Publié le 29 May 2020 - 00:56
POLEMIQUE AUTOUR DE LA CHLOROQUINE

Dr Idrissa Talla, entre incertitudes et lassitude

 

Aussi passionnant que divergent, le débat sur la chloroquine, qui refuse de connaitre son épilogue, éclipse bien des sujets d’importance et indispose pas mal de scientifiques.

 
 
Il ne faut pas compter sur le Sénégal pour brûler la chloroquine ou son dérivé l’hydroxychloroquine. Jusque-là, ce ne semble pas dans les schémas du ministère de la Santé et de l’Action sociale, dirigé par Abdoulaye Diouf Sarr. Mais, dans le landerneau scientifique, la controverse est à son comble, entre pro et anti chloroquine.
 
Loin de la polémique, le docteur Idrissa Talla, épidémiologiste, estime que la publication de l'article paru dans '’The Lancet'' n’est pas aussi surprenante. ‘’Tout le monde a vu venir’’, fait-il remarquer, avant de préciser : ‘’Il faut savoir que les utilisateurs de la chloroquine ont été motivés par le respect de l'éthique qui les oblige à donner le maximum de chances aux patients sur la base d'observations favorables qu’ils ont faites. Par contre, ce qui est un peu regrettable, c'est qu'ils n'aient pas mis à profit la période de ''polémique'' qui a entouré leur pratique pour conduire un véritable essai clinique sur l'efficacité de la chloroquine dans le traitement de la Covid-19.’’ Résultat, soutient l’épidémiologiste, eux-mêmes (les utilisateurs de la chloroquine) ont reconnu, dans tous les entretiens qui ont été diffusés, la limite de leur choix que traduit l'absence d'une étude interventionnelle qui comporterait un groupe témoin.
 
Face à la vaste étude réalisée par l’équipe de Mandeep Merah suivie de la décision de l’Organisation mondiale de la santé, il craint quant à l’avenir de la chloroquine et de son dérivé dans la prise en charge de la Covid-19. ‘’La plupart des Etats vont respecter l’'interdiction de l'utilisation de cette molécule, alors qu'il aurait été intéressant quand même de faire cet essai clinique qui serait adaptatif pour respecter les droits des sujets sous étude ; mais qui confirmerait l'efficacité de la chloroquine et son dérivé l'hydroxychloroquine ou alors tout simplement l'infirmer et clore le débat’’.
 
Une telle démarche, renseigne-t-il, aurait pu permettre ‘’de démontrer l’existence d’un bénéfice que le médicament peut apporter en termes de guérison pour le groupe de malades qui prend le traitement, comparé au résultat enregistré dans le groupe témoin qui n'aura pas reçu le traitement’’.
 
Sujets intéressants occultés
 
Revenant sur l’étude de ‘’The Lancet’’, il explique que les résultats publiés par Merah et son équipe l'ont été à la faveur d'une méta-analyse, donc mettant ensemble des données collectées à partir de plusieurs études à travers le monde. ‘’Ceci a bien sûr l'avantage de donner des indications sur le bénéfice et les inconvénients de l'utilisation de la chloroquine dans le traitement de la Covid-19. Cependant, l'étude ne peut, en aucun cas, prétendre apporter une preuve formelle de l'absence de bénéfice pour cette molécule dans le traitement’’.
 
S’y ajoute, d’après lui, le déficit d'informations sur les plans d'études utilisés ainsi que les critères d'évaluation pour apprécier leurs similitudes ou différences en vue d’une comparabilité. ‘’Par conséquent, il faut retenir que cette analyse tire seulement la sonnette d'alarme’’, fait-il remarquer.
 
Dans tous les cas, le Dr Idrissa Talla espère un dénouement prochain de la controverse qui n’a que trop duré et qui relègue à l’arrière-plan des sujets tout aussi intéressants, notamment la recherche d’un vaccin. ‘’La question qui se pose maintenant est quels autres protocoles thérapeutiques - ils sont assez nombreux du reste, mais presque aussi inefficaces les uns les autres - seront adoptés et sur quelles bases ? Il s'agit simplement de voir le bilan macabre qui a été fait à travers le monde’’.
 
Malheureusement, insiste le Dr Talla, le débat tel que c’est posé occulte des informations d'égale importance, notamment la publication de l'existence d'une immunité acquise au cours de l'infection par le virus. ‘’Les résultats d’une étude française qui viennent d'être publiés sur le sujet se révèlent extrêmement intéressants. Des personnes légèrement infectées ont synthétisé des anticorps neutralisants (protecteurs). Ce qui suscite un grand espoir quant à la recherche d'un vaccin efficace. Naturellement, la durée de la protection est sous étude et n’est pas encore connue’’, souligne l’ancien directeur de la Lutte contre la maladie.
 
MOR AMAR

 

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