Publié le 15 Oct 2019 - 20:21
POLITIQUE

Macky Sall, l’art de construire le consensus

 

Comme il en a été fait le reproche à un certain Amadou Toumani Touré au Mali, le président de la République Macky Sall, depuis 2012, s’est illustré dans l’art de mobiliser toutes les forces politiques autour de son projet politique et de casser de l’opposant radical.

 

Chaque Sénégalais a un prix. Cette allégation - juste ou fausse - de la croyance populaire sénégalaise, mérite plus que jamais l’attention. Pour certains, c’est Abdoulaye Wade lui-même qui en serait l’auteur originel. L’élève Macky Sall semble, en tout cas, l’avoir compris et bien assimilé. Depuis 2012, son système de gouvernance est assis sur la mise en place de consensus le plus large possible. Il l’a réussi le long de son premier mandat, avec la coalition Benno Bokk Yaakaar, une machine de guerre rarement, pour ne pas dire jamais mise en place sous nos cieux par une majorité présidentielle, depuis les balbutiements de la démocratie à la fin des années 1970 - début 1981 avec le multipartisme.

Une prouesse ici analysée par le professeur Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis : ‘’C’est parce qu’il a été un fin stratège, un bon équilibriste entre les différents groupes qui composent Benno Bokk Yaakaar. Macky Sall a aussi su profiter du contexte. Je pense que c’est la raison pour laquelle sa coalition a aussi duré. Ce n’était pas évident de réunir de fortes personnalités comme feu Ousmane Tanor Dieng, feu Amath Dansokho ou Moustapha Niasse dans une même structure. Ce qu’il a réussi à faire avec brio, contrairement à son prédécesseur Abdoulaye Wade.’’

Ce dernier, en effet, était arrivé au pouvoir en 2000 avec une large coalition. Mais très vite, celle-ci s’était disloquée à cause de contradictions profondes entre les alliés. Ainsi, le président Sall réussit là où son ex-mentor avait échoué. Ses forces, c’est surtout sa souplesse, son calme et sa froideur, si l’on en croit le politologue. Il explique : ‘’Macky est beaucoup plus souple que quelqu’un comme Abdoulaye Wade qui avait un tempérament diamétralement opposé. Wade prend des décisions de façon plus épidermique par rapport à un comportement. Ce qui n’est pas le cas de Macky qui a l’air plus posé, plus serein et qui prend ses distances pour analyser d’abord la situation avant de sévir. On ne l’a jamais vu, par exemple, se séparer comme ça d’un ministre sur un coup de tête.’’

Aussi, même quand il prend des décisions, il est capable de revenir dessus et de continuer la vie et le compagnonnage, comme si de rien n’était. ‘’On l’a vu limoger des gens aujourd’hui et les reprendre dès le lendemain. Wade est d’un autre tempérament. Il est plus rigide par rapport à certains comportements. Quand il mord quelque chose, il ne lâche pas facilement’’.

La fin justifie les moyens

Dans la stratégie Sall, seule la fin semble justifier les moyens. Durant le premier mandat, elle était plus ou moins claire. Pour gouverner dans la paix et la stabilité, il fallait réunir, quel qu’en soit le prix, tout le monde autour de son projet politique. A l’époque, les adversaires les plus sérieux et irréductibles en ont payé de leur liberté et de leurs ambitions.

Aujourd’hui, la question qui peut se poser est qu’est-ce qui peut bien faire courir le président de la République, vu qu’il en est à son dernier mandat ? ‘’Normalement’’, s’empresse d’ajouter le Pr. Diaw qui ajoute : ‘’On ne sait jamais. Tant qu’il n’a pas terminé son mandat, on ne peut rien dire. Nous sommes en Afrique. Rien n’est exclu. Les hommes politiques saisissent les opportunités qui s’offrent à eux ainsi que les contextes. Aussi, ils assurent leurs arrière-gardes.’’

En tout cas, actuellement, toute la machine religio-politique semble être mise en branle pour apaiser le plus possible l’espace public. D’abord, dès le lendemain de sa brillante réélection, le président Sall a tendu la main à l’opposition. Toutes les forces de cette opposition, même celles que l’on croyait les plus hostiles, ont fini par répondre. Parmi eux, il y a le leader de Rewmi Idrissa Seck et tout le Front de résistance nationale (Frn), ainsi qu’une bonne partie du Parti démocratique sénégalais. Jusque-là, seul Abdoulaye Wade et les libéraux du Pds jouaient aux saboteurs et donnaient au dialogue un goût mi-figue, mi-raisin.

D’ailleurs, jusque-là, aucun jalon n’a été posé dans le cadre du dialogue national, hormis sa sous-composante politique. Famara Ibrahima Sagna aura-t-il le feu vert, après les retrouvailles entre le père et le fils putatif ? Les prochains jours vont être édifiants. Dans nos précédentes éditions, des acteurs clés du dialogue signalaient, avec insistance, sans en donner des preuves, des velléités de mise en place d’un Gor (Gouvernement d’ouverture et de rassemblement) pour la mise en œuvre des consensus qui vont découler de ces larges concertations.

Ce qui est sûr, c’est que, selon Moussa Diaw, ‘’rien ne justifie la mise en place d’un gouvernement d’ouverture, car il n’y a pas de crise politique au Sénégal. La majorité doit continuer à gouverner, l’opposition à s’opposer’’.

Nouveau coup à l’opposition

Quoi qu’il en soit, avec son rapprochement avec son ex-maitre, Macky Sall a désormais la pièce qui manquait à son puzzle. Comme lors de son premier mandat, il réussit à porter un coup dur à l’opposition. Mais il ne faudrait pas chanter les retrouvailles trop vite. Le rapprochement entre le pouvoir et le Pds cache encore bien des non-dits. Ce qui est évident, c’est que les deux forces en présence en avaient grandement besoin. Le professeur affirme : ‘’Derrière, il y a des enjeux politiques considérables. Pour le président, il faut apaiser le climat économique et social tendu. Il faut rappeler qu’il était de plus en plus interpellé sur plusieurs fronts. Il y a aussi la pression des institutions internationales qui exigent certaines réformes : rationalisation des dépenses, réduction des subventions, vérité des prix… Lesquelles ne manqueront pas de provoquer le mécontentement populaire. Tout ça fait qu’il a besoin d’apaisement et c’est pourquoi il est en train de donner des gages.’’

 Pour Wade, il s’est surtout agi de défendre ses intérêts que plus personne n’ignore. ‘’Il fera tout pour que son héritier puisse retourner au bercail et jouer le rôle qu’il veut lui faire jouer dans l’espace politique’’, analyse M. Diaw.

Chez Macky Sall, la fin semble justifier les moyens. Usant de tous les leviers pour rallier le maximum à sa cause, il n’hésite pas à déployer la grosse artillerie pour casser ses adversaires. C’est d’ailleurs pourquoi d’aucuns craignent fort pour le sort de quelqu’un comme Ousmane Sonko, devenu un des adversaires les plus gênants. Si ce n’est le plus gênant, du fait de l’absence d’Idrissa Seck de la scène publique et de l’affaiblissement de Khalifa Ababacar Sall. ‘’C’est évident qu’il y a des velléités de neutralisation politique des adversaires les plus gênants. Le rapprochement entre Wade et le pouvoir peut jouer en défaveur, au détriment de Sonko. L’ancien président est en train de chercher une place à son fils. Et tout devient possible dans cette optique’’.

Quid des ex-alliés de la gauche et des socialistes ? Le professeur constate qu’aujourd’hui, le contexte a changé. ‘’Il n’a plus, dit-il, à craindre les tendances ou les ruptures, puisque c’est normalement son dernier mandat. Il n’empêche, jusque-là, il réussit à réunir tout le monde autour de ses décisions. Il faut aussi retenir que s’il a pu faire tout ça, c’est parce qu’aujourd’hui les jeux d’intérêts priment sur l’idéologie’’. Parce qu’il détient encore tous les privilèges, il a ainsi mainmise sur les destins des uns et des autres. ‘’Il est plus que jamais renforcé dans sa posture de seul maitre du jeu’’, conclut le professeur.

MOR AMAR

 

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