Publié le 25 Oct 2019 - 22:01
PROROGATION DU MANDAT DES ELUS ET REPORT DES LOCALES

Deal sur le dos du peuple

 

Alors que le spectre d’un troisième mandat du Président Macky Sall prend progressivement forme, le report des élections législatives, passé sous silence par la classe politique, présage d’un couplage des élections locales et législatives en 2022. Un parfum de deal entre acteurs politiques, passé sur le dos du peuple souverain.

 

Le report des élections municipales voulu par le Président Macky Sall est passé mercredi 16 octobre dernier, à l’issue du conseil des ministres, comme lettre à la poste. En dépit du tollé que cela avait suscité au lendemain de l’élection présidentielle de février 2019, aucun son discordant n’a été entendu. L’opposition, comme tétanisée par les retrouvailles Wade-Macky scellées lors de l’inauguration de la grande mosquée Massalikoul Jinaan, est restée muette.

Le Parti démocratique sénégalais et le Congrès de la renaissance démocratique, qui avaient initialement porté le combat, n’ont même pas levé le plus petit doigt pour s’opposer à cette décision du chef de l’Etat prorogeant le mandat des élus locaux jusqu’à nouvel ordre. Jusqu’ici, c’est le flou total sur la tenue prochaine des élections municipales.

Opposition quasi inexistante

Pourtant, dans un passé récent, la question avait fait enfler la controverse et enregistré une opposition farouche du Parti démocratique sénégalais et de Pastef. D’ailleurs, au sortir d’une audience que l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade, avait accordée à Ousmane Sonko, le jeudi 25 juillet 2019, les deux leaders s’étaient engagés à mener le combat pour le respect du calendrier républicain. Ensemble, ils avaient ainsi décidé d’établir des programmes de résistance dans ce sens, et de faire barrage au report des élections locales qui devaient se tenir en décembre 2019.

 Jusqu’ici, c’est silence radio. Aucun acte collectif et ou individuel de nature à faire respecter le calendrier républicain n’a été posé. Si aujourd’hui Abdoulaye Wade est plus enclin à sceller ses retrouvailles avec Macky Sall, Ousmane Sonko, lui, est complètement pris dans le tourbillon de l’affaire dite des 94 milliards au point de déserter le débat politique.

Cette inertie de l’opposition sénégalaise traduit-elle un compromis entre acteurs du jeu politique ? L’enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger de Saint, Moussa Diaw, en est convaincu. ‘’Il faut considérer qu’il y a un compromis, parce qu’ils en ont discuté au niveau du dialogue politique. Il y aurait un consensus entre ceux qui y ont participé. Mais pour le reste, comme ils sont mis à l’écart, ils ont dû accepter le report ; sans doute parce que cela les arrange’’, soutient-il. Soulignant ainsi que le seul problème à ce niveau, reste le fait que les travaux de la commission cellulaire ne sont pas encore terminés.

‘’Le Président avait dit qu’il ne prendrait des mesures qu’à l’issue du dialogue politique, après qu’un consensus se soit dégagé sur la question du report des élections. Il n’a pas attendu la fin des travaux et on apprend, comme ça, qu’il y a eu consensus autour de la question. On anticipe alors qu’on devrait attendre la fin des travaux pour savoir réellement s’il y a eu consensus sur le report desdites élections. Apparemment, parce qu’ils n’ont pas réagi, cela veut dire que ça les arrange quelque part. Autrement, ils auraient réagi contre la décision’’, déclare-t-il.

Opinion publique écartée du débat politique

La chose politique, au Sénégal, n’est discutée qu’entre acteurs politiques. Le peuple, à qui le dernier mot revient toujours, n’est jamais mêlé dans la prise de certaines décisions. Pour ce qui concerne le report des élections locales, le président Macky Sall n’a pas fait exception. Les discussions se sont tenues à huis-clos entre les acteurs politiques engagés dans les concertations sur le processus électoral. Selon Moussa Diaw, ceci est un problème général en Afrique.

‘’En Afrique, en général, au Sénégal en particulier, on ne gouverne pas avec l’opinion publique. Les dirigeants ne considèrent pas l’opinion publique et ne gouvernent pas en fonction des aspirations exprimées par cette opinion’’. Pourtant, relève M. Diaw, l’opinion publique en politique est le premier instrument de mesure important pour gouverner. ‘’Si l’opinion publique n’est pas favorable, en ce moment, vous redressez, vous ajustez de manière à ce que cela corresponde à ses aspirations. Mais dans les pays africains, elle ne compte pratiquement pas. Ceci est un élément de faiblesse de notre démocratie’’.

Vers un couplage des Locales et des Législatives de 2022

Au rythme où vont les choses, l’on s’achemine inéluctablement vers un couplage des élections municipales et législatives en 2022. L’idée a été pour la première fois agitée au lendemain du scrutin présidentiel du 24 février 2019 par le néo-transhumant, Me Aïssata Tall Sall, leader du mouvement Oser l’avenir. Depuis, le débat se pose avec acuité dans le landerneau politique sénégalais, et chacun d’y aller de son commentaire et en fonction de ses intérêts du moment. Seulement, il faut relever que rien n’est fortuit dans les décisions prises jusque-là.

La majorité a actuellement les mains libres pour décider en fonction de ses intérêts. Les élections sont reportées, mais personne ne sait à quelle date elles vont se tenir. Excepté sans doute le régime dans la mesure où la décision finale lui revient. L’opposition, elle, est dans l’ignorance de toutes occurrences. ‘’On dirait qu’il y a un délit d’initié, parce que ce sont eux les tenants du pouvoir qui savent à quel moment il faudra les fixer. Ce moment sera-t-il favorable à leur majorité ? Seront-ils prêts, etc. Ils ont une connaissance de la situation politique et fixeront la date des élections en fonction d’un ensemble de facteurs qui leur sont favorables’’, estime Moussa Diaw. 

Dans un contexte préélectoral assez favorable au régime, en dépit des scandales sur le pétrole et le gaz, le couplage des Locales et Législatives en 2022 serait bénéfique pour le Président Macky Sall et sa majorité. Plébiscité à l’issue du scrutin présidentiel du dimanche 24 février 2019 avec 58,26 % des suffrages valablement exprimés, le patron de l’Alliance pour la République a jusqu’ici le vent en poupe. Il dispose davantage de marge de manœuvre qui lui permet, d’ici aux élections couplées, de surfer sur son plébiscite, de consolider sa victoire, d’élargir les bases de sa coalition à d’autres forces politiques, et d’affiner sa stratégie pour aller à la conquête des 42 % autres Sénégalais qui n’ont pas voté pour lui en 2019.

La nature des élections législatives aidant avec le système du ‘’raw gaddu’’, Macky Sall pourrait rafler les sièges dans les 40 départements où il est arrivé premier à l’issue du scrutin présidentiel du 24 février dernier. Cela est possible, notamment à la faveur de ses retrouvailles avec le Pape du Sopi qui pourrait lui être d’un très grand bénéfice dans certaines parties du pays comme Touba et le Baol. Fort aujourd’hui de plus de 500 maires qui vont jouer leur survie politique aux prochaines locales, Macky Sall pourrait également peser sur la balance, en engageant la bataille lui-même dans les zones où il a été défait.

A l’image du Baol, désormais sous le contrôle d’Idrissa Seck, et dans certaines parties du sud du pays tombées dans l’escarcelle d’Ousmane Sonko. Aussi, aurait-il la possibilité, en cas de couplage des élections, de mettre en jeu le poste de président de l’Assemblée nationale qu’occupe depuis 2012 le leader progressiste Moustapha Niasse. Un dauphin à cette station pourrait être mieux préparé pour le positionnement en perspective de la présidentielle de 2024, surtout avec la suppression du poste de Premier ministre. Puisqu’il ne fait aucun doute que certains ambitieux lorgnent ce poste, tremplin pour servir leur dessein présidentiel.

Quoiqu’il en soit, estime Moussa Diaw, beaucoup de choses peuvent se passer d’ici là. ‘’2022 est à la fois lointain et proche. S’il y a cette idée d’un troisième mandat, ça va tout brouiller. On risquerait de passer un quinquennat à ne rien faire de concret. C’est au président de la République de mettre de l’ordre dans l’espace politique, de clarifier sa position par rapport à cette question de troisième mandat qui revient, de temps en temps. Parce qu’aussi, dans sa majorité, les gens ont besoin d’être fixés pour se positionner à temps. Ils ont des ambitions. C’est au président de mesurer les enjeux et de clarifier le jeu politique’’ soutient-il.

ASSANE MBAYE

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