012, les Sénégalais consomment environ 28 kg de poisson par personne et par an, «soit davantage que la moyenne de l’Union européenne et deux fois la moyenne des pays de la sous-région».

Les sardinelles appelées Yaboy en wolof, plus accessibles à la bourse des ménages, sont les plus utilisées, donc les plus commercialisées. De ce fait, le secteur de «la pêche artisanale fournit environ 60 000 emplois directs et contribue, directement et indirectement, à assurer un revenu à environ 600 000 personnes, soit un Sénégalais actif sur six», note le rapport susmentionné.

Ainsi, la zone allant de la péninsule du Cap-Vert à la Petite Côte, traditionnellement les principales zones de pêche artisanale, et aux frayères du Sine Saloum, est totalement interdite à ces chalutiers. Même les zones autorisées sont sujettes à des restrictions, puisque s’approcher des côtes est prohibé. Par là, la loi a conféré une certaine protection de la pêche pélagique artisanale par rapport à la pêche industrielle.

«Je m’en fous la loi»

Mais tout cet arsenal juridique n’empêche pas les gros bateaux étrangers de convoiter ces ‘’sanctuaires’’. Parmi ces navires, ceux appartenant aux Russes sont les plus remarqués. Viennent ensuite ceux de l’Europe de l’Est, notamment l’Ukraine, la Lituanie, et la Lettonie. L’Allemagne est également citée par le rapport de Greenpeace/Sénégal. «Ils sont des récidivistes, coutumiers des faits», relève M. Lam. La preuve en est que le bateau russe Oleg Neydenov a été arrêté en 2012 et figure depuis longtemps sur une liste noire des navires pilleurs.

2006-2012, années faste du pillage

Si ces bateaux ont toujours violé les côtes sénégalaises, ils n’ont jamais été aussi nombreux que durant les douze années de l’alternance, précisément entre 2006, date de la fin des accords avec l’Union européenne, et 2012 année de la chute du régime libéral. Avant l’ère des Libéraux, les socialistes ont géré ces ressources avec plus ou moins de satisfaction. Adama Lam indique qu’il y avait des navires étrangers certes, mais pas comme on en voit aujourd’hui.

Et les accords qui ont été signés l’ont été dans le respect de la loi. La seule fausse note a été ces fameuses licences de pêche destinées à avoir plus de ressources pour l’organisation de la coupe d’Afrique en 1992. Ces licences en question ont été cédées par Ousmane Tanor Dieng, alors considéré comme patron de la Présidence de la République et Homme fort du régime socialiste. «Nous les avions dénoncées à l’époque», précise M. Lam.

Accord-cadre

En fait, l’Etat du Sénégal a eu un accord-cadre de coopération en matière de pêche avec l’Union européenne. Il a été signé en 1980. En 2006, les négociations ont échoué. Ce qui fait qu’il n’existe plus de protocole, mais l’accord-cadre demeure. Autrement-dit, tout protocole bilatéral entre deux pays doit être dirigé par l’Union. Quant à la Russie, elle n’a aucun accord ou protocole avec le Sénégal. Les négociations débutées entre les deux parties n’ont pas abouti à cause du contexte préélectoral en 2012.

Par conséquent, il n’existe d’accord, ni avec les pays de l’Union européenne, ni avec la Russie. Il s’y ajoute que la loi ne permet nullement à un responsable de s’appuyer sur son autorité, pour signer des accords bilatéraux. Seuls deux cas d’accords sont prévus. Soit c’est une licence entrant «dans le cadre d’un Accord de pêche liant le Sénégal à l’État du Pavillon (ou organisation représentant cet État, telle que l’Union européenne, par  exemple)». Soit c’est un «affrètement par une personne de nationalité sénégalaise».

Khouraïchi Thiam, le parrain du pillage

Et c’est justement là que le régime libéral s’est montré hors-la-loi. En effet, en dépit du fait qu’il n’existe aucune autre possibilité que celle réglementaire, le ministre Khouraïchi Thiam a tout fait pour signer des accords illégaux, selon Greenpeace. Il a été cité dans le rapport de l'Ong comme le principal parrain du pillage des ressources halieutiques.

Selon le document, cet alors fidèle du président Abdoulaye Wade a paraphé, le 4 mars 2010, une série d’arrêtés définissant «les conditions d’exercice dans les eaux sous juridiction nationale» pour au moins quatre «navires pélagiques côtiers». Ce faisant, il a grandement fragilisé la résistance des acteurs concernés et des organisations de protection des ressources maritimes.

À la demande de son Premier ministre d'alors, Souleymane Ndéné Ndiaye, Thiam a initié des concertations avec les concernés. Ses propositions avaient été rejetées à l’unanimité, d’après Greenpeace. Mais, il ne s'est pas pour autant avoué vaincu.

L’Ong affirme que le ministre a contourné le Premier ministre, en allant chercher soutien auprès de Me Abdoulaye Wade qui a pris fait et cause pour lui. La suite se résume ainsi : «Dans les jours qui suivent l’intervention du président de la République, au moins 11 protocoles d’autorisation vont être signés par le ministre, au bénéfice de 4 «consignataires» qui servent d’intermédiaires pour le compte des armateurs de 21 chalutiers.» Ainsi, pouvait se poursuivre le pillage en règle.

Deux ans d'impuissance

Le ministre ne s’arrête pas là, puisqu’en fin 2011, il va tenter d’imposer un amendement à l’article 16 du Code de la pêche (1998), «afin de légaliser l’octroi discrétionnaire «d’autorisations temporaires de pêche». Cette tentative sera infructueuse, puisqu’il sera débouté par le Comité de Révision du Code Maritime. Malgré tout, son amendement a figuré dans la version finale du projet de Code maritime du 21 novembre, lequel code est resté en l’état pendant deux ans.

«Deux années durant, les pêcheurs sénégalais ont assisté, impuissants, au pillage de leurs ressources halieutiques par des chalutiers pélagiques géants, battant pavillon d’États industrialisés (Russie et pays est-européens) ou s’abritant derrière des pavillons de complaisance», s’indigne Greenpeace. Un pillage aux allures de bradage orchestré par le ministre, du fait des sommes très maigres (35 dollars) récoltées sur chaque tonne. Sans compter le fait que tout l’argent n’aurait pas atterri au Trésor public.

Aujourd’hui, tout n'est pas devenu rose, mais le pouvoir, à travers l'arraisonnement du bateau russe, semble décidé à mettre fin à la pratique, en y mettant la force, si nécessaire. Il avait promis, pendant la campagne électorale de l’élection présidentielle, de suspendre toutes les autorisations. La promesse a été tenue le 30 avril 2012, par le biais de son ministre Pape Diouf. Le nouveau patron de la Pêche Ali Haïdar a affiché la même détermination et se dit prêt à aller jusqu’au bout, malgré les pressions. De quoi mériter d'être soutenu en haut lieu.

Babacar WILLANE

 

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