Publié le 4 Sep 2014 - 16:19
PROCÈS KARIM MEISSA WADE

Opération Alerte à (Mal)Bibo

Me Yérim Thiam

 

C’est au tour du coïnculpé Pape Mamoudou Pouye de déclarer, hier, qu’il ne dira rien de conséquent tant que le Bibo (espèce en voie de disparition) ne sera pas sur pied et soumis, au même titre que Karim et le suscité, au feu nourri de l’interrogatoire des juges. Alerte à (Mal)Bibo serait-il le nouveau feuilleton de la rentrée ?

 

Décidément, ce Bibo Bourgi ! Il doit vraiment être quelqu’un d’extraordinaire pour que même face à la perspective de 10 ans de prison, ces deux coïnculpés choisissent de se coudre les lèvres plutôt que de prononcer un mot en son absence. Toujours à la clinique du Cap, c’est donc le malade le plus célèbre de Dakar qui, à distance, tient encore ce procès en haleine, puisque ses deux amis ont choisi d’enterrer toute la vérité sur cette affaire au fond d’un trou plutôt que de le trahir.

Grand absent de ce procès, quand on ne l’en évacue pas en civière, Bibo n’a ainsi pas pu assister à l’interrogatoire de Mamadou Pouye, le colocataire de Karim dans le box des accusés… Il n’a néanmoins rien manqué, puisqu’un dialogue de muet, c’est essentiellement la seule chose à laquelle on a assisté à l’audience d’hier. Financier, expert, actionnaire de la funestement célèbre société AHS (spécialisé dans l’assistance en escale), Pape Mamadou Pouye est un privé sénégalais entre deux âges, également connu pour avoir fait les bancs avec Karim-I-will-survive-Wade.

Les pleurs de Karim

À l’instar de son survivant d’ancien camarade de classe aux Maristes, il a opté pour une déclaration émouvante à la barre, déclaration écrite et lue, cette fois, sans incident, si ce n’est, peut-être, d’avoir fait pleurer le Rambo à l’héréditaire calvitie resté sagement dans le box. Karim Meïssa Wade qui pleure, alors qu’on l’aurait cru intouchable ! Il a craqué devant les paroles émouvantes de son ami. ‘’On m’a dit, M. Pouye, vous ne nous intéressez pas. Vous n’êtes pas la cible.

On cherche Karim Wade. Dites-nous ce que nous voulons entendre et vous pourrez bénéficier de notre programme de protection des témoins. Nous sommes un rouleau compresseur. Vous avez une famille, pensez-y’’… Seulement, moi je ne marche pas dans ça !’’ a dévoilé Mamadou Pouye à la barre, expliquant par ailleurs avoir été soumis à l’instruction à un interrogatoire aux allures de torture.

‘’Délit d’amitié’’

Et celui-qui-ne-marche-dans-rien-de-louche d’ajouter qu’il n’est coupable que de ‘’délit d’amitié’’ : ‘’Il arrive (NDLR : dans la vie) qu’on ait à choisir entre ce qui est juste et ce qui est facile’’, a-t-il expliqué philosophiquement, le tout avec l’effet qu’on devine sur le public (et la pleureuse, dans le box). D’accord… C’aurait sans doute eu plus d’effet sur les plus lettrés d’entre nous, si P. (comme on l’accuse de s’être fait appeler à Monaco, Singapour ou ne sait-on où) ne venait tout bonnement pas de plagier ici mot pour mot un personnage d’Albus Dumbledore, de la saga Harry Potter, qui a dit cette même phrase au célèbre jeune sorcier (dans le tome 4, «Harry Potter et la coupe de feu», si notre mémoire est correcte).

Difficile de passer pour un sophiste, quand on cite des livres pour enfants… Mais trêve de digressions, puisque Karim pleure, le public jubile et les juges finissent eux-mêmes par prendre l’intéressé ‘’en affection’’. Malgré son refus déguisé de répondre à ce qu’on lui demande, c’est donc cette carte de l’honnête garçon qu’a exploité à fond Pape Mamadou Pouye, même si parfois on a senti une pointe de lassitude dans ses réponses… Et apparemment un mépris à peine masqué pour les avocats de l’État, puisqu’il n’a même pas daigné les regarder pour leur répondre.

Menu fretin

‘’Cette question concerne AHS, une société dans laquelle je détiens 10% et Bibo 90% (…). Par conséquent, je ne pourrai répondre que lorsque Bibo sera en bonne santé et en état de se présenter devant la Cour’’. Par cette pirouette, Pape Mamadou Pouye a réussi, sans trop de mal, à esquiver l’essentiel des questions de la Cour, du Parquet Spécial ‘’et consort’’ (une expression, selon l’inculpé, qui lui a été attribuée dans l’arrêt de renvoi, pour expliquer qu’il était un menu fretin).

À la limite, il a même servi de ‘’consultant’’ à la Cour qui lui a demandé d’expliquer des notions et concepts généraux dans le domaine de la finance. Pour cela, il s’est fait tresser une couronne de lauriers par ses avocats qui ont dit de lui qu’il est ‘’une tête’’, ‘’un surdoué’’ (Me Baboucar Cissé) et ‘’un poète’’, un ‘’orfèvre’’, ‘’un homme au discours si clair qu’on le croirait de Boileau’’ (Me Leyti Ndiaye).

Un fin psychologue, surtout… Il devrait devenir politicien !

Karim met Me Yérim Thiam K.-O.

Karim le survivant, qui passe donc la journée assis sur sa banquette (et sûrement content de n’être pour une fois pas celui à qui on casse les pieds), a relativement été laissé tranquille ce mercredi. Mais cette paix, il a dû l’arracher, puisque ce n’est pas faute à la partie civile d’avoir essayé de le harponner. Au contraire ! L’attaque est venue de bonne heure, lorsqu’ouvrant l’audience, la Cour-du-tout-rejet (comme on commence à l’appeler) a rejeté, sans surprise, la requête du fils Wade demandant à rester vivre sa vie à Rebeuss, à défaut de le laisser (selon lui) se défendre correctement.

Appelé donc à la barre pour qu’on termine ce qui restait de son interrogatoire (ce, malgré les ‘’protestations’’ de Me Adama Sall), celui qui se voit forcé de souffrir son propre procès a quelques minutes plus tard été apostrophé par Me Yérim Thiam, représentant de la partie civile. L’avocat, faisant allusion aux présumées ‘’voitures de chefs d’État étrangers’’ que l’inculpé principal se serait vu offrir, lui a demandé, non sans flegme, s’il considère ces ‘’cadeaux’’ comme de l’enrichissement illicite.

La réponse de Karim Wade a été cinglante : ‘’Je ne sais pas, Me Thiam. Lorsque mon père vous appelait au Palais, pour vous donner ces enveloppes si grosses qu’il vous fallait vous faire aider de gardiens pour les porter jusqu’à votre voiture, était-ce de l’enrichissement illicite ?’’ a rétorqué Wade-fils.

Autant dire qu’on n’a pas vu l’avocat la relever, celle-là… D’ailleurs, après cette réplique cinglante, Karim a été autorisé à retourner à son box. Il dit en passant à Me Adama Sall : ‘’s’il (NDLR : Me Yérim Thiam) demande, je fournis les reçus’’ !

Ne jamais faire confiance à un Président quand il ‘’donne’’, telle est la leçon de cette fable.

SOPHIANE BENGELOUN

 

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