Publié le 4 Jan 2020 - 00:18
PR AHMADOU ALY MBAYE (ÉCONOMISTE) SUR LA RÉFORME DU FRANC CFA

 “Si les agents économiques perdent confiance, ils cherchent souvent à déplacer leurs actifs’’

 

Depuis l’annonce par Alassane Ouattara, le 21 décembre dernier en Côte d’Ivoire, de la réforme du franc CFA et son remplacement par l’Eco en 2020, des spéculations vont de bon train. Dans cette interview accordée à EnQuête, l’économiste Aly Mbaye, Professeur à la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’Ucad, revient sur certaines notions et soutient que tant que l’accord détaillé entre la France et les pays africains n’est pas dévoilé, il sera difficile de se prononcer sur certaines questions.

 

Depuis l’annonce de la réforme du franc CFA, beaucoup de spéculations sont faites notamment par rapport à la parité fixe de la monnaie. Concrètement que signifie cette parité fixe ?

On parle de parité fixe, lorsque la valeur d’une monnaie est définie de façon fixe par rapport à un étalon. L’étalon en question peut être une autre monnaie forte comme le Dollar ou l’Euro. L’étalon peut aussi être un panier de monnaie, l’or. Mais, dans un système de parité fixe, le gouvernement ou la Banque centrale en particulier, ne laisse pas les forces du marché déterminer la valeur de la monnaie. Alors que dans un système de change flottant, le gouvernement n’intervient pas. Il laisse les forces du marché, que sont l’offre et la demande de monnaie, déterminer le prix de la monnaie. Il faut comprendre que la plupart des pays du monde utilise un système de parité encadré. C’est-à-dire, on fixe le prix de la monnaie par rapport à l’étalon et on permet des variations taux de change, donc, du prix de la monnaie dans des limites tolérables. Et si la monnaie tend à diverger, le taux de change tend à diverger par rapport à sa valeur, la Banque centrale intervient pour racheter sa monnaie. Ceci, pour éviter que la valeur de la monnaie ne tombe.

Alors, un système de parité fixe a beaucoup d’avantages, mais aussi, d’inconvénients. Comme le système de change fixe a des avantages et des inconvénients, le système de change flottant a aussi des avantages et des inconvénients. Quand, il y a un régime de change flottant, par exemple, lorsque le prix de la monnaie tombe, lorsque les gens se débarrassent de la monnaie nationale, et sa valeur tombe, cela signifie que les importations vont être beaucoup plus chères. Et, les exportations vont être moins chères. Ce qui va permettre aux pays de vendre à l’extérieur. Pour les régimes de change fixe, on a l’inverse. Si la monnaie est très forte, surévaluée, cela incite les gens à importer. Et, les exportateurs, par contre, sont lésés. Il n’y a pas un système idéal. Chaque système a ses avantages et ses inconvénients. Maintenant, chaque pays regarde ses objectifs de politiques économiques et sa situation et opte pour un système donné. Mais, quand il y a un groupe de pays, il sera plus difficile, car il faut trouver un régime qui arrange tout le monde. Ce qui n’est pas facile.

Pour l’instant, selon l’annonce faite par le Président ivoirien, le taux change fixe du franc CFA par rapport à l’Euro sera maintenu avec l’Eco. Que faut-il comprendre par-là ?  

D’après ce qu’on en sait, le taux de change fixe Eco-Euro, va être le même que le taux de change fixe Euro-CFA. Mais, il faut savoir que ceci, c’est le taux de change officiel. Cela n’a rien à voir avec le taux de change réel. C’est-à-dire, tout qui va découler de l’offre et de la demande de monnaie. Le gouvernement peut dire que l’Euro va être échangé à 655 francs CFA. Mais, le marché peut en décider autrement. Si par exemple, les agents économiques perdent confiance dans la monnaie, que tout le monde veille se débarrasser de ses Eco, la valeur de la monnaie va tomber. A moins que le gouvernement, à travers la Banque centrale, ne puisse injecter beaucoup d’Euro sur le marché pour acheter les Eco. Il faut comprendre que c’est une question d’offre et de demande.

Si on prend le prix de n’importe quel bien, le gouvernement peut le fixer, mais cela va être très difficile de l’imposer aux agents économiques. Souvent, le prix dépend de l’offre et de la demande. Et cela peut ne pas coïncider avec ce que le gouvernement voulait et, pour le cas de la monnaie, c’est la même chose. Le taux de change, c’est le prix d’une monnaie par rapport à une autre monnaie. Si le gouvernement dit que l’Euro va s’échanger contre 655 Eco, mais que les consommateurs n’ont pas confiance à l’Eco, les gens vont essayer de déplacer leur argent, au lieu de la garder en Eco, ils vont vouloir le faire en Euro. Et si tout le monde fait cela, en même temps, la valeur de l’Eco par rapport à l’Euro va tomber. Et, le taux de change qu’on va avoir n’aura rien à voir avec le taux de change officiel.

Et quand on dit que la garantie de convertibilité illimitée de la monnaie par la France est aussi maintenue, qu’est-ce qu’on peut en retenir ?

On ne saura pas tous les contours de l’accord, tant qu’on n’aura pas vu l’accord détaillé. Tout ce qu’on a c’est juste un communiqué, spécifié de façon lapidaire, sur les points de l’accord. Mais, l’accord en tant que tel, il faut qu’on le voit pour en connaître tous les détails. Parce que, comme on le dit souvent, le diable est dans les détails. Pour la garantie de convertibilité, on va voir ce que cela signifie. Quelles vont en être les modalités ? Dans l’ancien système, on connaissait les modalités. Les pays déposent une partie de leurs réserves au niveau du Trésor français. Les modalités aussi étaient que les pays centralisent leurs réserves de change et que la solidarité joue entre les pays. Ce qu’on n’a pas encore avec le nouveau système. On ne sait pas encore quels vont être les contours de cette garantie de convertibilité.

Quels impacts peut avoir la fermeture du compte d’opérations sur les économies concernées ?

Tout dépend de ce qu’on veut faire. Il y a un système qui existait et qui n’existe plus. Maintenant, qu’est-ce qui va se passer ? Est-ce que les pays vont sortir en même temps de façon groupée, en conservant par exemple le même mécanisme de solidarité ? Ce n’est pas garanti. Avant, tout le monde sait qu’il y a certains pays qui ne mettaient que trop de réserves dans la cagnotte et se faisaient tirer par les autres comme la Côte d’Ivoire en particulier. Est-ce que ces pays qui se faisaient tirer par les autres continueront à faire, à quelles conditions ? Tout cela, on ne sait pas. Il y a beaucoup de zones d’incertitudes encore. Je crois qu’on aura encore besoin d’attendre un peu temps pour en savoir plus.

Certaines personnes craignent la dévaluation du francs CFA, avec ces réformes…

C’est une possibilité. Parce qu’on avait un système qui inspirait confiance. Tout dépendra maintenant de comment est-ce que les gouvernements vont garder cette confiance intacte. La monnaie c’est juste du papier. Selon que ce papier inspire ou non confiance, la réaction des agents économiques n’est pas la même. Si les agents économiques perdent confiance, ils cherchent souvent à déplacer leurs actifs. Il y a deux choses avec lesquels les gens ne s’amusent pas. La première, c’est leur santé et la deuxième leur richesse. Quand on a gagné sa richesse à la sueur de son front, on ne va pas accepter que la valeur de cette richesse tombe, pour des considérations qui nous échappent. On a beaucoup d’expériences de pays concernant la gestion monétaire. A chaque fois que la confiance est tombée, les gens se sont débarrassés de la monnaie nationale. C’est le cas actuellement au Libéria. Au Libéria, on en est arrivé à un point où, si on veut payer ses impôts en monnaie locale, le gouvernement refuse. Si on veut payer ses impôts au Libéria, on le fait en dollars. Il y a beaucoup de pays qui fonctionnent comme ça. Donc, si la confiance est maintenue, il n’y a pas de souci. Mais, il faut la maintenir.

Comment y parvenir ?

Il faut avoir une Banque centrale automne. Si on a une Banque centrale aux ordres, à chaque fois que le gouvernement a des problèmes d’argent, il va demander à ce que la Banque centrale imprime des billets. Et la valeur de la monnaie va tomber. C’est ce qu’il faut éviter. Dans tous les pays ; que ce soit en Europe, aux Etats-Unis, dans tous les pays qui fonctionnent, il y a une muraille de Chine entre la politique monétaire qui est du fait de la Banque centrale et la politique économique qui est l’affaire du gouvernement. Entre les deux, il y a des barrières très étanches. Le gouvernement fait ce qu’il veut avec le budget. Il peut augmenter la bourse des étudiants, donner de l’argent à qui il veut, aussi longtemps qu’il ne va pas demander à la Banque centrale d’imprimer des billets pour payer ses dettes. Dès que le gouvernement va commencer à demander à la Banque centrale d’imprimer des billets pour payer ses dettes, le système s’écroule. On a connu cela dans beaucoup de pays, au Zimbabwe, en Equateur, au Salvador, etc. Cela fonctionne toujours comme ça. C’est une machine qui est connue et comprise.

La difficulté dans nos pays c’est pour les gouvernements, de laisser les institutions autonomes. Dans un pays, il faut que certaines institutions soient autonomes, que la Magistrature soit autonome. Cela ne signifie pas que la Magistrature est autrefois autonome dans nos pays. Il faut que l’université soit autonome. Cela ne signifie pas que l’université soit autonome dans nos pays. Il faut que la Banque centrale soit autonome. Cela ne signifie pas que la Banque centrale soit autonome dans nos pays. Ce qu’on a pu avoir avec la Bceao, c’est d’avoir une organisation régionale qui échappait aux gouvernements nationaux. Maintenant, si c’est le même système qui est maintenu, il n’y a pas de problème. S’il est complètement démantelé et que chaque gouvernement a sa Banque centrale, ces banques vont fonctionner comme les autres Banques centrales africaines. C’est-à-dire, elles ne fonctionneront pas pour l’essentiel.

Est-ce que les pays africains peuvent eux-mêmes garantir leur propre monnaie ?

Il y a des pays qui garantissent leur monnaie. On n’a pas dit que les pays africains ne pouvaient pas garantir leur monnaie. Et, avec le nouveau système, les pays africains vont garantir leur monnaie. Mais, il faut discuter des conditions de la gestion de la monnaie avec le nouveau régime qui va être mis en place, le nouveau système. Il faut que les gouvernements comprennent les garde-fous, les limites d’une gestion efficiente de la monnaie. 

L’Eco peut-elle commencer à circuler à partir de juillet 2020, comme le pensent certaines personnes ?

Je ne sais pas encore. Il faut qu’on connaisse les détails de cet accord. Certains disent janvier 2020, d’autres juillet. Je ne sais pas. Mais, il y a des choses à faire avant qu’une monnaie puisse changer. Et surtout éviter qu’il ait des saignés de devise. Les gens qui ne seront pas rassurés vont sortir leur argent et aller l’échanger contre des monnaies fortes comme le dollar ou l’Euro et cela risque de perturber le système et de créer des problèmes économiques qu’on n’avait pas connus jusqu’ici.

En se basant sur les 3 réformes annoncées, est-ce que vous pensez que l’Eco peut permettre aux économies de l’Uemoa d’émerger ?

L’enjeu c’est de stabiliser la monnaie, de financer l’économie. Que les investisseurs continuent à avoir confiance dans le pays et y investissent. Je crois que c’est ça l’enjeu. Et si avec ce système, on parvient à le faire, c’est une bonne chose.

MARIAMA DIEME

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