Publié le 6 Aug 2015 - 08:56

PLUIE DE MILLIARDS SUR LE SENEGAL OU ILLUSIONS MONETAIRES ?

 

Le Président Macky Sall vient d’annoncer un volume de financement de trois cents milliards de FCFA (300) pour les universités, à la suite de montants avancés de plus neuf mille six cents (9600) milliards pour le PSE et de près  de trois milles milliards (3000) pour les régions intérieurs du Sénégal, soit en cumulé, cinq fois l’équivalent du budget  national actuel. Si les capacités d’autofinancement de l’état tournaient autour de cinq cents milliards de FCFA (500) avec une hypothèse haute, ce qui est lion d’être le cas pour un budget structurellement déficitaire, la réalisation des projets du PSE et des programmes pour les régions prendrait au moins vingt cinq années(25), nous ramenant à l’horizon 2040.

C’est dire que la seule alternative pour la mobilisation  des capitaux annoncés reste le recours systématique à l’extérieur dont les intentions ne correspondent pas  la plus part du temps aux décaissements à cause de multiples facteurs non maitrisables. En général, les taux de décaissements des montants annoncés se situent  autour de 40%, alors que les besoins continueront  de s’accumuler, en plus du fardeau de la dette renforçant d’avantage la dépendance et la vulnérabilité du Sénégal aux variations exogènes.

Il faut convenir que les ambitions sont grandes et traduisent la volonté de mieux faire que les prédécesseurs, tant au plan quantitatif par rapport à nos capacités internes d’absorption que du point de vue du temps de matérialisation. En Cote d’Ivoire où l’élection présidentielle aura lieu en Octobre 2015 pour un nouvel mandat de cinq ans, les volumes de financements annoncés sont répartis sur une période moins courte, soit sur deux mandats consécutifs.

‘’Populisme contreproductif à terme’’ 

Toutefois, la propension du président Macky Sall à insister d’avantage sur les aspects financiers au détriment des économiques pures  relatifs à la  pertinence du contenu des projets et programmes et de l’échelle des priorités cache un certain populisme contreproductif à terme ; Il ne s’agit pas de vouloir, mais, de pouvoir et, il s’agit surtout de se conformer à la satisfaction des aspirations prioritaires des populations dans les domaines de l’offre d’emploi, de la protection du pouvoir d’achat des consommateurs, de la fourniture convenable pour les besoins en énergie , de l’approvisionnement correct en eau potable des ménages et de l’amélioration de la compétitivité des entreprises sénégalaises pour un dynamisme vigoureux de l’économie sénégalaise.

Car, en insistant trop sur les considérations financières sans entreprendre réellement  des réformes tendant à modifier notre modèle de croissance économique et notre modèle de consommation et de comportement par le renversement des tendances défavorables, nous ne pourrions pas accomplir d’importants progrès. Au surplus, l’insuffisance de progrès véritables et  l’existence à terme d’écarts importants entre les réalisations des projets et programmes et les prévisions d’étapes associé à l’insatisfaction de la demande sociale produiront des effets pervers et seront explosifs. Loin de nous d’être des partisans du catastrophisme, cependant, nous essayons d’apporter notre point de vue à l’œuvre de construction nationale.

Précampagne électorale 

Il est vrai que la ligne de mire de toutes ces annonces financières qui s’accentuent de nos jours comme si on promettait une pluie de milliards sur le Sénégal tire son fondement sur une nouvelle offre politique de l’actuel régime en direction des prochaines échéances électorales. Une des raisons axiale qui justifie cette posture populiste plus encline aux aspects financiers par rapport à une vision plus économiste et réelle des problématiques  s’indexe sur la comparaison à tout bout de champ  des volumes de financement réalisés  dans les mêmes domaines par les prédécesseurs, sans pour autant prendre la précaution d’actualiser les montants comparatifs.

Nous pouvons dire que cette attitude est de bonne guerre dans une situation de précampagne électorale  avec les risques que cela pourrait induire en utilisant à outrance le populisme politico  mercantiliste peu viable à terme ; Toutefois, il convient de rétablir la vérité des chiffres par l’actualisation des montants en tenant compte de l’évolution du niveau général des prix, des changements de parité et des taux d’intérêts, c'est-à-dire de la valeur contextuelle de l’argent.

Par exemple sur l’allocation de trois cents milliards annoncés pour investir dans les universités en s’adressant à la communauté universitaire, le président Macky Sall déclare :   « Soyez sûrs que nous serons à vos côtés  pour faire ce qui n’a jamais été fait dans ce pays. En cinq ans, nous injectons 300 milliards, c’est le double de ce qui a été fait de l’indépendance à nos jours en matière d’investissement, nous ne sommes pas  dans les mêmes échelles, ce sont de nouveaux paradigmes que vous êtes en train de vivre ».

Nous ne pouvons pas rester indifférent devant une telle déclaration qui, outre mesure, serait tout à fait autre chose si nous intégrons dans l’analyse l’actualisation des montants comparatifs qui rendent compte des réalités tangibles à proprement parlé. En effet, nous ne pouvons pas comparer dans l’absolu des montants financiers dans le temps surtout quand les périodes sont assez éloignées (depuis l’indépendance). Par exemple, 30 milliards de FCFA  en 1970, soit avant le quadruplement des prix du pétrole en 1974 et le changement de parité intervenu en 1994 valent, aujourd’hui, près de 300 milliards de FCFA, si on intègre les données paramétriques évolutives : A l’indépendance du Sénégal, le budget national était de 50 milliards de FCFA pour une population de 3 millions d’habitants et en 1970, le prix du litre d’essence était de 60 FCFA et la tonne de ciment à 10 000FCFA. Aujourd’hui, le budget du Sénégal avoisine les 2500 milliards de FCFA pour une population de 14 millions d’âmes et la tonne de ciment à près de 60 000 milles FCFA  et  le litre d’essence à  795 FCFA  le litre pour ne donner que ces exemples.

Il s’y ajoute que le Sénégal fait partie des pays  où la croissance démographique est l’une des plus élevées au monde alors que les offres d’éducation, de formation et d’emploi n’évoluent dans le même tempo, complexifiant d’avantage les défis à relever de nos gouvernants. La crise structurelle dans les secteurs de l’éducation, la formation, l’emploi par rapport aux demandes sociales en sont des reflets éloquents.

Nous ne pensons pas, quelque soit les circonstances  qu’il faille minimiser les efforts historiques des précurseurs qui joué des rôles fondateurs, à la limite révolutionnaire, pour simplement des considérations électoralistes ; tout au contraire, ce serait prendre de la hauteur que de magnifier les efforts des prédécesseurs qui ont vécu dans des conditions plus difficiles, depuis  les résistances à la colonisation, la lutte pour les indépendances nationales, la construction de l’état et de la nation , l’intégration économique africaine, la promotion de l’éducation , de la formation et de l’emploi.

Bien sûr, comme le dit si bien  le président de la République, les contextes changent, induisant des changements de paradigmes ; Si bien que les problématiques deviennent de plus en plus ardues devant les nombreux défis qui nous interpellent et qui exigent  une mobilisation générale de tous les sénégalais quelque soit les bords dans le chemin qui nous réunit, du développement et de la cohésion nationale, de la lutte contre les menaces qui nous guettent du changement climatique et du terrorisme.

Nous gagnerions à opérer de profondes réformes économiques et institutionnelles indispensables sans les lesquelles, notre marche vers le progrès sera lente, en dépit des nombreux efforts fournis, comme si on mettait de l’eau dans un vase truffé de trous, sans au préalable prendre la précaution de les boucher.

Kadialy GASSAMA, Economiste

Rue Faidherbe X Pierre Verger

Rufisque

 

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