Publié le 26 Jan 2017 - 21:22
PLACE DES INSTRUMENTISTES SENEGALAIS

Des stars méconnues par le grand public

 

Des dix bassistes africains choisis par le Magazine ‘’Forbes’’ parmi les guitaristes les plus influents du continent, Habib Faye est le seul Sénégalais sélectionné contre sept Camerounais choisis. Cela ne signifie pas que ces derniers sont les plus talentueux mais restent ceux qui ont pu s’imposer sur la scène musicale  locale puis internationale. Au Sénégal, les instrumentistes ont du mal à se faire connaître du grand public. Pourtant, ils devaient être les stars car toute la composition musicale repose généralement sur eux.

 

Habib Faye figure dans le top Ten des bassistes africains les plus influents. Il occupe la cinquième place du classement après naturellement Richard Bona qui est à la première place, Vicky Edimo, Jean Dikoto Mandengué et Bakiti Kumalo. Il arrive avec le célèbre Etienne Mbappé. Joint par EnQuête, l’ancien bassiste du Super Etoile se dit content et trouve que ‘’c’est très encourageant’’ pour lui et tous les instrumentistes sénégalais. Des encouragements, ces derniers en ont bien besoin. Car, ils sont souvent derrière les plus grands succès des chanteurs mais restent dans l’ombre. Le guitariste Jimmy Mbaye en est une belle illustration dans ‘’Birima’’ de Youssou Ndour. Toute la splendeur de ce titre est dans les cordes de sa guitare. Mais, comme d’habitude, le public n’en a que pour le lead vocal.

Si ailleurs, des instrumentistes ont su s’imposer, se faire connaître par le grand public et être leaders de leurs formations comme Carlos Santana, au Sénégal, ces musiciens peinent encore à y arriver.Quelques-uns d’entre eux sont arrivés à se faire connaître à l’image de Cheikh Tidiane Tall, Dembel Diop, Mbaye Dièye Faye, Jimmy Mbaye, Henry Guillabert, etc. Mais ils sont bien moins nombreux que les chanteurs connus. Ce qui s’explique, selon Habib Faye, par le fait que ‘’la chanson est quelque chose de populaire. Ici, la musique c’est le chant’’. Une logique sénégalaise. ‘’Dans d’autres logiques, les musiciens sont mis en avant’’, indique-t-il. C’est le cas chez les amoureux du jazz par exemple. Mais pour jouer le jeu, certains instrumentistes n’hésitent pas à pousser de la chansonnette. ‘’On essaie de chanter un peu’’, concède Habib Faye, pour mieux se faire connaître.

Ce qui est bien possible. Dans un entretien avec EnQuête, le trompettiste Jules Guèye reconnaissait : ‘’Au Sénégal il n’y a pas beaucoup d’instrumentistes leaders. Mais au Japon, en Afrique du Sud, en Europe, on en compte à la pelle. Ce sont des gens qui explosent sur la scène internationale. Ils font des thèmes, des improvisations, etc. et sont suivis par d’autres instrumentistes. C’est important que les instrumentistes sortent de ce petit panier dans lequel on les met. Parce qu’aussi, ce qu’on ne dit pas, c’est que la plupart des compositions musicales sont faites par des instrumentistes. Celui qui en profite, c’est le chanteur’’. Lui, il arrive à s’affranchir de ce diktat parce qu’il considère que la voix est comme la guitare, le piano ou tout autre instrument. ‘’La chanson n’est pas la dominante de ma musique. J’ai fait énormément de musique où il n’y a pas de voix. Juste des musiques instrumentales. Je ne donne pas la priorité à la voix. La voix est un instrument qu’on peut remplacer comme tout autre instrument’’, disait Jules Guèye dans ledit entretien.

L’exemple du Xalam 2, l’orchestra Baobab et Missal

Pianiste et par ailleurs président de l’Association de l’industrie musicale, (AIM) Zeynoul Sow affirme que ‘’ce sont les systèmes de formation musicales qui diffèrent’’. C’est ce qui explique que lui et ses pairs sénégalais sont souvent derrière les chanteurs. En effet, analyse-t-il, ‘’dans des groupes comme Xalam 2, l’orchestra Baobab ou encore Missal, ce sont les instrumentistes qui sont mis en avant parce que c’est le projet de tout un groupe. Quand on dit, par exemple, Youssou Ndour et le Super Etoile, même s’il y a d’excellents instrumentistes dans le Super Etoile, c’est Youssou Ndour qui est mis en avant parce que c’est son projet’’. Un avis que partage le journaliste culturel à Radio Sénégal international (RSI), Alioune Diop.

‘’C’est une question de mentalité. Les chanteurs sont toujours au-devant de la scène. Il n’y a que Lamine Faye, Jules Guèye et dans une moindre mesure Prosper Niang (Ndlr : feu Prosper Niang, ancien membre du groupe Xalam) qui sont arrivés à s’imposer comme leader de groupe. La formation des groupes repose sur une personne et les instrumentistes sont toujours derrière’’, analyse le journaliste de Radio Sénégal. Des explications de ce dernier, il ressort aussi que dans un groupe, c’est le leader vocal qui prend tous les risques, c’est-à-dire la prise en charge des répétitions, le financement de l’album et même les instruments de musique et la sonorisation en général. En sus de cela, c’est son nom qui est mis en avant. ‘’Les noms des groupes ont presque disparu au profit de ceux des leads vocaux’’, renchérit le manager d’artiste et producteur de spectacles Moustapha Goudiaby.

C’est dire donc que le modèle sénégalais est différent des autres modèles. Zeynoul Sow dit : ‘’Ailleurs, comme au Cameroun, des amis forment des quartets ou des quintets. Ils ont des endroits où jouer et c’est aussi leur chance pour percer’’. Par conséquent, il faudrait, selon Alioune Diop, ‘’changer l’aspect juridique des groupes’’. ‘’Cela pourrait peut-être aider à changer les choses’’, pense-t-il. Dans la même veine, il est pour plus de sorties sur le marché de ‘’plages instrumentales’’ comme le fait le trompettiste Jules Guèye. Car, considère le journaliste culturel, ‘’il y a plus de répertoire vocalisé’’.

Loin de toutes ces considérations, Jules Guèye estime qu’être leader relève de la volonté. Il l’avait dit dans le même entretien avec EnQuête. Pour lui, ‘’un orchestre est une petite société. Et quand on a une entreprise, il faut forcément qu’il y ait quelqu’un qui mène la barque. Etant instrumentiste, j’ai toujours cherché à voler de mes propres ailes. Quand tu dis que je suis artiste, on te demandera ce que tu as réalisé. Il faut que tu puisses présenter tes œuvres. Etre artiste, c’est être créatif. Si on crée normalement, on devient son propre leader’’. Aussi, cela permet à ce dernier d’avoir une certaine personnalité. ‘’Moi, j’ai toujours cherché à apporter quelque chose au milieu artistique, raison pour laquelle je crée des choses. Quand je le fais aussi, j’invite des gens. S’ils acceptent de venir jouer avec moi, je suis leader de cette production’’, défendait-il alors. Une position guidée par le fait qu’il  croit qu’il ‘’ne faut pas accepter d’être toujours suiviste pendant toute une carrière’’. C’est pourquoi il suggère à ses collègues ‘’de se démarquer, de chercher à être autonome et à être leader. Il faut montrer qu’on a les capacités de partir et de se faire seul’’. 

BIGUE BOB

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