Publié le 29 Jun 2016 - 03:18
PLUS LOIN AVEC…. JEAN LEOPOLD GUEYE, SYNDICAT NATIONAL DES CONVOYEURS DE FONDS ET AGENTS DE SECURITE

« Le business de la sécurité est alimenté par le marché de la peur, renforcé par le terrorisme »

 

Se faisant le porte-voix des professionnels de la sécurité privée, Jean Léopold Guèye du Syndicat national des convoyeurs de fonds et agents de sécurité reconnaît que le secteur de la sécurité privée est devenu « un véritable business, alimenté par le marché de la peur ». M. Guèye dresse un tableau pas tout à fait reluisant du secteur. A l’en croire, il est temps que l’Etat prenne des dispositions pour le réguler.

 

Pouvez-vous faire l’historique des métiers de la sécurité privée au Sénégal ?

Au Sénégal, la première société de gardiennage est l’Agence de sécurité Africaine (Asa). Elle a été créée en 1963. Ce n’est qu’en 1978 que la loi N° 78-40 a permis la création de sociétés de sécurité privée de gardiennage et escorte de biens et de valeurs. Dans notre secteur, il faut reconnaître que les GIE ne peuvent faire que du gardiennage. Elles peuvent également faire du convoyage de fonds. Elles offrent d’autres prestations, comme la télé surveillance, le contrôle de documents aéroportuaires. Elles interviennent aussi dans la sécurité incendie, le contrôle d’accès, la sécurité rapprochée, etc.

Quels sont les enjeux de ce secteur qui est en plein essor ?

Comme partout, la sécurité privée est une activité transversale qui est en perpétuelle croissance. Dans un cadre marqué par la lutte contre le terrorisme, si elle est associée aux initiatives publiques en matière de sécurité, elle peut jouer un rôle de premier plan. En toute modestie, on peut dire que la sécurité privée sécurise toute l’économie nationale, puisqu’aucune structure du tissu socioéconomique ne peut fonctionner sans notre apport. Même de façon informelle. D’ailleurs, l’article 185 du Code du Travail fait obligation à toute entreprise de mettre en place un service interne de sécurité. La sécurité privée constitue une formidable niche d’emplois. Elle garantit, en plus, la pérennité des entreprises créatrices de richesses et par ricochet des emplois. 

Quelle lecture faites-vous du foisonnement d’agents et d’agences de sécurité privée au Sénégal ?

L’augmentation de sociétés de sécurité privée et par conséquent d’agents est une chose normale et surtout souhaitable. Elle témoigne de la création d’entreprises qu’il faut sécuriser et pérenniser. En plus, elle permet d’absorber un flux de 3 000 jeunes militaires qui sont libérés par l’Armée. Toutefois, il faut déplorer le fait que ce développement se fasse dans l’anarchie, l’illégalité, mais surtout l’exploitation des agents obligés de se plier aux diktats des promoteurs pour faire vivre leurs familles. Parallèlement à ce développement anarchique, il y a un manque de considération pour le travail d’agent de sécurité. C’est que les conditions de création d’une société de sécurité privée sont très rarement respectées. Malheureusement, l’Etat laisse faire.

Est-ce que les agents de sécurité sont mis dans de bonnes conditions de travail ?

Les conditions de travail ne suivent pas du tout et rien n’est fait pour mettre les agents de sécurité dans des conditions meilleures. Généralement, le salaire des agents est en deçà du Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig). Ils ne bénéficient ni de sécurité sociale, ni de congés payés. En service, ils sont, pour la grande majorité, dépourvus de moyens de défense. En outre, ils souffrent d’un manque de respect et de considération de  la part du public et du patronat. Dans certains lieux de travail, on leur refuse même l’accès aux toilettes. C’est dire que les agents de sécurité peuvent être parfois dans des conditions indicibles. 

Aujourd’hui, plus que jamais, le secteur semble être marqué par le business…

Elle a toujours été une affaire de business, d’où la cupidité des patrons qui font tout pour engranger le maximum de profit sur le dos des travailleurs. La preuve, une société de la place fait plus de 10 milliards F Cfa de chiffre d’affaires, avec ses filiales au Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Bénin Cameroun, Burundi, etc. il y a deux autres sociétés qui ne sont pas loin derrière. Ce business est alimenté par le marché de la peur, renforcé le terrorisme qu’on veut nous imposer et qui doit être géré, dans le cadre de la lutte contre la délinquance en général.    

Quels sont les métiers de la sécurité privée au Sénégal ?

Nous ne disposons pas d’informations précises sur la répartition des métiers de la sécurité privée qui, disons-le, suivent l’évolution du développement. Mais, du fait de sa transversalité, la sécurité privée voit ses métiers se développer (convoyeurs de fonds, maîtres-chiens, superviseurs, contrôleurs, agents de sûreté, télésurveillance, sécurité rapprochée, etc.)

Y-a-t-il des normes qui régissent la pratique de cette profession ?

Aujourd’hui, la sécurité privée est logée dans la Convention collective du commerce où elle n’a rien à faire. Il n’y a aucune norme qui régit la profession, d’où l’anarchie que nous dénonçons. Le processus de mise en place d’une Convention propre à la sécurité privée est en cours. Celle-ci devra mettre en place des normes  qui encadreront l’activité.

Vous est-il possible, dans cette profession, d’avoir un plan de carrière ?

Il est bien possible d’avoir un plan de carrière dans le secteur. D’ailleurs, c’est mentionné dans la nouvelle Convention collective proposée, avec la diversité des domaines d’invention.

Quelles conditions faut-il remplir pour être agents de sécurité privée ?

Pour le moment, les conditions pour être agent de sécurité privée dépendent de l’entreprise qui recrute. D’où les dysfonctionnements et dérives observés très souvent. Il y a parfois un manque de professionnalisme qui découle d’une absence de critères de recrutement et de formation adaptée à l’exercice de ces métiers dans le contexte de notre société. Nous proposons que des critères puissent être mis en place et que désormais, pour pouvoir exercer le métier, il faille disposer obligatoirement d’une carte professionnelle délivrée par le ministère de l’Intérieur, après avoir subi une formation et satisfait aux évaluations. L’agent devra obtenir un diplôme qui garantira son aptitude à exercer un emploi d’agent de sécurité. Il devra également avoir subi une formation poussée en secourisme, sauvetage en mer, et en sécurité incendie.

Hormis ceux qui évoluent dans les agences, il y a également tous ces hommes corpulents qui sont aussi appelés agents de sécurité et faisant surtout de la garde rapprochée ou officiant dans les hôtels. Qu’en pensez-vous ?

C’est une des manifestations de l’anarchie qui règne dans ce secteur où chacun fait ce qu’il veut et cherche la facilité. 

N’est-il pas nécessaire d’assainir votre milieu alors ?

L’assainissement est une urgence et c’est le but de la Convention que nous voulons mettre en place.

Avez-vous sollicité l’Etat pour une amélioration de votre situation ?

Le démarrage dans les meilleurs délais des discussions entre le patronat et les syndicats pour l’adoption d’une Convention collective des métiers de la sécurité privée est une demande que nous avons. Mais, surtout la mise sur pied d’un Organe de surveillance et de contrôle des activités de la sécurité privée qui aura en charge tout le processus : de la demande d’agrément au retrait de l’agrément pour les patrons véreux, en passant par la délivrance des cartes professionnelles, le contrôle des centres et écoles de formation, l’interdiction de licenciement d’un agent de sécurité sans l’autorisation de l’inspection du travail.

Nous demandons que les agents de sécurité soient représentés au niveau des Chambres sociales de la Cour d’appel et de la Cour suprême, en tant qu’assesseurs. Cela permettra de minimiser certaines injustices dont sont souvent victimes nos membres. Nous allons d’ailleurs déposer une plainte auprès de l’Ofnac contre ces juridictions qui portent préjudice aux travailleurs de la sécurité privée.

Quels sont les principaux défis de votre secteur?

Nous voulons contribuer davantage à l’offre de sécurisation des biens et des personnes et surtout des structures de création d’emplois et de richesse, car la sécurité privée a, entre ses mains, la responsabilité de l’économie nationale. D’où la nécessité de mettre en place des critères de recrutement et des formations diplômantes rigoureuses. La structure de surveillance et de contrôle veillera à cela. Elle fixera surtout un prix plancher à partir duquel on pourra s’attacher les services d’une société de sécurité privée. La concurrence devra se faire à partir de ce prix qui sera calculé en fonction des charges moyennes des entreprises de sécurité pour permettre une concurrence loyale. Aujourd’hui, une société peut demander 700 F Cfa l’heure de gardiennage, alors qu’une autre peut demander 350 F Cfa.

Il faut sensibiliser les agents de sécurité sur la noblesse de leur travail, et refuser l’esclavage dans lequel on veut les soumettre, faire accepter la liberté syndicale au patronat du secteur. Il faut refuser que la sécurité privée soit le nid de la corruption, de l’injustice et de l’illégalité. Il faut aussi débarrasser le secteur des syndicats laxistes ou corrompus, ainsi que des patrons véreux surtout les anciens des forces de défense et de sécurité reconvertis dans ce secteur et qui malheureusement bafouent les lois et règlements, juste pour se remplir les poches.

A.T

 

Section: