Publié le 19 Sep 2020 - 22:49
PRESIDENTIELLE EN COTE D’IVOIRE

Guillaume Soro, la rage du ‘’fils’’ putatif 

 

Malgré l’annonce du Conseil constitutionnel, Guillaume Soro, ancien Président de l’Assemblée nationale, maintient sa candidature à l’élection du 31 octobre. Au regard de son passé politique, la Côte d’Ivoire risque de sombrer, si ce scrutin se déroule sans lui. Il promet de combattre celui avec qui il a entretenu des relations presque filiales, pendant des décennies.

 

C’est un homme déterminé et offensif qui a fait face à la presse, jeudi dernier. Depuis Paris, Guillaume Soro, ancien Premier ministre ivoirien, a été on ne peut plus clair : ‘’Il n’y aura pas d’élection en Côte d’Ivoire, tant qu’Alassane sera candidat.’’ Le fidèle allié d’hier du président ivoirien a été radié de la liste électorale, en raison d’une décision de justice ivoirienne, le condamnant, par contumace, à 20 ans de prison ferme, pour détournement de deniers publics et blanchiment de capitaux. Lundi dernier, il a reçu le coup de massue : le Conseil constitutionnel l’a écarté de la course au fauteuil présidentiel.

‘’Maintenir cette élection du 31 octobre 2020, dans ces conditions, n’a aucun sens. C’est une évidence. De même, participer à cette élection serait cautionner le coup d’Etat civil de M. Ouattara. J’en appelle donc à une unité d’action de l’opposition pour stopper monsieur Ouattara dans sa folle aventure, par tous les moyens légaux et légitimes’’, a-t-il déclaré, en ajoutant que sa candidature est ‘’ferme, irréductible et irrévocable’’.

Et, à ce sujet, la Cour africaine des Droits de l’homme et des peuples a tranché en sa faveur le 15 septembre. Elle a demandé à l’Etat de lever ‘’immédiatement’’ tous les obstacles l’empêchant de jouir de ses droits d’élire et d’être élu.

Et pourtant, on croyait Ouattara et Soro inséparables, depuis 1990, année de leur rencontre, mais le jeu politique a prouvé le contraire. Le torchon brûle et tous les ingrédients sont réunis pour plonger le pays dans une seconde crise post-électorale. ‘’Cet homme n’a jamais mérité le sacrifice suprême de mes camarades qui sont morts, en croyant mener un combat noble. Alassane est un imposteur’’, lit-on sur son compte Twitter.

Dans un autre tweet plus récent, il déclare : ‘’Alassane Ouattara, dont la candidature a été rejetée en 2000 par le Conseil constitutionnel pour nationalité douteuse et pour qui nous avons sacrifié notre vie et notre jeunesse, est celui qui m’exclut de la liste électorale. Je suis déçu et je le regrette.’’

Conscient qu’il ne saurait mener ce combat seul, Guillaume Soro appelle l’opposition à ‘’faire bloc’’ et se tourne vers ses deux poids lourds : Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié, deux ex-présidents qu’il a combattus étant dans le maquis. Si le second a répondu favorablement à cette union des forces, il se trouve qu’il est toujours en course pour la Présidentielle. Va-t-il renoncer à cette nouvelle opportunité de reprendre les rênes du pays ? Hier, en tout cas, il affirmait qu’‘’Alassane Ouattara n’est pas un candidat légal et légitime. Nous n’irons pas à l’élection avec le candidat de la haute trahison et du parjure’’.

En outre, il était lui-même membre de la coalition présidentielle (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix - RHDP).

Le premier, quant à lui, n’a jamais annoncé sa candidature au scrutin du 31 octobre prochain. Bien qu’acquitté par la Cour pénale internationale, il ne peut fouler le sol ivoirien, faute de passeport.

Un ancien chef de guerre qui inquiète

Force est de reconnaitre que face à ces dinosaures politiques, le président de Génération et peuples solidaires (GPS, parti politique) a encore du chemin à faire, en termes de popularité. A côté de ses partisans indéfectibles, il y a ceux qui restent sceptiques quant à son retour en Côte d’Ivoire. Pour beaucoup, il est plutôt le ‘’candidat des réseaux sociaux’’. Les plus pessimistes pensent qu’il s’agite et fait du bruit pour finalement rien, parce que contraint à l’exil.

Une autre catégorie, par contre, ne digère pas son passé. Ces Ivoiriens voient toujours en lui le rebelle, l’homme des armes. Ces attributs se vérifient certes, mais Guillaume Soro peut jouer une autre carte.

En effet, capitalisant plus de dix ans dans le maquis, l’ancien chef rebelle bénéficie du soutien d’une partie de l’armée ivoirienne. En décembre 2019, des centaines de soldats ont déserté l’armée, après l’annonce d’un mandat d’arrêt international lancé contre lui. D’après le procureur de la République, des armes lourdes ont été saisies chez son directeur de protocole et certains de ses proches. Le régime affirme qu’elles ont servi à alimenter la mutinerie de mai 2017 dans les rangs de l’armée. Guillaume Soro a participé au putsch manqué en 2001 contre le président Gbagbo et a dirigé l’insurrection armée de 2002.

Il a été, jusqu’en 2007, le secrétaire général des Forces nouvelles de Côte d’Ivoire (FNCI, intégrées aujourd’hui à l’armée). En outre, c’est grâce à l’offensive menée par ses hommes, entre octobre 2010 et mai 2011, qu’Alassane Ouattara a accédé au pouvoir. En d’autres termes, l’ancien président de l’Assemblée nationale pourrait, depuis la France, faire trembler Abidjan.

Une chose est sûre : confiné à Paris, depuis le 23 décembre 2019, à des milliers de kilomètres de sa Côte d’Ivoire natale, il ne décolère pas. Guillaume Soro n’a jamais caché ses ambitions politiques. Il s’est préparé depuis longtemps à l’élection présidentielle du 31 octobre, dans l’espoir de succéder à son ancien allié.

De l’avis des Ivoiriens établis à Dakar, le pays va être le théâtre d’une implosion. ‘’En fait, la jeunesse a compris les enjeux. Nous avons compris que nous avons été utilisés pendant toutes ces années. Si vous remarquez bien les manifestations de ces dernières semaines, très peu sortent marcher. Je pense qu’ils vont plutôt se faire la guerre entre eux. Je parle bien sûr du président et de ses anciens alliés. Je prie pour qu’il n’y ait pas de morts, parce que nous avons perdu beaucoup de parents, de proches, dans la crise de 2010’’, déclare Christelle Kouadio, infirmière à Dakar.

Sur les réseaux sociaux, les citoyens, dans leur grande majorité, sans distinction ethnique ou d’appartenance politique, plaident pour une élection apaisée. 

EMMANUELLA MARAME FAYE

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