Publié le 27 May 2020 - 15:06
PRISE EN CHARGE CORONAVIRUS

Mythe et réalités de la chloroquine

 

La guerre est loin de connaitre son épilogue, entre pro et anti chloroquine. Au-delà des attaques et quolibets des uns contre les autres, il est à constater qu’il y a une part de vérité et d’exagération de tous bords.

 

La science nous réserve parfois bien des surprises. Des vérités d’un jour peuvent, le jour d’après, s’évaporer comme de la vapeur. Hier médicament tant vanté à travers la planète pour ses vertus présumées contre la Covid-19, porté même par certains chefs d’Etat dont Donald Trump, Jair Bolsonaro et Macky Sall, la chloroquine est rudement mise à l’épreuve depuis la fin de la semaine dernière, suite à la publication de Dr Mandeep Merah, Professeur à la faculté de Médecine de Harvard.

Dans la foulée, s’appuyant sur cette vaste enquête menée sur les données de 671 hôpitaux à travers la planète, pour une population totale de 696 000 patients, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décide de ‘’suspendre, temporairement, par mesure de prudence, les essais cliniques’’ qu’elle était en train de mener dans plusieurs pays. Hier, le Haut conseil français de la santé publique a recommandé de ‘’ne plus utiliser l’hydroxychloroquine dans le traitement de la Covid-19’’ hors essai clinique. Même le président américain, d’habitude si têtu, a tourné casaque, sans donner les motifs de sa décision de ne plus prendre la molécule controversée.

Une véritable douche froide pour le professeur de l’IHU de Marseille Didier Raoult. Mais ce dernier est loin de dire son dernier mot. D’habitude très offensif et percutent, le chantre de la chloroquine a été contraint de passer à la défensive, face à la pluie d’attaques. Mais son style est resté intact. Parlant d’une étude ‘’foireuse’’ menée par des gens qui n’ont pas vu de patients, il fulmine : ‘’Ne croyez pas que je vais changer d’avis, parce que les gens font du big data, fantaisie complètement délirante qui prend des données dont on ne connait pas la qualité et qui mélange tout.’’

Selon l’atypique professeur de Marseille, rien ne pourra le départir de ce qu’il a vu de ses yeux avec 4 000 malades soignés grâce à ces molécules. ‘’Je ne sais pas si l’hydroxychloroquine tue, mais ici, elle a sauvé des vies. Nous, on estime qu’on a fait notre travail. On est très serein sur ce qu’on a fait’’, réplique le spécialiste.

Mais que vaut cette étude du professeur de Harvard ?

D’abord, il faut reconnaitre qu’elle est inédite en son genre. Car menée dans 671 hôpitaux à travers le monde sur 96 032 patients. Et ses conclusions font simplement froid dans le dos : augmentation du risque de décès de 45 %, d’arythmie cardiaque grave de 411 %... Pendant que la mortalité est de 9,3 % chez les patients sans chloroquine, elle est de 16,4 %, 18 %, 22,2 % et 23,8 % pour respectivement ceux traités avec la chloroquine seule, avec l’hydroxy-chloroquine seule, la chloroquine associée à un antibiotique, l’hydroxy-chloroquine et un antibiotique.

En fait, ces études ne font que conforter des nombreux griefs déjà relevés contre la chloroquine et ses dérivés, depuis le début de cette polémique. Ce qu’il faudrait comprendre, selon beaucoup de scientifiques, c’est que contrairement à ce qu’avance le Pr. Raoult et ses soutiens, l’hydroxychloroquine ne réduit pas significativement le risque d’admission en réanimation, ni de décès chez des patients hospitalisés. Autrement dit, avec ou sans l’hydroxychloroquine, les guéris auraient guéri ; les cas graves seraient graves. Et les nouveaux résultats publiés dans la revue médicale ‘’The Lancet’’ ont enfoncé le clou, le vendredi 22 mai, en concluant que la molécule serait même dangereuse et néfaste pour les malades du coronavirus.

Les limites de l’enquête de Harvard
 
Depuis la publication de cette étude, les pro-chloroquines ne cessent de monter au créneau pour brûler le dossier du Pr. Merah. Le premier reproche contre l’équipe pilotée par le professeur de Harvard, c’est que les auteurs seraient financièrement concernés par les retombées médicales d’un traitement ou d’un vaccin contre la Covid-19. Pour preuve, dans la déclaration d’intérêt de l’étude, Mandeep Merah déclare avoir personnellement reçu des honoraires des sociétés Abbott, Medtronic, Janssen, Mesoblast, Portola, Bayer, Baim Institute for Clinical Rechearch, NupulseCV, FineHeart, Leviticus, Roivant et Triple Gene.
 
Sur son bloc repris par ‘’Ouest France’’, l’anthropologue français, Jean-Dominique Michel, en tire la conclusion suivante : ‘’C’est-à-dire des entreprises privées ayant intérêt à discréditer un traitement qui, étant pratiquement gratuit et composé de molécules tombées dans le domaine public, nuit à leurs perspectives de business.’’ Dans la foulée, l’anthropologue rappelle les relations entre la Harvard Médical School de Merah et certains bailleurs qui se trouvent être des chantres de vaccins contre la Sars-Cov-2. Il en est ainsi de la fondation Bill et Melinda Gates, Marc Zuckerberg, Lakshmi Mittal et la fondation Rockefeller, tous impliqués, selon lui, dans des projets de vaccination contre la Covid-19. Sur BFM TV, l’ancien ministre français de la Santé, Philippe-Douste Blazy, abondait dans le même sens et mettait à nu toute la nébuleuse autour de certaines publications scientifiques. Il disait : ‘’Ce qu’il faut savoir, c’est que quand il y a une épidémie comme la Covid-19, nous, on voit mortalité, souffrance ; mais il y a des gens qui voient dollar…’’
 
L’autre grief est que l’étude a été faite auprès de patients qui étaient en état déjà avancé, alors que la chloroquine, depuis le début, a été présentée comme un remède pour les patients en phase de début. 
 
Le débat est ainsi relancé entre communautés de savants. Dans ce duel sans merci, il y a, d’une part, Didier Raoult et son clan qui symbolisent l’anti système ; d’autre part, les détracteurs du prof marseillais qui incarnent le système néolibéral capitaliste, selon l’homme de la rue. Pour ces derniers, la chloroquine serait combattue juste parce qu’étant un médicament bon marché. Elle ne ferait pas l’affaire des grands laboratoires pharmaceutiques : le ‘’Big Pharma’’.
 
 
EXEMPLE DU SENEGAL 
 
Face aux résultats probants de la chloroquine, les anti-chloroquines s’emmurent dans le silence
 
Au Sénégal, le débat ne semble pas se poser pour le moment. Contrairement au début de la controverse, quand le célèbre professeur Daouda Ndiaye, Chef du Service de parasitologie-myocologie de l’Ucad, déchirait le protocole de Raoult. Lynché à travers les réseaux sociaux, il finit par se rétracter devant l’enthousiasme de la planète pour son homologue de Marseille. Malgré nos relances, Pr. Ndiaye n’a pas souhaité se prononcer sur les nouveaux développements. 
 
Du côté des défenseurs de la chloroquine, on continue de brandir les résultats satisfaisants de la chloroquine. Lesquels ont été publiés le 2 mai dernier par le professeur Moussa Seydi, Coordonnateur de la prise en charge. ‘’Sur une analyse préliminaire portant sur 181 patients, disait-il, nous avons constaté que la durée médiane d’hospitalisation était de 13 jours chez les patients qui n’avaient pris aucun traitement ; 11 jours pour ceux qui ont pris l’hydroxychloroquine seule et 9 jours pour ceux qui ont pris l’hydroxychloroquine associée à l’azytromicine.’’ 
 
Aussi, précisait le professeur à la faculté de Médecine de l’Ucad, ‘’nous avons aussi observé que les patients qui avaient été consultés tôt et qui avaient démarré le traitement dans les 24 heures avaient une durée moyenne d’hospitalisation de 8 jours. Par contre, les patients qui avaient plus de 80 ans avaient une durée moyenne d’hospitalisation de 19 jours’’. Selon lui, les résultats avaient aussi montré qu’aucune complication encore moins de décès n’a été noté, chez les patients ayant bénéficié du traitement à base d’hydroxychloroquine, de manière précoce. 
 
‘’En ce qui concerne les effets secondaires, l’analyse a porté sur 362 patients. Nous avons observé 12 cas d’effets secondaires. Pour les 4, on a continué le traitement parce que ces effets n’étaient pas si gênants. On a arrêté chez les autres. Mais tous ces effets secondaires étaient modérés. C’est donc dire que nous allons continuer le traitement avec l’hydroxychloroquine’’. 
 
Selon des responsables du Comité national de gestion de l’épidémie, il n’y a pas encore de raison d’écarter le traitement à base d’hydroxychloroquine, car ces premières tendances sont toujours d’actualité.  
 
 
MOR AMAR
 
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